Stéphane Venne n’est plus. Il s’est éteint le 17 janvier 2025, à l’âge de 83 ans. Déjà récipiendaire du Prix Excellence du Gala SOCAN 2011 pour l’ensemble de sa carrière, il reçoit en 2016 Le SOCAN de l’Empreinte culturelle pour sa chanson C’est le début d’un temps nouveau. Un portrait sublimé de son époque, un hymne à l’espoir du renouveau. Intemporel.
Et ce n’est que l’une des nombreuses chansons, toutes aussi inoubliables les unes que les autres, dont il a fait cadeau au public québécois et à toute la francophonie via des interprètes d’exceptions. Pour Renée Claude, Isabelle Pierre, Emmanuëlle, Nicole Martin, Pierre Lalonde et, plus récemment, Marie-Hélène Thibert. En tout, neuf de ses chansons ont atteint le statut de Classiques de la SOCAN. C’est le début d’un temps nouveau, bien sûr, mais aussi Le temps est bon, Attention la vie est courte, Et c’est pas fini, Le monde à l’envers, Le tour de la Terre, Tu trouveras la paix, Les enfants de l’avenir et C’est notre fête aujourd’hui.
Soucieux du sort professionnel de ses pairs, il avait à cœur le respect du droit d’auteur. Il s’est également impliqué au sein du conseil d’administration de la CAPAC (ancêtre de la SOCAN) et en a été le président en 1977 et 1978. Il a également répondu présent lors de la naissance de la Société professionnelle des auteurs, compositeurs du Québec (SPACQ), dont il joindra le tout premier conseil d’administration aux côtés des fondateurs de l’organisme Diane Juster, Luc Plamondon et Lise Aubut en 1981.
Entre autres reconnaissances, il est intronisé au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens en 2017 où il livra un discours fort touchant dont voici un extrait : « S’il y a quelque chose qui me tient à cœur dans ce qui m’arrive ce soir, c’est le message qui en ressort. À savoir que quand on n’a pas de voix, quand on joue le piano ordinaire, ce qui est mon cas, quand on n’a pas envie d’être sur une scène, y a quand même moyen d’être heureux si on sait écrire. Y a quand même moyen de bien gagner sa vie. Et il y a moyen de peut-être laisser des traces en faisant juste écrire, à condition d’avoir avec des artistes, avec des chanteurs et des chanteuses, une alliance à la vie à la mort. »
Qui de mieux placés pour célébrer sa mémoire et saisir l’ampleur des traces que ses mots et mélodies ont laissées dans nos cœurs que certains de ses amis et proches collaborateurs ainsi que quelques-uns des récipiendaires du Prix Stéphane Venne de la Fondation SPACQ, commandité par la SOCAN, qui est remis chaque année depuis 2018 à ceux et celles qui, comme lui, se mettent au service d’autres interprètes pour porter leurs mots et leurs musiques.
Voici leurs témoignages :
PIERRE HUET
« C’est toujours difficile de parler de quelqu’un dont on a été d’abord l’admirateur puis un jour l’ami. J’ai grandi à cette époque, au Québec où il y avait, dans la chanson francophone la Variété, avec les Louvain, Lalonde et Lautrec et les Chansonniers avec les Vigneault, Leclerc, Leyrac et autres. Et il fallait choisir entre les deux genres. Choix détestable.
Puis est arrivé Stéphane Venne, d’une manière un peu maladroite, avec sa version trop littérale de Penny Lane pour les Sinners. Et non, je n’oublie pas son Un jour un jour pour l’Expo 67, qui à mes yeux, sonnait encore un peu sage et académique.
Et arriva enfin le vrai, le pur, le grand Stéphane Venne, dont les chansons réunissaient le sens mélodique de la meilleure pop et la qualité littéraire des auteurs à texte.
Je laisse à d’autres le soin d’énumérer, d’analyser, et surtout de nous faire partager le meilleur de Stéphane Venne. J’ajouterai mon grain de sel. À mon avis, les meilleures chansons sont celles qui paradoxalement arrivent à la fois à surprendre et à rassurer. Une phrase comme “J’ai deux amis qui sont aussi mes amoureux” nous rassure : il y a un sens à la vie. Par contre, quand arrive le refrain de la belle Les enfants de l’avenir, il nous surprend en nous entrainant complètement ailleurs sur le plan mélodique.
Ce don pour l’étonnement et le rassurant était un des talents de Stéphane Venne, qu’il partageait avec Burt Bacharach qu’il admirait sûrement. Et un autre de ses talents, c’était de trouver le bonheur et la beauté partout : chez les Plouffe; dans le temps nouveau à venir et même sur la Rue de la Montagne.
Ma chanson préférée, puisqu’il faut en choisir une? ‘Il était une fois des gens heureux.’
Devant une telle chanson : je ne pouvais pas être l’ami de Stéphane : je ne pouvais être qu’admirateur. Salut l’ami. »
DIANE JUSTER
« ÉCRIRE POUR L’AUTRE… voilà le grand talent qu’avait Stéphane Venne. Faire chanter les plus belles voix. C’était le métier qu’il avait choisi en sortant de l’université et les succès ont suivi…
Un jour la réalité de ce beau métier lui est tombée dessus ! Il fallait survivre… Ce grand auteur-compositeur s’est arrêté d’écrire afin de gagner sa vie ! C’est ça la réalité de notre beau métier.
Je remercie Stéphane Venne de nous avoir accompagnés dans la création de la SPACQ en 1981 et de nous avoir servi d’exemple, toujours à la défense des créateurs. »
FRANÇOIS DOMPIERRE
« Quand il avait une idée en tête, ce n’est pas le premier venu qui aurait pu la lui faire changer. Ce n’était pas de l’entêtement, mais lorsque Stéphane prenait une décision, il en avait soupesé les implications et conséquences et savait nous convaincre, preuve à l’appui. Il pouvait être intransigeant, cinglant même, il le reconnaissait, c’était dans sa manière. Mais ce côté ébréché dissimulait des trésors de tendresse. Il n’y a qu’à écouter le texte de ses grandes chansons pour en être convaincu. J’ai eu le plaisir de m’associer à lui au tout début de nos carrières respectives. J’appréciais sa rigueur, ma fantaisie le séduisait! Comme créateur, nous avions deux visions distinctes, mais chaque fois que nous avons collaboré, nous avons parlé à l’unisson. »
NELSON MINVILLE (Prix Stéphane Venne 2018)
« En 2018, j’ai eu l’insigne honneur d’être le premier récipiendaire du Prix Stéphane Venne remis par la SOCAN lors du Gala de la Fondation de la Société Professionnelle des Auteurs et Compositeur du Québec (La SPACQ). Stéphane Venne, une inspiration pour toujours. Merci d’avoir ouvert le chemin. Et c’est pas fini!
Je t’ai vu faire lever le jour
En chantant des chansons d’amour
Je t’ai vu monter vers le ciel
Car tu as dans la tête bien mieux que des ailes
ÈVE DÉZIEL (Prix Stéphane Venne 2024)
« J’ai dix ans, la chanson Un jour, un jour tourne en boucle à radio. Je la connais par cœur. Pour moi c’est une chanson de Donald Lautrec. J’ignore l’existence du métier de parolier et de compositeur. À 16 ans, j’achète les 33 tours des grands succès de Renée Claude : 20 chansons. La face 1 ouvre avec C’est notre fête aujourd’hui et la face 4 se termine avec Sais-tu que je t’aime depuis longtemps. Sous mes titres préférés un nom : S. Venne.
Quel talent pour décrire les choses de la vie! Quel talent pour composer des musiques riches, complexes que l’on peut fredonner dès la première écoute! C’est tout un art cet alliage de beauté, de singularité et de simplicité. Un travail d’orfèvre. Si on m’avait dit qu’un jour je recevrais un prix portant son nom je ne l’aurais pas cru. Quel cadeau que j’ai accepté avec une tonne d’incrédulité et d’humilité!
Aujourd’hui, matin de janvier. C’est le refrain de Il était une fois des gens heureux que j’écoute encore et encore.
Il ne faut pas chercher à savoir
Où s’en va le temps
Il s’en va pareil aux glaces dans le Saint-Laurent
On fait toute la vie
Semblant qu’on va durer toujours
Pareils au fleuve dans son cours
Et c’est peut-être rien que pour ça
Qu’on fait des enfants
Merci Stéphane Venne. Votre héritage est magnifique et vaste comme le territoire qui vous a vu naître. »
FRÉDÉRICK BARON (Prix Stéphane Venne 2019)
« C’est à l’aube des années 2000 que mes pas de parolier émergent ont croisé ceux du géant Stéphane Venne, alors que nous travaillions sur le premier album de Marie-Élaine Thibert. Pour lui, ce projet a marqué une forme de renaissance; pour moi, ce fut véritablement “Le début d’un temps nouveau”, tant le succès phénoménal de l’album a contribué à lancer ma carrière. Ce succès, on peut largement l’attribuer à M. Venne.
Son écriture, limpide et précise comme un scalpel, tout en demeurant poétique, est restée pour moi un idéal à suivre. Autant dire que je lui dois beaucoup. L’honneur et l’émotion ont donc été immenses lorsque la Fondation SPACQ m’a remis, en 2019, le prix qui porte son nom.
Dans ma liste de lecture, il y a une pièce que je ne peux m’empêcher d’écouter le volume à fond : Le temps est bon. Ses paroles subtilement transgressives, sa mélodie lumineuse, me collent toujours un sourire au visage et m’apportent une joie de vivre que, malheureusement, notre époque a peut-être un peu perdue. »
GAËLE (Prix Stéphane Venne 2021)
« Monsieur Venne, vous êtes l’un des plus beaux exemples d’accomplissement de tous les métiers que ça prend pour écrire une chanson qui sonne. Auteur-compositeur-interprète pour vous ou pour les autres, “faiseur de hits” au service de l’œuvre, vous connaissiez l’importance de la communion entre les sons et les mots. De la saveur du parfait métissage quand la bonne mélodie rencontre la bonne voix à la beauté sans frontières entre classique et pop, votre legs nourri ma création au quotidien : un “nous” pour faire grandir le “je”, le passé pour mieux croire en l’avenir… “Chanter pour vivre” donc.
Grâce à la voie musicale pavée de votre répertoire foisonnant et immortel, vous avez permis à l’immigrante que je suis, depuis 25 ans déjà, de découvrir un territoire, d’apprendre un pays et, surtout, de me laisser pousser des racines profondes dans votre culture jusqu’à humblement essayer d’en faire partie.
En fredonnant Quand le temps tournera au beau, armée de mon crayon et de mon piano, je retourne jouer avec les sons. »
AMAY LAONI (Prix Stéphane Venne 2022)
« La première chose qui m’a frappée quand j’ai fait la rencontre de Stéphane Venne, c’était son cœur d’enfant. Même après tout ce chemin parcouru, cette expérience, je l’ai senti profondément curieux d’apprendre. J’ai aussi compris que je faisais face à un homme qui a su se tenir debout.
C’est la chanson Et c’est pas fini qui me vient tout de suite en tête quand je pense à M. Venne. Elle me touche particulièrement. Entre la légèreté et la profondeur, c’est à nous de choisir le message qu’on en retient. Quand Emmanuëlle chante “Nous sommes bientôt ce qui a de plus beau dans le monde”, je le sens comme un appel à croire. Croire en l’humain, croire à notre capacité de faire vivre ce qu’il y a de plus beau en nous, de plus beau dans le monde.
M. Venne, de l’autre côté des nuages, c’est rien qu’un début. Je vous souhaite sincèrement le plus beau des commencements. »
STEVEE MARIN (Prix Stéphane Venne 2020)
« Nous perdons un auteur qui par son talent et son implication, a su défendre et faire rayonner la chanson francophone de manière sensible et mélodique pendant de nombreuses décennies. Il restera, par ses mélodies, une de mes influences majeures en composition, reposez en paix M. Venne. »