Quand Zosha Di Castri composait sa pièce Touch: Trace pour le chef d’orchestre et percussionniste Steve Schick et l’International Contemporary Ensemble de New York, elle pensait non seulement au piano, au violoncelle, à la clarinette et aux percussions de l’ensemble en tant qu’instruments, mais aussi au corps et aux mouvements de Schick lorsqu’il interprète.
« J’ai composé ça pour un percussionniste qui est chef d’orchestre en même temps, car Steve est aussi un chef d’orchestre extraordinaire, bref, le geste est très important dans ce morceau », explique-t-elle. « Cette œuvre est née du désir de travailler avec lui, de voir comment il bouge et interagit avec les gens lorsqu’il dirige, et d’avoir des conversations avec lui sur le concept, l’idée du toucher et des points de contact et de connexion avec l’instrument, ou entre les musiciens, ou entre ce qui se passe sur scène et le public. Cela m’a vraiment inspiré. »
La compositrice et pianiste originaire de l’Alberta et basée à New York a une œuvre impressionnante par son ampleur, sa brillance et sa diversité. Di Castri a composé pour de grands orchestres, des quatuors à cordes et des solistes vocaux et instrumentaux, en plus d’intégrer des éléments électroniques, la vidéo, la danse et la sculpture à sa musique, et elle a même créé The Dream Feed, une série de balados et de performances sur les musiciens et la maternité. S’il y a un fil d’Ariane qui relie ses projets très diversifiés, c’est sans doute l’accent mis sur les caractéristiques particulières des interprètes et des instruments.
« Conceptuellement, ça varie d’un projet à l’autre, mais d’un point de vue musical, je suis intéressée par l’exploration des différentes textures, des timbres ou de la qualité sonore des instruments avec lesquels je travaille. Ça me motive d’apprendre à connaître la personne pour qui je compose et les qualités particulières de son jeu. Quand j’ai écrit pour la chanteuse Barbara Hannigan dans le cadre de notre projet In the Half-Light, je connaissais la qualité particulière de sa voix et on a discuté du texte. Cette pièce a été conçue en fonction de ce qu’elle est capable de faire avec sa voix, et j’aime tenir compte de ça. Elle pourrait bien entendu être interprétée par d’autres, mais je pense qu’au stade de la création, c’est pratique une personne en particulier en tête », explique la compositrice.
Zosha Di Castri a joué du piano dès son plus jeune âge, puis de la flûte, du hautbois et de la batterie dans un groupe de jazz. « J’ai toujours aimé improviser au piano, c’était un exutoire pour moi », se souvient-elle. « Ma mère avait entendu parler d’un programme pour jeunes compositeurs de l’Orchestre symphonique d’Edmonton, et elle m’a encouragée à le suivre, si bien que j’ai pris mes premières leçons de composition dès le secondaire. C’est ce qui m’a donné le déclic. C’était tellement excitant d’entendre ma musique prendre vie ».
Aujourd’hui professeure associée de musique à l’Université Columbia, elle a été nommée aux JUNO pour la pièce titre de son premier album Tachitipo (2019) et elle a reçu plusieurs prix prestigieux, dont une bourse Guggenheim. Elle travaille actuellement à une collaboration avec Totem Contemporain de Montréal pour un concert avec Ensemble Paramirabo qui mettra en vedette des instruments électroniques et la Babel Table, un instrument inventé par Jean-François Laporte de Totem, qui pousse de l’air comprimé à travers des bols, des tuyaux et des membranes. « C’est une nouvelle expérience pour moi et je suis très enthousiaste », se réjouit-elle.
Il n’est pas surprenant que son processus de composition fasse appel à de nombreuses méthodes. « J’entends des idées dans ma tête et parfois je vais les travailler au piano », explique-t-elle. « Je me sers souvent de l’ordinateur pour créer des maquettes de mes idées, et, de temps en temps, je vais enregistrer un mémo vocal si je suis en train de me rendre au travail ou d’aller chercher mes enfants. Je fais aussi beaucoup de croquis et je mets des mots sur papier pour essayer de clarifier ce que je veux. »
En 2019, alors qu’elle était boursière de l’Institute for Ideas and Imagination (à Paris), elle a reçu une commission pour la première soirée de la série de concerts BBC Proms qui a été interprétée par l’orchestre symphonique et le chœur de la BBC au Royal Albert Hall de Londres. C’était l’anniversaire du premier alunissage et le thème était, bien entendu, la lune.
« Je n’ai pas eu de gros “flash” d’inspiration et je me suis tournée vers des chercheurs et des artistes et je leur ai demandé de m’envoyer tout ce qui pouvait m’inspirer au sujet de la lune », confie-t-elle à propos du processus de création de Long Is the Journey, Short Is the Memory (Le voyage est long, la mémoire est courte). « J’ai rassemblé des textes de différentes périodes et cultures – un fragment de Sappho, un poème de Giacomo Leopardi – et un auteur de l’Institut, Xiaolu Guo, a aussi offert sa contribution. C’était génial d’avoir cette intersectionnalité de textes. Une fois la structure en place, la composition a été assez facile. »
Que ce soit une œuvre à grand déploiement comme Long Is the Journey ou Phonobellow – un projet avec David Adamcyk qui compte notamment sur des percussionnistes qui improvisent sur une immense sculpture sonore –, ou encore une exquise pièce pour piano solo comme The Untellable Hour of Quiet, l’œuvre de Zosha di Castri est d’une diversité et d’une inventivité passionnantes, intégrant une panoplie d’instruments et de collaborateurs, toujours avec l’idée de mouvement.
« Je pense à la gestuelle au sens musical et visuel du terme quand je compose », explique-t-elle. « À quoi ça ressemble de voir les interprètes jouer? Comment se déplacent-ils et quel impact est-ce que ça a sur notre écoute et notre regard? Des fois on commence par les images et après on passe au son. Certains projets impliquent des éléments visuels, comme la sculpture ou une installation, des personnes qui se déplacent dans un espace et transforment un objet au fil du temps en interagissant avec. Je pense que ce sont les thèmes clés de mon travail ».