Avec son EP Blacklist, White-B s’adoucit sans se trahir, cherchant de manière bien assumée à agrandir son public.

White-B«Je ressens un peu de pression, je ne le cacherai pas, mais je ne veux pas non plus presser les choses», nous disait-il en janvier dernier dans le cadre d’un reportage faisant état des révélations rap québécoises les plus prometteuses de 2019. Maintenant que le fruit de ses efforts a été dévoilé au grand jour, le rappeur de 24 ans se dit plus détendu. « La question qui m’envahissait, c’était : ‘’Est-ce que les gens vont aimer ?’’ On va se le dire, c’est un projet très différent du premier. C’est de là que venait la pression. »

Plus pop que Confession risquée, une première mixtape solo parue à l’automne 2017, Blacklist a été concoctée sur une période plus courte, ce qui explique en partie sa direction artistique plus homogène. « Confession, c’était surtout un ramassis de chansons que j’avais depuis plus d’un an. Là, je me suis concentré sur la musique pendant six mois, et ça s’entend dans l’évolution musicale, autant dans les flows que les mélodies. »

À la fois inspiré par la nouvelle vague rap française très mélodieuse des Ninho, Niska et Koba LaD, et la scène street rap québécoise des Souldia, Tizzo et Enima, White-B compte ici sur l’appui de plusieurs jeunes producteurs montréalais, notamment Fifo et Birdzonthetrack. Ce dernier a d’ailleurs joué un rôle clé dans la création de ce mini-album, en signant la musique de cinq des onze nouvelles chansons.

« Avant de le rencontrer, j’avais de la difficulté à trouver de bonnes instrus. Je voulais éviter d’acheter des licences sur YouTube, comme je le faisais avant, mais malheureusement, toutes mes rencontres avec des beatmakers menaient à rien. Lui, il m’a envoyé deux instrus que j’ai même pas feel, mais tout de suite, j’ai vu que son style avait de la profondeur. Je lui ai envoyé des exemples de chansons qui fittent avec moi, des bangers mélodieux, et il m’est revenu avec les beats de Solo et de Chacun son récit. À partir de là, ça a déboulé. »

Sur Doué et Vien danser [sic], White-B sort de sa zone de confort et adapte son débit posé à des rythmiques tropicales dans l’ère du temps. « J’avais cette volonté de proposer des trucs plus festifs, dansants. Même si les paroles restent les mêmes que d’habitude, je me dis que c’est peut-être ce genre de beats plus accessibles qui pourraient m’amener plus loin, à la radio par exemple. »

Loin de faire dans la typique ritournelle pop à l’eau de rose, le rappeur renoue avec ses thématiques habituelles : la loyauté, l’argent, l’ambition. Désirant tourner la page sur son sombre passé, où il a flirté avec la pauvreté et la criminalité, il entretient ici la même dualité que sur Confession risquée, celle d’un artiste qui, malgré sa méfiance envers un système qui l’a abandonné depuis l’école secondaire, désire prospérer et réussir dans le milieu de la musique.

« J’ai remué ciel et terre pour avoir tout c’que j’avais pas », confie-t-il sur Chacun son récit, le premier extrait de cet EP. Significative, cette phrase illustre bien sa mentalité. « J’ai toujours su me débrouiller seul, car je me suis habitué avec rien. Ma mère m’a jamais acheté de marque, je n’ai pas eu le câble avant 18 ans… En fin de compte, j’ai toujours tout fait pour avoir ce que j’avais pas. Et je sais que c’est en travaillant qu’on y arrive. »

Il poursuit sa réflexion sur Million, chanson qui traite de ses ambitions très élevées. « J’ai été élevé par mon grand-père, qui avait trois jobs et qui travaillait sans arrêt. Encore aujourd’hui, à 80 ans, il achète des condos et les retape. C’est une très grande inspiration pour moi. Depuis que j’ai 10 ans, il me dit que, dans la vie, il faut toujours ramasser de l’argent afin d’avoir un coussin de sécurité pour sa famille. J’ai pris ça à la légère jusqu’à tant que je sois pris dans une mauvaise passe financière. J’avais besoin d’un gros montant et je me suis dit : mon grand-père avait raison. Maintenant, je pense constamment à lui. »

En bonne position pour atteindre ses objectifs, White-B profite actuellement d’un succès enviable sur Youtube et sur les plateformes de streaming. Celui qui admet avoir « triplé (son) salaire dans la musique » (La nuit) voit plus grand que jamais et se dit tout particulièrement heureux que l’industrie ouvre enfin ses portes à son genre de rap. « Je suis conscient que c’est loin d’être terminé. C’est bien beau, les millions de views, mais ça reste des views… Donc, on continue de travailler très fort. Veux, veux pas, les maisons de disques comme 7ieme CIel et le succès de Loud, ça nous ouvre des portes. Ça bénéficie à tout le monde. »

L’écriture nécessite de la solitude
Même s’il est souvent entouré de ses pairs du 5sang14, White-B a besoin de s’isoler pour écrire. « Je suis capable de créer en groupe, mais c’est plus difficile. C’est vraiment quand je suis seul, la tête dans mes écouteurs, que j’écris mes meilleurs textes. Certains rappeurs ont besoin de lumière, mais moi, c’est dans la noirceur que je suis à l’aise. C’est spécial, mais j’ai besoin d’un endroit sombre pour entrer dans ma bulle et écrire. »

Habitué aux petites salles, le rappeur peut maintenant aspirer à des spectacles de grande envergure, comme celui qu’il donnera aux côtés de son groupe 5sang14 au MTelus dans le cadre des prochaines Francos de Montréal. Il regrette toutefois que la santé du rap local soit encore minée par des stéréotypes. Le souvenir de quelques spectacles annulés par les promoteurs en raison d’une forte pression exercée par les forces policières, notamment un au Belmont en 2017, et la stigmatisation de son groupe 5sang14 (qui a déjà été perçu à tort comme un gang de rue dans la foulée de l’incarcération de Lost, l’un des cinq membres) ont encore un goût amer en bouche. Et pas plus tard que l’automne dernier, la relocalisation d’un spectacle qu’il donnait avec Lost à M pour Montréal (la salle initiale a refusé inopinément d’accueillir le concert, à quelques jours de préavis) lui prouve que rien n’est encore gagné.

« Je comprends pas cette fermeture, surtout quand je regarde le rap des States. Que ce soit Eminem ou n’importe qui, les textes parlent de violence, de drogues, d’arme, de rue, d’argent… Mais quand ça vient d’ici, les gens ont un malaise. À mon avis, tout ça fait juste freiner l’industrie. Quand on regarde les retombées qu’un festival comme Metro Metro a eues, on voit bien que c’est toute l’économie de la ville qui en bénéficie, autant les hôtels que les restos ou les taxis. On a un retard à gagner et, tranquillement, ces gens-là se rendent compte de tout l’argent qu’ils ont perdu. Les choses changent. »



Il est parfois difficile de caser un artiste dans un seul genre musical, et c’est très bien comme ça. Freeman Young en est un exemple parfait.

L’artiste originaire de Surrey, en Colombie-Britannique, qui se décrit lui-même comme « pop avec une touche urbaine », propose des sonorités aussi variées que ses influences, qui vont de D’Angelo et Jai Paul en passant par Radiohead et Nickelback. La voix de velours de Young est pleine de soul et lui a auparavant permis d’évoluer dans le monde du R&B. Dans une entrevue accordée à Noisey, il a toutefois prévenu qu’il « ne veut pas se cantonner à un seul genre. Surtout pour un artiste Noir, c’est important de ne pas se limiter trop tôt dans sa carrière. »

C’est cette polyvalence et son imagination qui ont permis à Young d’être aussi libre d’explorer comme il l’a fait sur sa collaboration avec Brotha Jason, « Brother », où il met en valeur son « flow », tandis que son chant prend l’avant-scène sur « Wrong Turn », produite par Raiel et Isaac Shah.

Mais outre ces chansons, la musique de Young n’est pas facile à trouver en ligne pour l’instant. Young a fait des vagues avec son premier album, Young, paru en 2016, mais il a depuis fait disparaître l’album de SoundCloud et des autres plateformes de diffusion en continu. Mais ce suspens a un but.

En 2017, il a expliqué à Discorder Magazine qu’il avait retiré sa musique parce qu’il « travaille sur autre chose. Je crois qu’on a une idée de plus en plus claire de ce qu’on veut communiquer à mesure que le temps passe… Il ne faut pas être trop nostalgique ou sentimental, même lorsqu’il s’agit de notre propre production artistique, et même si on a tout donné pour celle-ci ; tout est une question de ce qui vient après. »

La prochaine étape cruciale est survenue en 2018 lorsqu’il a été mis sous contrat chez Republic Records. Il a annoncé la nouvelle « incroyablement surréaliste » dans un message Instagram, ajoutant qu’il serait « de retour sous peu ». Si nous avons un peu de chance, ce sera en 2019 que nous aurons droit au grand retour de Freeman Young, car le peu de traces qu’il reste de lui en ligne nous a ouvert l’appétit.



Philemon CimonBeau Dommage a chanté Montréal. Richard Desjardins, l’Abitibi. Dédé son Lac – et Plume Jonquière, en s’excusant -, même Trenet a chanté Québec. Curieusement, avant Philémon Cimon, personne n’avait autant chanté la plus belle région du Québec, Charlevoix, « où j’ai passé tous mes étés, plus jeune », confie-t-il. Où sa grand-mère Lucile résidait, grand-mère dont on entend la voix sur l’album Pays, disque de racines dont l’écriture et l’enregistrement fut abordé de manière quasi ethnographique.

La belle région de Charlevoix n’a toutefois pas été oubliée dans notre mémoire culturelle, relève l’auteur, compositeur et interprète. « Je crois juste qu’elle a été « chantée » différemment. Menaud, maître draveur, ça se passe à Charlevoix. Dans notre littérature, beaucoup d’événements se déroulent dans cette région : Angéline de Montbrun de Laure Conan se passe dans une espèce de lieu imaginaire, mais associé à Charlevoix puisqu’elle est originaire de La Malbaie. Puis y’a [le cinéaste] Pierre Perreault! »

Donc, poursuit l’intarissable Cimon, « c’est curieux, y’a pas vraiment de chansons devenues populaires qui évoquent Charlevoix, mais quand [l’anthropologue et folkloriste] Marius Barbeau a fait de l’ethnographie dans les années 1910, il s’est d’abord rendu aux Éboulements où il a recueilli cinq cents chansons – pas seulement des chansons traditionnelles uniquement chantées dans Charlevoix, mais certaines qui en sont originaires. C’est très étrange, la région est importante dans notre folklore, mais dans le présent, y’avait rien. »

Ce à quoi remédie Cimon avec Pays, son quatrième album paru à compte d’auteur. Un curieux album, enregistré live dans l’église de Saint-Joseph-de-la-Rive sur ruban quatre pistes. On entend le cillement du ruban magnétique emplir les silences entre les notes de guitares et de piano, entre les voix conjuguées de Cimon et d’Adèle Trottier et Josianne Boivin. On entend les bruits du village, son train panoramique qui passe à proximité, on entend des fausses notes, des rires et des bribes de conversations volées à la spontanéité du moment.

C’est Cimon qui fait du Perreault, « ma plus grosse inspiration pour cet album ». Le musicien se fait l’apôtre du légendaire réalisateur de Pour la suite du monde, créateur du cinéma direct ayant eu une influence déterminante sur la Nouvelle Vague : « Je me reconnais beaucoup dans la démarche de Perreault ». Ainsi, Philémon a fait de Pays une forme de « musique directe » avec ses chansons écrites à Montréal, mais destinées à être enregistrées dans ce pays qu’il cherche à nommer, pour paraphraser l’auteur (la chanson Les Pommiers envahis).

Ainsi, la démarche, l’enregistrement de ce répertoire est intrinsèquement lié à l’écriture et à la composition de celui-ci, comme si ces chansons ne pouvaient exister que dans cet écrin intime et imparfait. Enregistrer ainsi, « c’est vivre une expérience qui va au-delà de la musique même. En bout de ligne, la chanson devient au service de l’expérience, et ce qu’on enregistre, ce n’est plus de la musique, c’est la vie, comme disait Perreault ».

Une expérience qui trouve son sens dans une quête d’identité, la sienne et celle de son pays. « Premièrement, mon pays, ce n’est pas juste Charlevoix », tient à préciser Philémon Cimon, né à Limoilou. « C’est toute une recherche qui m’a menée à passer par Charlevoix. Au fond, mon pays, c’est mon rapport à mes racines. C’est un pays intime, affectif, qui passe nécessairement par Charlevoix parce que quand j’étais petit, j’ai vu énormément de beau là-bas. Un grand terrain de jeu, un grand terrain d’émerveillement, surtout. »

Son pays n’est pas politique, ajoute-t-il. Ni physique, indéfini par les frontières, « passée Baie-Sainte-Catherine, c’est encore mon pays. À Tadoussac, on est en dehors de Charlevoix, pourtant je me sens encore chez moi. Mon pays est lié à la recherche de qui je suis, et j’ai donc fouillé jusque dans mon enfance, et tout d’un coup, je suis allé au-delà de l’enfance, parce qu’une ce chemin-là fait [dans ma recherche], j’ai eu envie de remonter encore plus loin pour voir s’il n’y avait pas quelque chose d’intéressant. »

Ce que Philémon a trouvé l’a inspiré. L’histoire, la sienne, la nôtre. « Jusqu’à Jacques Cartier, qui s’est promené par tout, lui d’origine bretonne. Ça va jusqu’aux Premières Nations, évidemment », évoquées sur la chanson qui ouvre le disque, Charlevoix ventre infini : « Domagaya volé /Taignoagny volé /Stadaconé volé /Oshelaga volé… »