Si vous écoutez de la musique autochtone canadienne et que le nom de Tristan Grant ne vous dit rien pour l’instant, il ne tardera pas à le faire — et vous ne l’oublierez pas. Vous le connaissez peut-être déjà sous son nom de scène, Wolf Castle, un rappeur et réalisateur mi’kmaq originaire de la Première Nation de Pabineau, au Nouveau-Brunswick. Fort de plus de dix ans d’expérience dans l’industrie de la musique, Grant vient de fonder Castle Records, la première maison de disques autochtone des provinces maritimes.
Au bout du fil, par une matinée ensoleillée, Grant nous explique pourquoi il a décidé de fonder cette maison de disques. « Les artistes autochtones attirent de plus en plus l’attention du public, alors il est essentiel que notre art soit protégé et qu’il soit diffusé par d’autres membres autochtones de l’industrie, parce qu’on n’est quand même pas beaucoup. Mon label veut être entièrement transparent sur ce qu’on fait, pourquoi on le fait, comment ça fonctionne, en particulier le volet édition, parce que, d’après mon expérience en tant qu’artiste indépendant, ce ne sont pas vraiment des choses qu’on t’explique. Tu dois les découvrir au fur et à mesure, et parfois, tu passes à côté. »

The Hello Crows
Dans cet esprit, Castle Records a signé son premier groupe, The Hello Crows, formé à l’occasion d’un cercle de création Wabanaki tenu lors de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation en 2022. Leur premier album, éponyme sortira à l’occasion de leur troisième anniversaire, soit le 30 septembre 2025, Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
« C’est le groupe parfait pour commencer cette aventure, » dit-il. « C’est un groupe émergent qui suscitait déjà beaucoup de “buzz” sur la scène locale et j’aimais le fait qu’il était déjà autonome et qu’il aurait sorti un album avec ou sans moi. » Castle Records n’est certainement pas la seule maison de disques autochtone au Canada : on pense notamment à Musique Nomade au Québec, Ishkode et Red Music Rising en Ontario, Land Back Records en Colombie-Britannique, ou encore Hitmakerz au Nunavut. « J’ai remarqué qu’il existait déjà plusieurs labels autochtones un peu partout au pays, et j’ai observé comment ils fonctionnent, » explique Grant. Il croit toutefois pouvoir offrir quelque chose d’un peu différent.
« J’ai jasé avec des gens de la côte Est à propos des opérations au quotidien d’un label comme Forward Music Group [auquel Wolf Castle est lui-même signé]. Ce sont tous des labels indépendants, sans lien avec une grande maison de disques. C’est très “grassroots”, et ils fonctionnent comme ça depuis des années. Ils m’ont été d’une grande aide. »
« Je pense que beaucoup de gens à l’extérieur des communautés autochtones ne savent pas trop comment promouvoir ou mettre en marché les artistes autochtones. Selon moi, il y a des marchés et des espaces bien précis que les cadres ou les professionnels de l’industrie ne sauraient pas nécessairement comment aborder, et parmi ceux-là, il y a les pow-wow partout en Amérique du Nord. C’est un aspect qu’on doit beaucoup mieux intégrer. »
Il s’est également tourné vers le Bureau de la musique autochtone pour obtenir des conseils. « Je leur ai parlé de mes plans bien avant de les annoncer publiquement, et on a discuté de différentes façons de collaborer », explique Grant. « J’aime beaucoup ce genre d’organisme, surtout le Bureau de la musique autochtone, parce que je comprends leur vision. Dans l’industrie musicale en général, on dépend beaucoup des subventions — que ce soit FACTOR ou les organismes provinciaux. Le Bureau cherche à devenir une autre source possible de financement pour différents projets. Je suis vraiment content de constater que je ne suis pas le seul qui veut faire bouger les choses. »
Considérant les projets ambitieux qu’il a pour sa nouvelle maison de disques, est-ce que Wolf Castle risque d’être mis de côté? « Pas du tout », dit-il. « Je continue de faire mon bout de chemin dans l’industrie musicale et Wolf Castle va continuer d’exister. Pour ce qui est de sortir des disques sous ce nom, je ne vais pas, pour l’instant, les lancer sur Castle Records. Je vais rester avec Forward Music Group, le label avec lequel j’ai signé. »
« J’ai eu pas mal de succès avec les demandes de subvention et ces choses-là en tant qu’artiste indépendant. J’ai navigué en solo pendant des années et maintenant, dans le label, j’ai accès à des personnes que je peux consulter ou engager pour la rédaction et la révision de demandes
Toujours se protéger
Un mot revient souvent dans les propos de Tristan Grant : protection. Comme il l’explique, « c’est pas facile de s,y retrouver dans l’industrie de la musique. Il y a énormément de sources de revenus et d’aspects commerciaux qu’on ne connaît pas vraiment, ou qu’on comprend mal. J’ai parlé à des gens du milieu qui ont signé des contrats avec une maison de disques sans savoir ce que c’était, ce que les clauses impliquaient, ni quels étaient les paramètres de l’entente. Ils ne savent pas comment assurer le suivi de leurs redevances ou de leurs parts d’édition. Il y a beaucoup d’argent qui reste sur la table simplement parce que les artistes ne savent pas que cet argent est là. Une maison de disques peut facilement t’offrir un contrat, te proposer un partage pas très honnête des parts d’édition et garder une grosse partie des revenus. »
« Être musicien, c’est parfois avancer seul dans le vide, surtout quand on manque de soutien. Je pense que j’ai la responsabilité d’empêcher les artistes de se faire exploiter par manque d’accès à ces connaissances. C’est un privilège énorme qu’un groupe me fasse confiance avec sa musique et ça me motive à travailler encore plus fort et à en apprendre toujours plus sur le côté affaires de la musique. »
« Il y a un vrai problème en ce moment dans nos communautés : on nous invite comme “autochtone de service” dans les festivals ou les conférences et il y a un autre phénomène récent, les “fauxtochtones”, c’est-à-dire des gens qui prétendent être autochtones pour recevoir des subventions. Moi, je suis là pour aider à combattre ça. »