« Dans ma tête, en ce moment, c’est comme si je repars à zéro », assure Stéphanie Boulay au moment de dévoiler Ce que je te donne ne disparaît pas, son premier album solo à paraitre le 2 novembre 2018 chez Grosse Boîte. « Y’a rien de gagné et en même temps… je ne veux rien gagner, c’est ça qui est bizarre. Oui, bien sûr, je l’aime cet album, j’aimerais qu’il rayonne et que les gens l’aiment, mais je ne suis pas attachée aux résultats tant que ça. C’était plus un besoin, une nécessité qu’un geste réfléchi : mon être voulait créer des chansons. »

Lorsque Les soeurs Boulay ont pris une année sabbatique en novembre dernier pour permettre à Mélanie de vivre sa grossesse, Stéphanie s’imaginait voyager et prendre du temps pour elle. « Ça a duré un mois. J’étais malheureuse. Profondément. C’est un défaut que j’ai – je ne prône pas le « workaholisme », mais c’est plus fort que moi, on dirait que j’existe par ma création. » Et c’est aujourd’hui seule comme une seule femme qu’elle existe à travers les huit chansons originales de son premier album qu’elle présentera avec ses musiciens le 8 novembre prochain, dans le cadre du Coup de cœur francophone. « Je me sens ado, comme à première scène, à Cegep en Spectacle! »

Cette collection de chansons originales nous permet de découvrir autrement la sœur, qui s’éloigne des connotations country et folk qu’on connaît au binôme Boulay pour embrasser la chanson française classique. Sur le plan des mélodies et des orchestrations très fleuries, « les chansons s’étendent, mais semblent ciblées dans une époque, parce qu’on a écouté beaucoup de musique de la fin des années 60 et 70 », abonde Stéphanie. Du Brel, du Ferré, « de la musique canadienne », on suspecte beaucoup de Cohen et les premiers albums de Gordon Lightfoot.

La musicienne concède qu’elle faisait face à un certain défi, celui de démarquer ce projet solo du son des soeurs Boulay, « mais en même temps, ce n’était pas vraiment réfléchi, assure-t-elle. Lorsqu’on a commencé à travailler là-dessus, Alex [McMahon, réalisateur] et moi, on ne s’est pas vraiment dit qu’il fallait aller ailleurs, c’est simplement le reflet de nos inspirations du moment. C’était l’époque où je recommençais à écouter du Brel et Françoise Hardy, et Alex me disait qu’il pouvait entendre mes chansons dans ce style-là. On a écouté plein de trucs différents, jusqu’à de la musique brésilienne, ce sont les chansons qui nous ont inspirés, sans effort. C’est comme si nos deux cerveaux s’étaient connectés et s’en allaient au même endroit. »

« Je me sentais comme prise d’une fièvre transcendante en composant. »

Une symbiose qui a bien servi la conception précipitée, « à la toute dernière minute » de l’album, d’abord anticipé comme un EP, explique Stéphanie : « J’avais cinq chansons, toutes pas mal écrites en même temps, à la fin février », sauf la chanson-titre, qui elle existait déjà depuis deux ans.

« Puis, [la chanson qui ouvre l’album] Ta Fille est née, c’était le gros morceau qui sortait », une chanson qui donne le ton au disque, touchante et solennelle. « Je le sens, s’il n’y avait pas eu #metoo y’a un an, cet album aurait été différent, estime Stéphanie Boulay. Il y a beaucoup de vulnérabilité sur cet album que je n’osais pas admettre avant. Et la solidarité féminine, cette sororité que je vis encore davantage depuis #metoo. Je parle beaucoup plus d’amitié que d’amour sur cet album, par exemple sur Des histoires qui ne sont jamais finies, inspirée par mon expérience au Camp d’écriture Kenekt Québec de la SOCAN, toutes les amitiés que j’ai développées là, entourée de la force créatrice de ces gens. La chanson Ta Fille, ce n’est pas seulement la vulnérabilité, c’est aussi la solidarité. C’est se regarder et se dire : Hey, te sens-tu de même toi aussi? Ben fuck off, on le dit. C’est une prise de position. »

Déjà en mai dernier, au bout de deux mois d’écriture, cinq chansons avaient été enregistrées. « Puis, la chanson Les Médailles est sortie toute seule, alors on est retourné en studio. Là, Éli [Bissonnette, patron de Grosse Boîte] m’a demandé si j’avais d’autres chansons, parce que à six, ça fait un EP, mais à huit, ça se qualifie d’album. J’ai été chanceuse, c’est comme si j’étais connectée sur quelque chose, je ne sais pas quoi, mais les tounes me tombaient vraiment dessus. Comme des briques. Je me sentais comme prise d’une fièvre transcendante en composant. »

Exemple : Stéphanie marchait sur la route du quai à Carleton-sur-Mer, dans sa Gaspésie natale, lorsqu’est soudainement apparue la chanson Sauvage et fou, l’une des plus belles du disque. « Elle m’est tombée sur la tête. Je suis vite rentrée à ma chambre et je l’ai finie le soir même. Le week-end d’après, j’étais au chalet, et je me suis souvenue qu’Alex m’avait dit : Ah toi, tu me fais penser à un coyote pris dans un piège qui préfère se manger la patte plutôt que de mourir là-dedans, va écrire une toune là-dessus. Et j’ai écrit Le Piège. Nous sommes retournés en studio in extrémis, deux semaines avant le deadline, pour enregistrer ces deux chansons! »

Si tôt sorti, si tôt derrière elle, ce premier album solo, que la musicienne considère plutôt comme une parenthèse. « J’ai déjà recommencé à travailler avec ma sœur, je pense qu’on a la moitié d’un album d’écrit. Je regarde en avant – autant je suis fière de mon album solo, je le chéris, c’est mon bébé, mon bijou, mais maintenant, j’apprécie d’autant plus la présence de ma sœur Mélanie dans ma vie. »

« Je crois que j’ai une façon assez convenue, carrée, d’écrire, alors que ma sœur a quelque chose de plus créatif, poursuit Stéphanie. Par exemple, je vais écrire des mélodies plus classiques; Mélanie, tout d’un coup, va trouver une manière de la tourner de lui donner quelque chose d’unique. Aussi, moi, je suis pressée : si ça marche, on passe à autre chose. Mélanie peut passer deux heures sur une phrase, un bout de mélodie, pour qu’elle finisse par être à son goût, parfaite. Enfin, sa façon de jouer aussi est rentre dedans. Elle est solide, droite sur ses jambes, elle sait où elle va, alors que moi, je suis plus fragile… »