King Imoh qualifie sa musique d’afrofusion, un mélange de la musique traditionnelle nigériane par laquelle son enfance à Lagos a été bercée au R&B, hip-hop et du rap du Sud qu’il a découvert plus tard, à l’adolescence.
« Ma musique amalgame ces influences d’une manière telle qu’un Nigérian pourrait l’écouter et penser “ça ressemble à de l’afrobeat”, mais qu’un Canadien penserait “c’est du R&B” », explique Imoh. « Ils peuvent tous deux y prétendre, et c’est le mélange idéal que je veux obtenir. »
Imoh s’est installé au Canada en 2008 après ses études secondaires afin d’étudier l’administration des affaires à la Trent University de Peterborough, en Ontario. Il a fait ses débuts dans la musique en tant que promoteur, organisant des spectacles et des événements, puis en tant que producteur, travaillant avec d’autres artistes. Imoh s’est toujours considéré comme « un homme des coulisses, un trait d’union », mais une fois qu’il a acquis de l’expérience en tant que producteur et « beatmaker », il a pris de l’assurance en tant qu’auteur-compositeur.
L’an dernier, il lançait son premier EP, Now or Never, qu’il a en grande partie écrit et enregistré durant la pandémie. Le simple vedette, « You Said », est un « slow » R&B planant mettant en vedette Cubah, une amie d’Imoh.
« Tous ses couplets étaient des “freestyles” enregistrés en une prise. Je lui ai fait jouer le “beat” et elle s’est laissée porter par la vibe », raconte Imoh. « C’est une des dernières pièces que j’ai complétées et elle consolide l’album. » Sur un autre single « One Plus One », un « beat » hypnotique et syncopé contrebalance les voix de HK, Shafluss, Ighost et Mista Dre.
Cette année, Imoh prévoit lancer un documentaire sur la création du EP et met en lumière les artistes avec lesquels il a travaillé. Il prévoit également d’établir un réseau avec d’autres artistes de la région du Grand Toronto, puisqu’il vient de quitter Calgary pour s’installer à Toronto en janvier 2021.
« Je ne sais pas ce que je ferai ensuite », déclare Imoh. « Je pourrais trouver le prochain artiste avec lequel je vais travailler, écrire ou produire. J’adore surtout le processus. »
Photo par Stacey Lee and/et Bruno Destombes
Barry Paquin Roberge: Comme un antidote à la déprime
Article par Catherine Genest | mardi 16 mars 2021
Kitsch et rigueur musicale s’entremêlent sur Exordium to Extasy, le deuxième long-jeu de la formation montréalaise Barry Paquin Roberge. Un album qui surgit en même temps que le printemps pour rompre avec la morosité ambiante, les derniers milles (espérons-le !) de la seconde vague.
Un an déjà que la pandémie mine nos vies, un piteux anniversaire que Barry Paquin Roberge parvient à nous faire oublier à grand coup de rythmes en 4:4 et de lignes de guitares qui auraient fait l’envie de Prince. Jamais n’a-t-on autant eu besoin de leur glam rock à ascendant disco qu’en ces temps troubles. En tout cas, c’est l’écho qu’entend Étienne Barry, de l’essentiel des commentaires qu’on lui a faits depuis la sortie de cette nouvelle offrande survitaminée aux propensions presque thérapeutiques.
« C’est vraiment comme un rayon de soleil qui est arrivé à la fin février, mettons, pendant que les gens commencent à trouver ça long et plate de ne pas avoir d’activités, d’avoir un couvre-feu un peu ridicule. On ne peut pas se réunir, on ne peut pas sortir le soir, mais au moins tu peux danser dans ton salon, te lâcher lousse. Et je pense que c’est de la musique parfaite pour ça. »
Initialement formé de trois gars, le groupe double ses effectifs et probablement son impact avec cette fraîche collection de dix titres. La plage 1 donne le ton, accueillante et fédératrice BPR Strut (Join Us and You’ll Be Fine), une invitation à la fête assombrie par une menace apocalyptique, un hymne funky qui donne envie de se délier les jambes de toute urgence. Si le monde est sur le point d’exploser, autant en profiter tandis que c’est encore dans le domaine du possible.
« On est bien fans de l’époque disco, mais on aime beaucoup tout ce qui est absurde. On aime rire de nous-même, révèle Étienne. Barry Paquin Roberge, c’est quand même des gars de 40 ans qui portent le linge de leurs tantes. »
Des gars ? Oui, mais pas que. Anna Frances Meyer, la moitié des Deuxluxes en temps normal et l’une des trois recrues dans le cas qui nous occupe, ponctue les pièces de sa flûte traversière (sur Eyes on You notamment) et de sa voix reconnaissable entre toutes, même lorsqu’elle chante à l’unisson avec le reste du collectif. Où qu’elle aille, cette musicienne-là ressort toujours du lot.
Le désormais sextuor compte également le patron de sa maison de disques dans ses rangs, le cofondateur de Costume Records Sébastien Paquin. Forcément, ce membre originel ne manie pas que la guitare et la basse au sein de BPR. Il joue aussi de ses contacts pour faire avancer le projet. « Ça reste une petite équipe… Je crois qu’ils sont rendus quatre employés depuis tout récemment. C’est vraiment des artisans du milieu culturel, nuance Étienne. Mais c’est sûr que c’est gagnant parce qu’en bout de ligne, on a peut-être un peu plus de liberté. »
La mise en marché d’un album nu disco produit par des rockeurs bien établis, des membres des Deuxluxes et des Breastfeeders de surcroît, pose quand même son lot de défis. Dis-moi Étienne, c’est quoi votre stratégie marketing ? « C’est sûr que le rock a peut-être moins la cote. Barry Paquin Roberge, c’est juste de la dance music. Faut le voir comme de la musique pop, quelque chose de catchy, quelque chose que les gens peuvent apprécier sans prétention. Ça rejoint un large public, selon moi. Je pense que tout le monde trippe sur Donna Summer. Quand ça joue à la radio, tu ne peux pas t’empêcher de taper du pied. Nous, on mise un peu là-dessus. »
Gorgée de dérision et en proie aux élans de folie, l’ensemble de l’œuvre de Barry Paquin Roberge est à prendre au deuxième niveau. « On dirait qu’il y a des gens qui ne catchent pas ce degré-là et qui prennent ça mal quand ils voient des musiciens avoir du fun. On le voit dans les critiques qu’on reçoit. Nous autres, au fond, on fait juste rire des conventions pop. On rit du disco, on rit du glam, mais on s’amuse là-dedans. On essaie de rester fidèles à l’époque, c’est très profond comme trip vintage. »
Photo par Chien Champion and/et Yaya
Les Fourmis : de jour comme de nuit
Article par Olivier Boisvert-Magnen | vendredi 12 mars 2021
« Y’en a pas de problème icitte », me lance Sam Rick, l’une des 29 fourmis, lorsque j’arrive au «boogie crib», mythique appartement de la jeune mais foisonnante histoire du méga collectif rap montréalais.
Une phrase qui a de quoi rassurer après mon entrée en trombe, qui a eu instantanément raison du plexiglas très chambranlant de la porte. « Ça arrive… Ça se replace », déclare via texto Don Bruce, autre fourmi et principal locataire du «crib» de la rue De Lorimier, à Montréal. « Mais yo faites ça sans moi les gees… Mon boy m’a appelé pour rider pis j’ai complètement oublié…» ajoute Bruce d’un même élan textuel, en ce début de vendredi soir chaotique.
Avec 29 membres à son actif, Les Fourmis sont pour le moins habituées au chaos. Attablés devant moi dans une grande cuisine frisquette au désordre qu’on devine emblématique, les rappeurs Bkay, AG Kone et Kirouac, la chanteuse et rappeuse Xela Edna ainsi que le grand manitou de l’ombre Sam Rick discutent de leur premier album double dans une bonne humeur aussi contagieuse que difficile à suivre. Pour des raisons sanitaires évidentes, qui dépassent le cadre du simple oubli, ils prennent la parole pour leurs complices absents : Catboot, John Ouain, Gary Légaré, Carey Size, Vendou, Renay, Mantisse, Jamaz, BLVDR, Oclaz, bnjmn.lloyd, FouKi, QuietMike, Kodakludo, Barbara, Papi, Edaï, Eius Echo, Franky Fade, Rousseau, Roby, Yaya et Chien Champion.
Bkay, également membre de LaF, nous aide à y voir plus clair : « En gros, tout ça part de Catboot et du concept de la fourmilière. Toutes les fourmis travaillent vers un objectif semblable, vers un dessein collectif. »
Catboot, c’est l’un des six membres de L’Amalgame, une entité qui précède la naissance des Fourmis. Bien avant l’arrivée de Don Bruce dans l’équation, c’est lui qui vivait au «boogie crib», notamment avec son complice de longue date Vendou. « Tout a commencé à se mettre en place ici. C’était le spot où tu pouvais débarquer quand tu voulais pour chiller ou faire de la musique », relate Bkay.
Preuve irréfutable que le «crib» n’a rien perdu de son essence : aucune des personnes assises autour de la table n’habite ici. « Mais le first thang, c’était aux parcs Lafontaine et Laurier », reprend Bkay, qui a rencontré une partie des membres du collectif en allant «kicker des verses» dans ces deux parcs montréalais en 2013 et 2014. Un projet embryonnaire intitulé La Fourmilière devait voir le jour en 2016, mais le départ monstre de la carrière de FouKi, combiné aux prémices prometteuses de LaF et de L’Amalgame, ont relayé l’idée à l’arrière-plan.
« On a fait plusieurs chansons entre 2016 et 2019. Y’avait toujours du beat qui se passait, mais personne prenait le temps de mixer les tracks. Y’avait pas de structure, pas d’organisation… », poursuit le rappeur. « Ce qui est venu changer la donne, c’est 7ième Ciel. Quand Steve Jolin [directeur de l’étiquette] a donné de l’intérêt au projet, ça nous a obligés à nous structurer. On a eu du cash et on a loué un chalet pour enregistrer un album. »
« J’apprends tellement d’affaires. C’est presque un cours ! », lance Xela Edna, qui a joint Les Fourmis il y a un peu plus d’un an, dans la foulée de leur spectacle en ouverture de Coup de cœur francophone au Club Soda. « Eius Echo [producteur avec qui elle forme également un duo électro-pop expérimental] m’avait invité au show et j’ai tellement eu de fun ! Dans les coulisses, j’entendais parler de chalet, mais j’osais pas m’inviter… Finalement, deux jours avant qu’ils partent, j’étais dans un bar sur Mont-Royal, et Sam Rick m’a demandé : ‘’Tu viens-tu ?’’ J’étais tellement contente ! »
Ce fameux chalet a pris place à Stoneham, en janvier 2020. « Ça nous a mis dans une énergie incroyable », relate Sam Rick qui, en plus de chapeauter l’événement avec Renay, Yaya et Barbara (les autres Fourmis de l’ombre), a posé sa voix sur la douce et sirupeuse Bisou caramel. « Mais à part ça, j’avais surtout du plaisir à observer tout le monde. Le premier beat qui a été fait, juste en arrivant, c’est Rouler un dank. FouKi était assis en train de rouler un joint, et Don Bruce est rentré dans la pièce en lui disant : ‘’Hey t’es jamais pas en train de rouler un dank, toi!’’ On s’est tous regardés, et la mélodie est partie. C’est cave à quel point ça peut aller vite des fois »
« On s’est rapidement rendu compte que le vibe était très différent le jour et la nuit. Le matin, Dom [Eius Echo] se levait pour créer des petits trucs doux. Tranquillement, on se levait à notre rythme et on travaillait sur des tracks comme Bulletproof et Love Donjon. Rien de ça n’aurait pu être enregistré le soir », observe Kone.
« Pis en soirée, on faisait des beats drugged-out », enchaîne Kirouac. « Un soir à quatre heures du matin, on était tous exténués, on avait enregistré toute la journée. Et là Don Bruce dit : ‘’ON FAIT UN BEAT LIVE !’’ On voulait tous aller se coucher… »
« Il a demandé à BLVDR de mettre un beat, un genre de beat très simple avec juste du drum et de la basse », poursuit Bkay. « Tous les gars se sont mis à crier des niaiseries et, à un moment donné, y’en a un qui a crié : ‘’METS TA MAIN DE MÊME !’’ Et un autre a répondu : ‘’GIVE THIS MAN A MIC !’’ »
Naissait ainsi la fougueuse MTMD, bombe rap festive qui ouvre le volume Nuit de l’album double – volume sur lequel Don Bruce prend d’ailleurs une place prépondérante. « Il était debout toute la nuit, donc le jour, il dormait », rapporte Kirouac, en riant. « Des fois, il essayait de venir enregistrer de quoi en pleine journée avec sa voix détruite, mais ça marchait pas. On lui disait de retourner se coucher. »
Au contraire, Xela Edna a été tout particulièrement active de jour, ce qui explique sa présence très constante sur les chansons du premier volet, plus soul et groovy. « Mon but, c’était d’écrire et d’explorer le plus possible. J’étais en compétition avec moi-même dans ma tête. En solo, je parle beaucoup de ma féminité et de ma sensualité, mais là, je voulais aller dans un autre vibe, plus collectif. »
D’autres, comme Kirouac, ont préféré se laisser guider par l’instant plutôt que d’écrire à profusion: « Moi je rentrais dans une pièce et, si j’avais de l’inspiration, je sortais un petit verse. Si j’en n’avais pas, je forçais rien de plus et je retournais jouer à Catan ! »
Après le chalet, Kirouac, Bkay, Vendou, AG Kone ainsi que l’ingénieur de son et producteur Roby ont pris les devants. « On avait 40 maquettes à structurer, à rendre digeste. En soi, ça a été un gros défi. Et c’est là que l’idée de splitter l’album en deux parties est arrivée », explique Kirouac.
Gary Légaré, seule fourmi absente du chalet, est également venu poser sa voix sur quelques chansons. « Il a surtout hérité des fins de tounes. Si tu les écoutes pas jusqu’au bout, ça se peut que tu l’entendes jamais », lance Kone, amusé.
Pour la suite des choses, Les Fourmis comptent sur l’audace des diffuseurs pour donner vie à ce projet ambitieux. En pleine crise sanitaire, difficile de concevoir un spectacle avec près d’une trentaine d’artistes impliqué.e.s… d’autant plus que le recrutement n’est jamais vraiment terminé. « C’est comme le stock market. Ça bouge chaque jour », blague Bkay. « Les frontières sont ouvertes. C’est un projet vivant. En fait, j’en ai pas encore parlé à personne, mais dans un futur lointain, ce serait cool passer le flambeau à 30 nouvelles fourmis. »
« Ouais ! », s’enthousiasme Kirouac. « Comme les chevaliers d’émeraude… ou une équipe de hockey ! »