Pour être honnête, on n’attend pas d’un musicien qu’il soit au meilleur de sa forme au lendemain de son lancement. Pourtant, lorsqu’on joint Éliane Préfontaine, l’une des trois membres du groupe électro pop montréalais Paupière, complété par Julia Daigle et Pierre-Luc Bégin, elle semble prête à attaquer avec entrain l’obligatoire journée de promotion pour À jamais privé de réponses, un premier album qui mérite bien d’être célébré.
« On a toujours le cœur à la fête, mais disons que je suis un tout petit peu plus sage qu’avant », reconnaît-elle d’emblée. « On a appris à la dure lors de notre première tournée en France que ce n’était peut-être pas une bonne idée d’être constamment sur le party quand tu dois jouer tous les soirs. Le jour où on est débarqués, pour les TransMusicales de Rennes, en Bretagne, on devait rencontrer pour la première fois les gens de notre future maison de disques et la combinaison de l’alcool et du décalage n’a pas donné de très bons résultats. Disons seulement que la soirée s’est terminée par une chicane mémorable. »
Heureusement pour le groupe, les gens d’Entreprise, l’un des labels français les plus intéressants de l’heure, n’ont pas tourné les talons et leur ont ouvert les portes de l’Europe, où leur électropop aux forts accents eighties semble trouver des oreilles très réceptives. La maison parisienne, qui compte aussi dans ses rangs des groupes comme Moodoïd, Grand Blanc, Fishbach ou Bagarre, partage le même genre de direction artistique que leur label montréalais, Lisbon Lux. « C’est formidable d’être aussi bien encadrés par des gens qui croient en nous, d’autant que lorsqu’on a commencé le groupe, on ne pensait certainement pas à en faire une carrière » se souvient Éliane.
Ce premier album marque une nette évolution depuis la parution de Jeunes Instants, leur premier EP, et pousse vers de nouveaux sommets leur version très personnelle d’une chanson électropop un brin rétro. Complètement décomplexée, leur musique puise autant dans la synth pop britannique des années 80 que dans la variété française, approchant tous les genres sans la moindre ironie. « On évite de donner un genre spécifique à notre musique, mais à partir du moment où une de nos chansons s’est retrouvée en rotation forte à Énergie (Rex, aussi en lice pour le Prix de la chanson SOCAN, NDLR), on s’est mis à assumer de plus en plus l’idée qu’on fait de la pop. On est toujours un groupe underground et on a des chansons dont les textes sont sombres et minimalistes, mais tous les trois, on cherche à créer des hooks mémorables. »
Lorsqu’elle parle de la musique de Paupière, Julia emprunte souvent à d’autres formes artistiques, comparant leur premier album complet à un long métrage et décrivant des chansons individuelles comme des nouvelles, qui ont chacune leur protagoniste. Les arts visuels (le milieu dont est issu Julia) font aussi partie de l’équation, tout comme le théâtre, d’ailleurs. « Comme on créée essentiellement sur ordi et pas lors de jams, comme un band rock, le défi a d’abord été de trouver comment transposer nos chansons sur scène de façon intéressante, explique Éliane. On pense de plus en plus à notre approche scénique : on travaille avec un metteur en scène et on essaie d’incarner chacune de nos chansons de manière à plonger le public dans notre univers. »
C’est dans un univers nocturne, éclairé par la lumière blafarde des néons, que nous convie Paupière, qui nous invite à une expérience sensuelle où l’on voit avec les oreilles ou l’on écoute avec les yeux, c’est selon. « Au travers de mes paupières je perçois l’univers d’une autre manière », entend-on dès la première chanson, D’une autre manière. Le groupe a-t-il vraiment changé sa perception du monde et de la musique ? « Il y a un peu de vrai là-dedans ; disons qu’on a peut-être acquis une certaine maturité, confirme Éliane. On a vécu nos « Jeunes Instants » avec le premier EP et on a l’impression d’être allés un peu plus loin sur l’album, même si on a l’humilité de dire qu’on demeure « À jamais privé de réponses. »