Le 29 janvier dernier, le groupe post-rock Pandaléon sortait son troisième album, intitulé Atone. Un solide disque de rock atmosphérique dans la lignée des Sigur Ros, Kinski, Flaming Lips, Swans et compagnie. Sans être un « album concept », il y a un fil conducteur tout au long d’Atone, une direction artistique claire et unique. Le résultat n’est pas étranger au chemin plutôt singulier qu’ont emprunté les trois musiciens et leur technicien de son pour enregistrer ces dix chansons. Ils se sont enfermés durant cinq semaines dans leur ancienne école primaire, désaffectée depuis une quinzaine d’années! Pour comprendre cette démarche, il faut remonter dans le temps…

Voici trois jeunes hommes de 23, 24 et 25 ans qui ont été élevés à la campagne, quelque part entre Montréal et Ottawa. Les frères Levac, Frédéric et Jean-Philippe, ont grandi à St-Bernardin, où leurs parents et grands-parents ont longtemps géré une ferme laitière. Leur ami Marc-André Labelle naît à quelques kilomètres de là, à L’Orignal, un village de 2 000 âmes. « On a adoré notre enfance. Ce style de vie où tous contribuent. Éloignés, mais ensemble », confie Fred.

Trois jeunes musiciens qui aiment se renouveler, qui apprécient triturer les sonorités, qui ont un intérêt sans fin pour la composition musicale et l’enregistrement. Tôt, les deux frangins font de la musique ensemble. Frédéric joue des claviers et chante, Jean-Philippe est à la batterie. Ados, ils s’installent dans une ancienne grange de la propriété familiale et la transforment en local de pratique, puis en studio et même en salle de concert intime. C’est ce qu’ils appellent « La Piaule ». Ils y composent toute leur musique. Un labo. Un repère. Un petit coin de paradis.

Le guitariste Marc-André Labelle débarque dans leur vie à la fin du secondaire. Dès sa première visite à la Piaule, les frères Levac sont renversés par son jeu et sa personnalité. La synergie est parfaite, le band est né! « C’est intense être dans un groupe. On partage beaucoup de choses. Tu apprends beaucoup sur toi-même, sur quel genre de musicien tu es. Chaque membre doit être impliqué à fond et c’est notre cas », explique Fred Levac lorsque rejoint par Paroles & Musique à la Piaule. La quatrième roue du carrosse est Nicolas Séguin, ami proche et technicien de son attitré du groupe. Totalement impliqué dans le projet, autant pour la scène que sur disque.

 NOSTALGIE DE L’ENFANCE

Lorsque les thèmes de l’enfance, du passé, de la famille s’organisaient naturellement sous la plume de Fred, les trois musiciens ont voulu sortir de leur zone de confort. « On passe devant notre ancienne école primaire tous les jours. C’est une petite école de village qui accueillait une quarantaine d’élèves à l’époque et qui a dû fermer lorsque mon frère et moi la fréquentions. On savait qu’il y avait un potentiel acoustique extraordinaire dans ce bâtiment. Il fallait saisir l’occasion », raconte Fred Levac.

Pandaléon

C’est ainsi que les quatre jeunes hommes se sont installés pendant cinq semaines à la fin de l’été dernier dans l’école St-Bernardin, avec une citerne d’eau, des matelas et surtout leurs instruments de musique et tout leur équipement d’enregistrement. « On a dormi là, on a vécu là, il fallait aller dehors se brosser les dents, raconte Jean-Philippe dans la vidéo qui présente l’expérience, sur le site Internet du groupe. On oubliait de manger, t’es tellement dedans… T’oublies d’appeler ta blonde, t’oublies tout en fait. » L’immersion est totale.

« L’école elle-même a eu un immense rôle dans le processus. On a passé plusieurs jours à tester les salles, à expérimenter avec le volume et la réverbération naturelle des locaux. Tu me donnes un gymnase pour enregistrer la batterie et je tripe! », d’expliquer Fred. Les photos prises et vidéos tournées dans l’établissement abandonné montrent le capharnaüm dans lequel les musiciens se sont créé un espace de travail et de vie pour la durée du projet.

LE DEUIL

Si le résultat musical a satisfait leur besoin d’exploration et a abouti en un album aux riches sonorités (particulièrement à la guitare électrique), qu’en est-il de l’expérience humaine vécue cet été-là? « C’était très particulier. Le premier soir, nous étions fébriles. Excités par cette nouvelle expérience, emballés de sortir de notre zone de confort. Puis, nous sommes plongés dans cette nostalgie de l’enfance. À force de travailler la musique plus de 18 heures par jour pendant cinq semaines, isolés, nous avons atteint un degré d’intensité élevé. Ça a été le meilleur trip d’enregistrement qu’on a vécu! » raconte Levac.

« Le départ a été rough. Le jour qu’on a quitté l’école, personne n’a prononcé un mot. Nous avons démonté le studio, roulé les fils, sorti l’équipement dans le silence. » Un deuil? « Oui certainement. J’étais artistiquement satisfait de l’expérience et des enregistrements, mais mentalement fatigué. Ça m’a pris deux bonnes semaines avant de rebrancher les instruments à la Piaule », confie Levac.

Où ira Pandaléon après une telle expérience? « On a très hâte de jouer sur scène! On a beaucoup de plaisir à se perdre dans le son de notre musique, jouée live. C’est enivrant! » Faudra-t-il un contexte aussi fort pour concevoir la suite d’Atone? « Je ne sais pas. On verra. C’est probable que nous essayions de composer en dehors de la Piaule la prochaine fois, pour voir ce que ça donne d’être influencé par un autre environnement. » Un disque de reggae enregistré en Jamaïque? « Haha! On ne sait jamais! On ira là où la musique va nous mener. »

Chose certaine, ces quatre jeunes hommes vont continuer d’explorer, de se réinventer, de vivre à fond leur passion pour la musique et l’enregistrement. Pour eux, le chemin à parcourir est aussi important que la destination.