Une seule chanson est parfois nécessaire pour tracer le chemin d’un nouveau disque. C’est l’effet que suscite la pièce « Roi de rien » sur Michel Rivard, une musique et un texte apparus avec tant de clarté que le musicien connaissait déjà la suite des choses. Et ce, malgré cette impression de vide qui l’habitait après deux ans de Star Académie, de chansons composées pour la comédie musicale Les filles de Caleb et d’un retour comme comédien à la télévision.

« J’avais vraiment poussé sur le bouchon. Et j’avais l’impression qu’après tout ça, j’entrerais dans une période de repos. Pis non. La toune “Roi de rien” est arrivée d’un coup, très inspirée par les marches dans mon nouveau quartier, le Plateau, que j’aime pour ses ruelles et ses arbres. Cette toune-là m’a dit “je suis la première d’une nouvelle série”. Elle avait une teinte reliée à mon retour en ville, à mon envie de reprendre possession d’une petite partie de moi qui est très montréalaise. » Pendant les deux ans qui suivent, Rivard écrit, compose et organise des concerts intimes dans de petites salles pour tester son matériel. Non, « Demain n’est jamais celui que l’on pense, » chante-t-il sur « Et on avance ».

Pourtant « Roi de rien », cette chanson qui titre aujourd’hui l’album, ce n’est pas tout à fait Rivard. Rivard, s’il était roi, trônerait sur l’intime, sur les petites choses de la vie, ces détails qui font sourire. Un peu comme la chanson « Styromousse », qui raconte l’histoire d’un gars qui quitte une ville comme on quitte une fille. Devant cette affirmation, l’homme sourit et explique d’où lui vient ce « Roi de rien », ce roi qui ne porte en lui aucune connotation négative. « T’as raison, le roi de rien, ce n’est pas moi, le “je” reste inclusif. Je me suis toujours intéressé à l’infiniment petit, aux petites nuances de relations entre les gens, les objets ou la lune. Quand l’expression “roi de rien” est arrivée, je ne savais pas de quoi la toune allait parler. Mais ça me faisait du bien. Être roi de rien, on n’a pas de responsabilité, on n’est souverain de personne, on n’a pas le poids du pouvoir. Et il y a quelque chose de rassurant là-dedans. Ce qui réunit toutes les images de cette chanson, c’est qu’on peut tripper sur une radio qui ne marche plus, parce ça nous donne du silence. Pis que regarder la pluie par la fenêtre de la cuisine, c’est un peu comme regarder sa vie. Et c’est loin d’être déprimant. »

Rivard est toujours en mode composition, que ce soit avec sa chienne et son enregistreuse, fidèles compagnes de ses marches, ou grâce aux nombreux textos qu’il s’envoie à lui-même pour se rappeler de petits bouts de phrases quand il est hors de la maison. L’homme né dans les années 50 écrit des chansons comme on écrit des histoires. Il ne sera jamais celui à s’époumoner sur ses états émotifs, traçant une fine ligne entre le privé et le public, même dans la création. « Oui, j’ai dans mon répertoire quelques chansons complètement autobiographiques, comme “Toujours là pour elles” qui parle de mes filles, mais je ne serais pas capable de faire de la chanson douloureusement confessionnelle. Ça ne m’intéresse pas. Moi, je me plais à créer des petites fictions et non des documentaires. Et quand tu te mets à chercher la rime, tu changes des morceaux et tu t’éloignes encore plus de la réalité. » Michel Rivard écrit pour vivre ces moments magiques où des bouts de phrases d’un cahier trouvent place dans une chanson en construction, où une musique se marie à des paroles et que le tout devient une troisième entité, belle et autonome. « Oui, on peut se donner des trucs, oui, il y a un travail d’artisanat. Mais il y a aussi une part d’inexplicable. Et ça, ça ne s’apprend nulle part. »

C’est lors d’une invitation à interpréter en mode country « Maudit Bonheur » avec les Mountain Daisies que Rivard clarifie la direction musicale de ce dernier disque. « Pour l’enregistrement de L’Open Country avec les Mountain Daisies, tout se passait comme si on était sur une scène. On jouait live dans les studios Piccolo, tout le monde en même temps. Je voulais vivre une expérience comme ça avec Roi de rien. » Afin de trouver cette véracité dans le son, Michel Rivard invite Éric Goulet comme réalisateur. En dix jours, Rivard et ses fidèles acolytes du Flybin Band (Rick Haworth, Mario Légaré, Sylvain Clavette) enregistrent 15 chansons. « Souvent, on enregistrait plus que deux tounes par jour, » se rappelle Rivard avec un large sourire, fier de cette treizième sortie habitée d’espoir et de solitude, de petits et de grands rien. Un album qui fait du bien, d’un Rivard qui a su maintenir une place unique dans notre culture musicale grâce à son inébranlable intégrité artistique.