Les premiers sons qui sortent de l’appareil téléphonique sont les cris turbulents d’enfants jouant dans le bain, empêchant presque totalement d’entendre la voix un peu surprise de Martha Wainwright. « Oh ! mon dieu. Attends une seconde. Dans le bain, les petits… »

Nous l’avons jointe à sa maison de Montréal alors qu’elle tente de mettre ses deux jeunes garçons de 2 et 6 ans (« presque trois et sept ») dans le bain puis au lit. Il semble qu’elle ait oublié notre rendez-vous téléphonique de 19 h, et elle tente tant bien que mal de donner quelques instructions à la personne qui est là pour l’aider : « Celui-là a déjà brossé ses dents… Combien de temps va durer notre entrevue, monsieur ? » Ce n’est de toute évidence pas un bon moment pour discuter, alors elle me propose de me rappeler dans environ une heure, une fois les enfants couchés.

Pour Martha Wainwright, tout a toujours été une question de famille, avec tout ce que cela implique de chaos et de liens tissés serré. La musique est au cœur de sa famille. Elle est, on le sait sans doute tous, la fille de la regrettée légende du folk, Kate McGarrigle, et de l’auteur-compositeur-interprète américain Loudon Wainwright III, qui s’est divorcé de son épouse l’année ou Martha est née. Après avoir commencé comme choriste dans l’ombre de son frère aîné, Rufus Wainwright, elle a commencé à prendre l’avant-scène à la fin des années 90 en lançant quelques EP très bien accueillis. Son premier album éponyme, lancé en 2005, a été un succès commercial et critique retentissant, et ses parutions subséquentes ont consolidé sa réputation d’auteure-compositrice de talent et de bête de scène captivante.

« J’ai un peu l’impression que c’est une nouvelle ère, le début de quelque chose de nouveau. »

Son plus récent album, Goodnight City, est paru en novembre 2016. C’est son sixième album et son premier en solo depuis Come Home to Mama en 2012. La moitié des chansons sont ses propres compositions, tandis que l’autre moitié lui a été offerte pas des amis tels que Beth Orton, Glen Hansard, Merrill Garbus de tUnE-yArDs, son frère Rufus et l’auteur et poète Michael Ondaatje. On y retrouve également des contributions de sa tante Anna McGarrigle et de sa cousine Lily Lanken.

L’album débute par un trio de chansons qui sont parmi ses plus captivantes à ce jour, en commençant par « Around the Bend » (« I used to do a lot of blow/Now I only do the show », librement : avant je faisais beaucoup de poudre/maintenant je me contente de monter sur scène), suivie de « Francis », au sujet de son plus jeune fils, Francis Valentine, et « Traveller », un hommage touchant à un ami mort du cancer à l’âge de 40 ans.

Après la parution de Come Home to Mama et la naissance de fils #2, Wainwright a consacré les quelques années qui ont suivi à « une vie domestique vécue à fond ». Lorsque le moment est venu de préparer un nouvel album, elle ne savait pas si elle avait assez de matériel, alors elle a eu l’idée de demander à ses amis et à sa famille de lui proposer des chansons qu’elle pourrait interpréter. Mais une fois la balle en mouvement, elle a également trouvé l’inspiration pour en écrire d’autres de son cru. « Je manque de discipline », explique-t-elle après m’avoir rappelé, les enfants étant finalement au lit. « Souvent, c’est une chose qui me submerge.

J’ai réalisé que ce serait un disque à propos de deux choses », poursuit-elle, « parce que je ne voulais pas abandonner mes chansons, mais cela me permettait de choisir parmi les chansons qu’on m’offrait celles qui avaient un véritable lien avec ma vie, d’une manière ou d’une autre. »

Martha WainwrightCette dualité se reflète également dans la photo qu’elle a choisi pour la couverture de Goodbye City où on voit deux images de son visage superposées qui donnent l’impression qu’elle regarde dans deux directions à la fois.

« Oui, confirme-t-elle, le regard tourné vers l’avenir et le passé en même temps. Le concept de dire au revoir à quelque chose est présent, comme l’indique le titre, mais en même temps, ce n’est pas vraiment fini. »

Une des choses qu’elle tente de laisser derrière elle, c’est le deuil de sa mère, morte d’un cancer à l’âge de 63 ans en 2010. Ce genre de blessure guérit lentement, bien qu’elle ne guérisse jamais entièrement. Mais guérison il y a néanmoins.

« Pour la première fois, je commence à accepter la mémoire de ma mère et de sa mort », confie-t-elle. « Je ne suis plus aussi traumatisée ou blessée que je l’étais, et j’ai un peu l’impression que c’est une nouvelle ère, le début de quelque chose de nouveau. »

Martha Wainwright a eu 40 ans cette année et elle a également commencé à écrire ses mémoires, Stories I Might Regret Telling You (Histoires que je vais peut-être regretter de vous avoir racontées), une œuvre qu’elle a presque terminée.

« Ce que j’apprends de ce processus d’écriture c’est que je crois qu’une page va se tourner, sans mauvais jeu de mots. Il en va de même pour ce disque, et du fait de sortir de l’ombre de mes parents et de mon frère, et de me débarrasser de certaines de mes insécurités. Je me sens comme si c’était le thème principal des vingt dernières années de ma vie et je suis prête à passer à autre chose. »

Ses deux enfants bien blottis dans les bras de Morphée, Martha Wainwright se permet enfin un regard d’adieu à son passé tandis qu’elle est à l’aube de nouveaux lendemains.

« Ce disque est beaucoup plus joyeux que la plupart de mes albums précédents », affirme-t-elle. « Je crois que je suis une artiste plus accomplie, peut-être parce que je commence la quarantaine ou parce que je commence un nouveau chapitre de ma vie. J’ai assurément l’impression que le meilleur reste à venir. »