Lisa LeblancElle aurait pu revenir au-devant de la scène et reproduire bêtement la formule qui l’a rendue célèbre. Après tout, l’exploit est de taille. En cette ère d’austérité et de ventes d’albums qui périclitent, Lisa LeBlanc a écoulé 140 000 exemplaires de son premier disque homonyme propulsé par l’emblématique Ma vie c’est d’la marde, le genre de composition qui vous suit toute une vie, comme Hélène colle à la peau de Roch Voisine.

« J’ai été dépassée par le phénomène, confie Lisa LeBlanc avec le recul. Je suis une fille des Maritimes. J’aime jaser avec le monde. Mon inspiration me vient des rencontres que je fais et des discussions que j’ai avec les gens. Mais là, j’étais obligée d’avoir des mécanismes d’autodéfense parce qu’il y avait trop de monde en même temps. C’est un beau problème, et je serai toujours reconnaissante envers le public qui me suit, mais je ne peux juste pas parler 30 minutes avec tout le monde. D’un côté, tu ne veux pas blesser personne, mais de l’autre… J’étais crevée ben raide, au bord du burnout. »

Puis, à l’automne 2014, le maxi Highways, Heartaches and Time Well Wasted nous permettait de découvrir une autre facette de l’auteur-compositrice-interprète. Non seulement elle chantait cette fois la langue de Dolly Parton, mais elle le faisait dans un esprit folk punk-rock survolté. Pour effrayer les radios commerciales qu’elle avait gagnées à coup de refrains fédérateurs francophones, on pouvait difficilement faire mieux. Mais la question demeurait : est-ce que la rouquine osera refaire le coup sur son deuxième album complet ?

« La vie en tournée, c’est de l’adrénaline en permanence. Et là, pow! T’as six mois off pour écrire des tounes encabané dans ton appartement. Allo la crise d’angoisse ! »

La réponse est retentissante. Lancé le 30 septembre 2016, Why You Wanna Leave, Runaway Queen? est non seulement un seulement un album majoritairement anglophone, mais ses douze chansons forme un tout hétéroclite passant par toutes les sphères de la musique folk : explosive sur Ti-Gars (une rare pièce en français), plus traditionnelle bluegrass sur Dead Mans Flat, mélancolique et minimaliste sur I Ain’t Perfect Babe, introspective sur Why Does It Feel So Lonely (When You Are Around), presque hawaïen sur Dump The Guy ASAP. Les distorsions sont assumées, et le banjo raisonne à la vitesse du diable, particulièrement sur cette reprise d’Ace of Spade de Motorhead. Avertissement aux fans de la première heure, Lisa revient là où on ne l’attend pas. Or, son caractère et sa personnalité colorée demeurent sa carte de visite.

« On avait déjà commencé à être pas mal rock en concert pendant la tournée du premier disque. Le EP et le nouvel album sont simplement le reflet de cette tendance qui s’est accéléré encore davantage. Cette direction musicale n’a pas de lien avec le fait que je chante cette fois en anglais. J’aurais fait un disque en français que le résultat aurait été pareil. Je pense juste que j’aime le mouvement. Faire du surplace et vouloir recréer le même buzz que pour mon premier disque ne m’intéressait pas. »

Cette notion de mouvement reviendra tout au long de l’entrevue. Why You Wanna Leave, Runaway Queen? porte bien son titre. « C’est pas mal la phrase qui résume les cinq dernières années de ma vie. On dirait que je suis juste incapable de rester en place. Depuis que je suis partie de chez mes parents, je suis allée vivre un an à Granby pour faire l’École nationale de la chanson. Après, je suis partie en tournée sans arrêt de 19 à 26 ans. Toute ma vie d’adulte a été passée sur la route. Quand c’est tout ce que tu connais, comment tu fais pour arriver à la maison et rester zen ? C’est pour ça qu’il y a plein de musiciens complètement perdus lorsqu’ils reviennent chez eux. La vie en tournée, c’est de l’adrénaline en permanence. Et là, pow! T’as six mois off pour écrire des tounes encabané dans ton appartement. Allo la crise d’angoisse ! »

Six mois, c’est exactement ce qu’il restait à Lisa avant l’enregistrement de l’album, dont les nouvelles chansons n’avaient toujours pas été écrites. Plutôt que de « bad tripper raide à la maison », elle a encore succombé à l’appel de la route: un périple de deux mois aux États-Unis, son deuxième roadtrip au pays de l’oncle Sam en deux ans. « Le premier, c’était le rêve qui se réalisait. Pour mon deuxième, j’ai pris le temps de savourer l’instant présent. J’ai rencontré un paquet de monde. J’ai pris des cours de banjo. J’ai amélioré mon jeu. J’ai jammé un peu partout. Je suis revenue avec quelques idées de chanson en tête. Ça débloquait enfin. »

De retour en ville, la chanteuse a pris la direction du studio où l’attendait le réalisateur Joseph Donovan (Sam Roberts, The Dears). Après avoir collaboré avec Louis-Jean Cormier pour son premier album et Emmanuel Éthier pour le maxi, Lisa recherchait le mouvement, une fois de plus. « Je suis une fan de Sam Roberts depuis mon adolescence. Joseph Donovan a réalisé son troisième album, Chemical City, l’un de mes préférés. J’aime ça repartir à zéro et travailler avec de nouveaux réalisateurs et musiciens.  C’est la même chose avec l’album anglophone. Ça va me donner l’occasion de repartir à zéro et de jouer dans des petits bars aux États-Unis. Ça me motive. »

Lisa donne au passage beaucoup de crédits à Joseph Donovan qui a même convaincu Sam Roberts de chanter sur sa pièce I Love You I Dont Love You I Dont Know. « Joseph m’a vraiment permis de débloquer sur le plan de la composition. Il m’a coaché. On se voyait aux deux semaines pour mon cours d’écriture. Je ne suis pas fan de la routine, mais être obligé de travailler sur le disque m’a fait du bien. J’arrive à me convaincre que je peux être une fille normale. Je suis plus zen. Je comprends tranquillement que c’est le fun voyager, mais ça peut aussi être cool de poser des cadres sur les murs de ton appartement et défaire tes boîtes. »