Les Hôtesses d’Hilaire se moquent des ego fragiles et/ou disproportionnés peuplant l’écosystème musical dans Viens avec moi, un opéra rock conjuguant prog rock, champignons magiques et Lucien Francoeur.  

En 2003, Wilfred LeBouthillier est couronné grand gagnant de la première édition de Star Académie. La semaine dernière, Serge Brideau, hirsute gros nounours à la tête des Hôtesses d’Hilaire, soupait en compagnie du deuxième interprète le plus célèbre de La ballade de Jean Batailleur. « C’est un des premiers qui a écouté l’album, parce que je voulais qu’il comprenne que je ne l’insultais pas », explique le chanteur, au sujet de celui avec qui il a jadis occupé les bancs de la polyvalente W.-Arthur-Losier de Tracadie, au Nouveau-Brunswick.

Mais pourquoi Wilfred aurait-il pu être insulté par Viens avec moi ? Parce que l’opéra rock en question croise les trajectoires d’une version fictionnelle de Serge Brideau, héros de l’émergence éternelle cédant peu à peu à l’appel de l’ego et de la coco, et celle de Kevin, mignon blanc-bec rêvant plus que tout d’exhiber ses cordes vocales le dimanche soir à la télé. Vous aurez compris que Wilfred et Kevin ont en apparence beaucoup en commun, à l’exception près que Wilfred n’a pas, à ce qu’on sache, la réputation d’affectionner les champignons magiques (on y reviendra).

Alors qu’à peu près tout le monde a cessé d’assimiler à un péché digne du bûcher la participation d’un artiste à une téléréalité chantée, voici donc les Hôtesses d’Hilaire qui imaginent un carnavalesque opéra rock de plus de 80 minutes autour de la notion d’authenticité. Vendre son âme, ça veut dire quoi, à l’heure où tout le monde vend déjà son image à rabais sur les réseaux sociaux ?

« L’ironie dans tout ça, c’est que je n’avais jamais tellement écouté La Voix avant », confie Serge Brideau au bout du fil, depuis la résidence de sa gérante, au bord de la rivière Petitcodiac. « Il a fallu que je me force, parce que je voulais m’imprégner de la philosophie de l’émission et voir ce qui vient chercher les millions de gens qui regardent ça chaque semaine. C’est fascinant comment à chaque fois que quelqu’un pousse une note, la foule vient hystérique. Pour moi, c’est pas ça chanter. Tu chantes parce qu’il y a des mots qui te touchent. C’est pas une compétition de culturisme. »

La grotesque caricature des Hôtesses d’Hilaire, alliant prog rock, théâtre et pastiches de chansons pop, demeurerait plutôt convenue si le groupe ne tournait pas également en ridicule un underground se plaisant à magnifier la déchéance, tel qu’incarnée par le personnage de Serge, qui sombrera dans les abysses de la glorification de soi et de l’ébriété ininterrompue. « Je ne juge personne, han, surtout pas ceux qui vont à La Voix, jure le vrai Serge. Je sais qu’en musique, tout le monde est en mode survie. Tout le monde prend des chemins différents pour arriver au même but, qui est de vivre de ta musique. C’est beau dire « Je suis intègre », mais si tu vis encore chez tes parents ou sur le dos de ta blonde, ça vaut pas grand-chose. »

De l’art de ne pas essayer fort

« Des fois, c’est quand t’essayes pas trop fort que ça marche… C’est fucké pareil, la vie, hein? », annonce à Kevin, dans les loges du Centre Bell, un Lucien Francoeur devenu prophète, avant de le propulser sur la route sinueuse, mais révélatrice des drogues psychédéliques, qui lui permettront de s’émanciper de la prison du formatage.

Serge Brideau raconte. « On a fait la première partie d’Aut’Chose et Lucien m’avait vraiment dit ça en me parlant du Rap à Billy. « Écoute mon Serge, j’ai travaillé comme un chien depuis les années 70 sur mes tounes, pour rien, pis j’ai écrit le Rap à Billy sur le coin d’une table en dix minutes pis c’est ça qui m’a mis sur la mappe. »

Si la drogue entraînera un des protagonistes de Viens avec moi vers le proverbial fond du baril, elle permettra aussi au gentillet rossignol Kevin d’ouvrir ses perspectives. « Les drogues psychédéliques, les champignons et le LSD, ça va te faire voir des choses que tu ne veux peut-être pas voir. Tandis que les amphétamines, la cocaïne, ce sont des drogues qui te font oublier et qui te donnent une confiance qui n’est pas toujours méritée. Les deux drogues dans l’histoire sont importantes, parce que celui qui microdose des shrooms, il a une espèce d’éveil, alors que celui qui fait de la poudre s’autodétruit. »

Bien qu’il ne fréquente (heureusement pas) les mêmes extrémités que son alter ego, Serge se dit parfois usé de la route qui ne finit jamais. Pourquoi alors continuer ? « Parce que j’aime ça être sur le stage avec les boys. Je pense souvent au Blues du businessman et ça aurait pu être moi ça, l’ambulancier de 50 ans saoul dans un party qui gratte sa guitare et qui est rendu pathétique. J’aurais passé à côté de cette vie-ci. »

Le double de Serge, lui, connaîtra une rédemption digne d’un magazine à potins lorsqu’il sera avalé en fin de course par la maudite machine du télé-crochet Pousse ta note, où il deviendra juge et entonnera l’hymne à la tempérance Obstacle émotionnel (chanson pissante dont les paroles semblent avoir été produites par une générateur automatique de texte de Roger Tabra, sur une musique digne d’un Pag au bout du rouleau).

Tout le monde serait donc achetable ? « Oui ! Les musiciens qui finissent pas être coach à La Voix, ils ont leur prix. Je ne sais pas combien ils sont payés, mais ils ne font certainement pas ça par passion pour l’émission. Ils finissent par vieillir et leurs priorités changent. C’est normal que tu prennes des décisions de même quand t’as dédié des années à faire quelque chose de pas si lucratif et que tu t’aperçois que tu vieillis. Je ne juge pas ça du tout. C’est facile pour moi de dire que je suis pas achetable ; je n’ai jamais reçu de propositions qui m’ont fait réfléchir. Et puis tsé, j’aimerais ça que La Voix invite les Hôtesses. Mais faudrait que ce soit en direct par exemple ! Ce serait ça ma condition. J’irais pour pas cher, mais faudrait que ce soit en direct. » Quelqu’un connaît le numéro de téléphone de Charles Lafortune ?

Les Hôtesses d’Hilaire assureront la première partie de Galaxie aux Francos le 14 juin et présenteront leur opéra-rock à Coup de cœur francophone le 1 novembre, à Montréal.