Dix ans que l’hydre à six têtes (Luc Brien, Martin Dubreuil alias Johnny Maldoror, Sunny Duval, Joe Gagné, Patrick Naud alias Pat No et Suzie McLellan alias Suzie Mc lelove) écume les salles de spectacle et fait lever le party partout où elle passe. Six têtes fortes et charismatiques, unies comme les six doigts d’une main et qui ne jurent que par le rock’n roll. Les Breastfeeders lançaient au printemps dernier Dans la gueule des jours, un troisième album qui réunit toutes les forces du combo et les propulse à travers une poignée de brûlots rock qui chauffent les bottes et mettent le feu. Dix ans ont passé, mais l’hydre n’a pas pris une ride. Petit bilan avec Luc Brien, parolier, guitariste et chanteur.
Il est 14h, l’heure où les rockeurs se lèvent, se préparent un café et allument une cigarette pour parler de leur dernier album. Dans la gueule des jours est peut-être le meilleur disque des Breastfeeders à ce jour; du lait, on a extrait la crème. « Nos albums, on les fait toujours en réaction au précédent, observe-t-il. À l’époque du premier (Déjeuner sur l’herbe, 2004), le réalisateur (Michel Dagenais) nous avait fait ralentir les tempos en studio. On voulait aller vers quelque chose de lo-fi, de très old school et on avait enregistré sur un deux-pistes. Ça a donné un album qui respirait, mais en show on était plus convaincants. Alors pour le second (Les matins de grands soirs, 2006), on a cherché à se rapprocher de l’énergie du live. On l’a canné vite, en trois mois, et on était contents du résultat, mais on s’est rendu compte que nos fans revenaient au premier. Le troisième, on l’a voulu un peu moins “dans-ta-face”. On s’est forcés pour composer de beaux arrangements et on voulait que les gens puissent les entendre. Entre-temps, on avait réalisé que les chansons se dansent mieux lorsqu’elles sont un peu moins frénétiques. Taper du pied, c’est cool, mais quand ton pied n’arrive pas à suivre le rythme, c’est moins évident! »
En replongeant dans le premier album, on remarque que la voix de Luc Brien s’est transformée avec le temps. Cette voix a aujourd’hui un beau grain rocailleux. Au fil des années, certains chanteurs apprennent à placer la voix autrement comme pour la protéger. Il en va autrement pour le chanteur, qui a laissé le rock lui passer sur le corps, dans le cœur et dans la voix. « Moi je pensais devenir prof de cégep; la musique, c’est arrivé par hasard. À mes débuts, ma voix était basse et posée, je n’étais pas habitué à chanter dans un micro. Dans les shows, il a fallu que je trouve un moyen de passer par-dessus les guitares pour ne pas me faire enterrer. Désormais, ma voix est plus haute. » Et cet organe est devenu en quelque sorte un témoin de l’histoire du groupe. Les tournées, les shows, le sens de la fête, les matins de grands soirs et les soirs sans lendemain, la fougue des Breast : tout cela s’entend dans la voix du chanteur.
Ce qui n’a pas changé au sein du groupe, c’est la chimie qui unit ses membres. Et pourtant, comme le fait remarquer le chanteur, « les Breastfeeders, ce n’est pas la bande à Luc Brien, c’est six têtes fortes, six leaders. Il y a quelque chose qui se passe sur scène. Je n’arrive pas à l’expliquer; c’est quelque chose d’unique, qu’on vit lorsqu’on est réunis. Et c’est ce qui nous rattache. »
De l’étudiant en littérature à l’UQÀM qui voulait devenir prof, il est resté un souci d’écriture pas si fréquent en rock. « Depuis nos débuts, on signe des textes imagés. Il paraît que tout a été dit, alors nous on essaie de le dire à partir d’un angle différent. La plupart des musiciens ont une grande culture musicale, mais rarement la culture littéraire qui va avec – idem pour les critiques d’ailleurs. Après dix ans à faire du rock avec les Breast, un truc que je souhaite, c’est que nos textes soient reconnus. Les gens s’attendent à de beaux textes en chanson, mais moins en rock. Moi je veux prouver qu’on peut faire du rock’n roll à texte! Le rock n’est pas une musique faite pour mettre les mots en valeur, c’est une énergie brute, soit, mais on peut le faire quand même. C’est bien plus le fun de triper sur une chanson qui se danse quand le chanteur a autre chose à dire que “Viens danser chérie, mets ta jupe et maquille-toi”! »
Ce qu’on souhaite aux Breatsfeeders au cours de la décennie à venir, c’est un hit. « Oui, on aimerait faire une toune fédératrice et rassembleuse, un méga-hit; c’est tout ce qui manque à notre feuille de route. Mais on est têtes de cochon, alors si ça arrive, on l’aura fait sans se trahir, à notre façon à nous. » Longue vie à un autre groupe d’ici qui prouve qu’on peut rocker en français avec classe, style, panache et beaucoup de mordant.