Si la santé mentale a d’abord été une question qu’on abordait en privé, il est de moins en moins vrai qu’on en parle derrière des portes closes. Ces émotions désordonnées et inexplicables sont aujourd’hui plus fréquentes, en particulier chez les jeunes. Les statistiques démontrent qu’au cours d’une année typique, un Canadien sur cinq vivra un problème de maladie mentale. Or, selon Katherine Hay, présidente-directrice générale de Jeunesse, J’écoute, ce chiffre est presque de 100 % dans la foulée de la pandémie.

« Quand la COVID-19 a frappé il y a trois ans, on était prêt à élargir nos activités pour répondre à cette demande accrue », explique-t-elle. Depuis 2020, les jeunes sont entrés en contact avec Jeunesse, J’écoute plus de 14 millions de fois. »

Kids Help Phone, Artists for Feel Out Loud

Cliquez sur l’image pour faire jouer la vidéo « What I Wouldn’t Do (North Star Calling) » de Artists for Feel Out Loud

Le 2 mars 2023, dans le but d’amplifier ces connexions, l’organisme national a lancé sa campagne Libère tes émotions – la plus importante campagne de sensibilisation sur la santé mentale des jeunes de l’histoire du Canada – avec son hymne intitulé « What I Wouldn’t Do (North Star Calling) ». Produite par Bob Ezrin (finaliste aux Grammy), Randy Lennox et Carrie Mudd, la chanson est interprétée par Artists for Feel Out Loud, un collectif de plus de 50 musiciennes et musiciens canadiens. Des membres SOCAN de tous les horizons musicaux ont contribué leur voix et leur temps, notamment 2 Frères, Boslen, Dominique Fils-Aimé, Jeanick Fournier, JESSIA, Johnny Orlando, Jonathan Roy, JP Saxe, LOONY, Marie-Mai, Naya Ali, Preston Pablo, Rêve, Roy Woods, Serena Ryder, TOBi And Zach Zoya.

La chanson combine la mélodie du succès de Serena Rydar « What I Wouldn’t Do » et celle de la pièce « North Star Calling » de Leela Gilday qui a été primée aux JUNOs. En deux mois, la vidéo a cumulé 1,2 million de visionnements sur YouTube et un million de diffusions en continu. Jeunesse, J’écoute a par ailleurs enregistré une augmentation de 31 pour cent de son volume d’appels reçus.

L’organisme offre gratuitement des services en matière de santé mentale aux jeunes depuis plus de 30 ans. L’organisation caritative s’est fixé un objectif de collecte de fonds de 300 millions $ d’ici la fin de 2024 afin d’étendre ses services confidentiels de santé mentale et d’atteindre encore plus de communautés en manque d’équité. Tous les bénéfices générés par « What I Wouldn’t Do (North Star Calling) » seront versés à Jeunesse, J’écoute.

« Tu n’es pas seul » est le message de cette campagne. Libère tes émotions vise à faire tomber les barrières à l’accès aux services et au soutien en matière de santé mentale en créant plus d’espace où les jeunes peuvent s’exprimer, se sentir vus et entendus et où leurs émotions sont validées et à l’abri de tout jugement. Il n’est pas surprenant que la lauréate de plusieurs prix JUNO Serena Ryder se soit impliquée, puisque son dernier album, The Art of Falling Apart, explorait son parcours de santé mentale et elle parle souvent et ouvertement de ses troubles émotionnels.

« Le concept même de libérer ses émotions est une des choses les plus importantes que je ressens dans ma vie en tant qu’artiste et en tant qu’être humain », affirme-t-elle. « C’était vraiment génial de voir tous ces artistes se réunir parce que ça les a affectés et qu’ils savent comment on se sent quand on a des problèmes de bien-être mental ou émotionnel. »

Dominique Fils-Aimé

Dominique Fils-Aimé

Dominique Fils-Aimé était heureuse de participer au projet. C’était important pour moi de participer à cette initiative parce que je veux contribuer à la destruction des tabous qui n’ont plus lieu d’être autour de la santé mentale », dit-elle. Nos mondes émotionnels sont complexes, mais encore plus chez les jeunes. Ayant moi-même vécu une période dépressive à l’adolescence, j’ai eu la chance d’avoir du support, sans lequel je ne sais pas comment j’aurais fait. «

« Les jeunes se rendent très vite compte de l’absurdité du monde qu’on leur laisse. Je considère qu’il est de notre devoir de mettre à disposition des organismes comme Jeunesse, J’écoute qui sont là pour valider leurs émotions et les soutenir dans leurs évolutions mentales. En leur donnant les outils plus jeunes, on met plus de chances de leur côté pour qu’ils puissent devenir des adultes épanouis, mentalement sains et équipés pour les montagnes russes qu’est la vie. »

LOONY, une artiste R&B, se souvient d’avoir vu des publicités pour Kids Help Phone à la télé quand elle rentrait de l’école, à Scarborough, Ontario. Elle n’a jamais contacté ni utilisé ces ressources, mais une de ses amies a appelé plusieurs fois et a eu une bonne expérience ; elle savait que Jeunesse, J’écoute était toujours une ressource qu’elle avait « dans ma poche arrière ». Bien qu’elle n’ait jamais décroché le téléphone pendant son adolescence, lorsqu’on lui a demandé de participer à Artists for Feel Out Loud, elle a immédiatement accepté.

« Je suis une personne hyper anxieuse et j’ai un trouble du déficit de l’attention », nous explique la finaliste au SOCAN Songwriting Prize 2020 pendant une pause durant l’enregistrement de son prochain projet. « Comme tout le monde, j’ai vécu toutes sortes de situations et d’événements traumatisants. La majorité du temps, je travaille de manière très insulaire. Je ne fais pas beaucoup de collaborations ou de “features” et je n’ai jamais fait de publicité, mais je me suis dit que s’il n’y avait qu’une seule chose à laquelle je participe, aussi bien que ce soit celle-ci. »

En ce qui concerne sa santé mentale, LOONY est consciente des signes et des déclencheurs qui affectent son humeur. « Pour moi, ça passe par aller dehors, ne pas oublier de manger des aliments qui me nourrissent, remarquer les choses qui me font du bien et faire tout ça plus souvent », dit-elle.

Pour l’artiste hip-hop alternatif Boslen, qui est basé à Vancouver, la musique est l’éternel sauveur qui l’aide à guérir et à tenir les ténèbres à distance. Le jeune homme de 23 ans a grandi à Chilliwack, en Colombie-Britannique, où il allait à la chasse avec son père en plus de « courir après les abeilles et les lézards ». Ses parents ont divorcé quand il avait 12 ans et il ne savait pas comment exprimer ses émotions. Tout est devenu limpide la première fois qu’il a entendu la chanson « Up Up & Away ».

« Kid Cudi et cette chanson m’ont sauvé la vie! » affirme Boslen. « C’est le premier artiste que j’ai entendu dire que son père était absent. Quand t’es juste un “kid”, tu sais pas que t’es déprimé quand tu traînes au parc, tu sais pas pourquoi tu fais de l’anxiété. Mais quand t’entends quelqu’un d’autre en parler, tu te dis “ouais, ça se pourrait que ce soit ça!” Quand t’es un homme, des fois il faut que tu mettes ton égo de côté pour rester ouvert à la croissance. La musique est la meilleure thérapie pour ça. »

Comme LOONY, Boslen a sauté sur l’occasion de s’impliquer dans la campagne Libère tes émotions. « J’adore le message et j’ai toujours eu envie d’essayer des trucs qui ne tournent pas autour de moi », explique-t-il. « En tant qu’artistes, et tout le monde qui a participé à la chanson sait de quoi je parle, ont est esclaves de notre propre musique parce qu’on veut qu’elle soit parfaite. Avec cette chanson, j’avais l’impression qu’on s’oubliait pour le bien des autres. Comment dire non à ça? »

La présidente et directrice générale de Jeunesse, J’écoute, Katherine Hay, est ravie que personne n’ait refusé l’invitation et elle remercie tous les artistes et les entreprises partenaires qui ont rendu la campagne Libère tes émotions possible. Pour elle, les mots suivants dans le deuxième couplet de la chanson chantés par Preston Pablo, gagnant du JUNO de la Révélation de l’année 2023, sont ceux qui la touchent le plus : « Life can bе like a river/That you are floating down/You may not be a swimmer/But I’ll never let you drown » [librement : « la vie peut être comme un rivière/sur laquelle tu flottes sur le courant/Tu ne sais peut-être pas nager/Mais je ne te laisserai jamais te noyer »].

« C’est l’émotion que les jeunes partagent avec nous le plus souvent, selon notre équipe de première ligne », confie Hay. « Ce qu’on veut dire à tous ces jeunes c’est : on ne te laissera pas couler. On est là pour toi. »



Exactement six ans après La grande nuit vidéo, Philippe B offre Nouvelle administration, un album qui nous permet de le reconnaître à chaque mélodie, le rencontrer à nouveau dans chaque histoire ou presque. L’auteur-compositeur-interprète revient avec tout ce qu’on a toujours aimé de lui : une autofiction malléable dans laquelle on finit par se voir quelque part soi-même.

Philippe B, Charlotte Rainville« J’aime l’ironie d’un resto qui change de proprio, qu’on voit l’immense affiche de la nouvelle administration alors que c’est le même menu et le même gars qui fait la soupe », lance d’emblée Philippe B pour expliquer le titre de son sixième album. Dans sa vie, la bouffe du resto demeure la même. Ce qui a changé, c’est la vie. Devenu papa un an avant le début de la pandémie, Philippe B a composé les textes et les mélodies de Nouvelle administration au cœur d’une bulle familiale renouvelée qui a modifié son propos dominant.

« Cet album, c’est Philippe B qui fait du Philippe B. En pandémie, je n’étais pas en train d’essayer de me réinventer, mais plutôt en train de vérifier si j’existais encore », explique-t-il. Retrouver des similarités entre ses nouvelles pièces et les anciennes était pour lui rassurant dans ce contexte pandémique. « Le fait que mon personnage, moi-même, aie changé en devenant père, c’était suffisant pour moi comme renouveau. Ce sont des chansons qui disent autre chose et j’ai réussi à maîtriser ma normalité. »

Grand patron de cette nouvelle administration, Philippe B a tout construit lui-même. Guido del Fabro (violons), Émilie Laforest (voix), José Major (batterie) et Philippe Brault (basse) se joignent à l’auteur-compositeur-interprète qui autrement se fait maître des arrangements, du mixage et de la réalisation de l’album.

« C’est la première fois que je fais le mixage aussi, dit-il. Guido a été ma deuxième oreille pour tout. Il est arrivé assez tard dans le processus, mais je lui ai donné ce rôle-là. Il est capable de faire à la fois le commentaire de changement de fréquence, d’ajustement d’arrangement ou de modification du texte. Par-dessus tout, il me connaît, moi. »

Si devenir parent change la dynamique de la vie, cela se ressent durant les quelque 35 minutes de l’album. « On a été longtemps dans la dynamique du je qui est moi et du tu qui est ma blonde, ou un autre personnage, mais depuis la naissance de ma fille, le nous est un trio et le vous est un duo », raconte Philippe B. C’est le cas dans la chanson Les filles qui dépeint l’ensemble des angoisses, petites et grandes, qui peuvent habiter un homme qui constate, vulnérable, les heurts possibles de celles qu’il souhaite préserver des maux.

Philippe B. Marianne S'ennuie

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En dehors de sa trame de vie personnelle se dessinent deux histoires qu’il réussit à habiter bien qu’elles ne soient pas campées par « son » personnage : Marianne s’ennuie et Souterrain. Dans la première, Philippe B a choisi d’aborder la notion de polyamour et l’ensemble des possibilités qui se déclinent derrière le terme « aimer ».

« Le choix de nom, c’est la Marianne de Leonard Cohen, relate l’auteur qui ne voulait pas retracer trop clairement les contours de l’Histoire non plus. Je me suis demandé comment Marianne aurait vécu cette agentivité aujourd’hui. Elle était la muse de Cohen et leur amour à distance avait plusieurs particularités, mais au bout du compte, les jolies choses qu’on entendait dans les chansons venaient toutes de lui. J’ai fait comme si, pour une fois, on lui donnait le micro à elle. »

L’histoire de Souterrain s’érige quant à elle dans le contexte singulier du film du même nom, réalisé par Sophie Dupuis et sorti en 2020. « Pour faire fonctionner nos méninges durant la pandémie, ma maison de disques avait lancé un projet, à moi et à d’autres, pour qu’on fasse une fausse commande, comme si on devait écrire une chanson qui serait le générique du film. »

Nouvelle administration a mis du temps à naître et plusieurs de ses pièces sont nées plusieurs fois. « Je les écrivais et je me donnais le temps de les oublier pour y revenir, les redécouvrir et valider que je les aimais encore », se souvient Philippe, qui s’est adonné à un processus créatif dans lequel il a été « plus tout seul que jamais ».

À la fin, la chanson L’ère du Verseau met le point final à dix histoires qui se suivent sans se ressembler, malgré l’intense conviction de l’auteur-compositeur-interprète qui n’aurait pas voulu aborder autre chose que la paternité comme filon premier.

« Parler de sa nouvelle famille, c’est bien beau, mais c’est difficile à mettre en chanson sans que ce soit quétaine, rigole Philippe. Je voulais aussi qu’un gars qui n’est pas père pantoute puisse se construire sa propre interprétation. Je voulais retrouver mon Philippe caméléon qui peut être à peu près n’importe qui. Je pense, du moins j’espère, que ça a marché. »



Il y a de fortes chances que vous n’ayez jamais entendu un album canadien dans la même veine que Good Luck de Debby Friday. Ce premier album de la chanteuse et productrice nigériane établie à Toronto est une véritable poussée d’adrénaline de fusion musicale ultra moderne où s’entremêlent rave, rap, industriel, alternatif, R&B et hyperpop – pour ne nommer que quelques-uns des ingrédients. La biographie officielle de Firday la qualifie d’« antihéroïne zilléniale » et quand on lui demande comment elle qualifie son style musical, elle se contente de dire « hybride ».

Debby Friday, What A Man, video

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Son histoire est à la fois typique de bien des jeunes canadiens de première génération et unique à son parcours et sa vision créative. Elle est d’abord arrivée à Montréal avec ses parents et elle a étudié dans une école catholique pour jeunes filles à Westmount avant de graduer dans la scène des clubs « after hours ». Plus jeune, elle rêvait de devenir auteure plutôt que musicienne.

« J’ai toujours été une enfant très créative » dit-elle au téléphone quelques jours avant le début de sa tournée européenne. « J’écrivais beaucoup quand j’étais jeune en me disant que je deviendrais peut-être auteure. Je n’avais toutefois pas la notion de faire carrière dans les arts parce que c’est simplement pas quelque chose qui faisait partie de la façon dont j’ai été élevée. Mes parents me soutiennent pleinement aujourd’hui, mais ils n’avaient simplement pas le contexte pour comprendre ce genre de travail ou d’industrie. On a beaucoup plus de choix, les jeunes de ma génération. On peut essentiellement créer notre propre carrière et c’est exactement ce que j’ai fait. »

Good Luck  – paru chez Arts & Crafts au Canada et Sub Pop pour le reste du monde, nous arrive dans la foulée d’une série de simples et de EP qui ont cimenté la réputation de Debby Friday en tant qu’artiste à surveiller – carrément. Elle détient une maîtrise en beaux-arts et ses vidéoclips sont fortement influencés par ses études et sa passion pour l’art de raconter des histoires en images. Le clip de son simple « What a Man » fait référence à la tristement célèbre peinture du 17e siècle Judith tuant Holopherne d’Artemisia Gentileschi – l’une des seules artistes professionnelles de l’ère baroque en Italie. Elle a également lancé un court-métrage d’horreur surréaliste pour accompagner son album. Mais malgré tout cela, il n’y a pas un art qui se compare à la création d’une chanson, selon elle.

« Je crois que la musique est la forme d’art la plus rassembleuse parce que tu n’as pas besoin de parler la langue de la chanson », dit-elle. « En fait, une chanson n’a même pas besoin d’avoir des paroles pour que tu ressentes une connexion avec elle et avec les gens à travers elle. Des gens aux quatre coins de la planète peuvent ressentir la même chose quand ils entendent un morceau de musique. Je trouve ça absolument magnifique. »

L’artiste nous explique que pour son premier album, elle souhaitait faire passer son écriture et son talent de productrice à un niveau supérieur. « Avant, j’étais très à l’aise avec un seul mode d’expression, mais pour ce projet, je voulais être un peu plus ouverte et vulnérable. Je sentais en dedans de moi ce petit côté qui disait “OK, c’est le temps de faire les choses autrement. Il faut aller plus loin.” J’ai écouté cette voix intérieure et je l’ai suivie. »

Debby Friday, So Hard To Tell, video

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Une partie de ce processus a consisté à travailler avec Graham Walsh, un membre du groupe électronique expérimental Holy Fuck qui a produit d’autres artistes comme Operators, Doomsquad, Sam Roberts Band et coécrit avec Lights. Friday, qui a l’habitude d’écrire, enregistrer, mixer et produire sa propre musique, a rencontré Walsh par l’entremise de son équipe de gérance et comme elle le dit, « il a tout compris du premier coup ». Son bouquet de 17 chansons – écrites majoritairement durant les confinements pandémiques – a été concentré pour devenir 10 petites pièces qui résument des décennies d’histoire de la musique électronique en 33 minutes de plaisir pop. On y retrouve des pièces parfaites pour les pistes de danse comme la très rythmée « I Got It » (avec Chris Vargas du groupe montréalais Pelada/Uńas) ou encore la sinueuse – et biblique – « Let You Down » qui explorent le côté sombre de l’âme, mais aussi des pièces comme la magnifique ballade « So Hard to Tell ».

Friday croit que cet aspect exploratoire de son art est le résultat direct d’avoir grandi à l’ère numérique. « On a accès à ce qui se résume essentiellement à une archive de toute la pensée humaine et toute l’histoire de la musique », affirme-t-elle. « Il ne reste plus qu’à choisir ce qui t’intéresse, ce qui marche pour toi. J’adore expérimenter. Je veux créer de jolies choses. On est rendu à un point dans l’histoire où tout est devenu autre chose – il n’y a plus nécessairement de contexte unique pour une chose donnée. C’est pour ça que j’appelle ma musique simplement un hybride. »