Sept ans après l’énorme succès de SAPOUD, l’un des premiers clips rap québécois à avoir atteint le cap du million de vues, Les Anticipateurs reviennent à la charge avec Temple de la renommée, un album qui recoupe leurs trois thématiques de prédilection : le sexe, la drogue et le hockey. Pastiche du gangsta rap américain ? Satire d’une société québécoise désinhibée ? Ramassis de vulgarités destinées à choquer ? MC Tronel fait le point avec nous.

Les Anticipateurs

P&M : Temple de la renommée est votre 11e projet depuis vos débuts, il y a déjà 8 ans. C’est un rendement assez impressionnant. Vous ne manquez jamais d’inspiration ?
Tronel : « Quand t’es indépendant et que t’as pas de subvention, t’as pas le choix de faire ça au Québec. Si tu bûches pas deux fois plus que tout le monde, tu vis trois fois moins. Tu peux pas attendre trop longtemps, tu dois tout le temps avoir quelque chose dans ton sac et être prêt à le sortir quand c’est le temps. Nous, on a toujours un ou deux albums d’avance. C’est ça qui nous aide à booker constamment des tournées. En même temps, je dis ça, mais y’en a beaucoup qui nous bookent juste pour entendre SAPOUD… »

Est-ce qu’il y a une constante pression à tenter de reproduire un succès aussi fort ?
« On n’est jamais vraiment inquiets à propos de ça, car on a un fanbase ultra fidèle. On n’a pas des fans éphémères qui s’accrochent au nouveau trend parce que c’est cool. Ils suivent l’affaire depuis le début et se demandent où ça va aller. »

Votre évolution musicale est assez étonnante. Vos premières mixtapes contenaient essentiellement des pistes instrumentales de chansons rap américaines connues et, depuis quelques années, vous collaborez avec des producteurs renommés, comme Loud Lord, Lex Luger et, même, Scott Storch [compositeur de hits comme Still D.R.E. et/ou Let Me Blow Ya Mind]. Ça représente quoi pour vous, ces collaborations ?
« C’est comme si on avait des chemises militaires pis qu’on se faisait constamment décorer d’étoiles. Quand t’as l’étoile Lex Luger et que tu finis par avoir accès à l’étoile Storch, c’est un rêve qui devient réalité. »

Est-ce que, tranquillement, Les Anticipateurs est en train de devenir un projet plus sérieux ?
« Ouais, c’est sûr. Notre premier projet [Deep dans l’game, 2011], c’était une couple de tounes qu’on avait faites pour faire rire des chums. Après ça, on a décidé de faire trois vidéos le même jour : GSP, Deep dans l’game et J’fume des bats, dont le concept était tout simplement de mettre le plus de pot possible sur une table. C’est ce clip-là qui a le plus fonctionné, et on s’est rendu compte que c’était possible de faire du cash avec cette merde-là. On a donc choisi de faire la même affaire, mais avec de la poudre… Et on dirait bien que la poudre est plus populaire que le pot au Québec parce que ça a encore plus marché. »

La drogue, le hockey et le sexe sont probablement les sujets qui vous passionnent le plus. Avez-vous parfois envie d’aller ailleurs, mais vous vous empêchez de le faire pour ne pas trop déstabiliser votre public ?
« Faut savoir se renouveler, mais faut jamais oublier que, sans le public, t’es rien. Nos vrais fans vont tout le temps nous suivre, mais y’en a plein d’autres qui vont jamais accepter qu’on change. On essaie de respecter un peu tout le monde là-dedans. Je me souviens que, quand on a commencé à mettre de l’Auto-Tune dans nos tounes, on se l’est fait reprocher. Mais, avec les années, on a compris que, quand ça chiale derrière des ordinateurs, c’est souvent bon signe. »

Considérant la portée de vos sujets et la vulgarité de vos paroles, êtes-vous surpris de ne pas être plus controversés ?
« J’suis pas surpris, car c’est un débat perdu d’avance. N’importe qui qui nous accuserait d’être trop hardcore perdrait son débat en 30 secondes. Tu crois qu’on est hardcore ? Mais y’a des bands de métal qui font le tour du monde et qui parlent juste de Satan et de décapitation ! Dans le rap, y’a des gars comme Future qui passent à la radio, et ça dérange personne ! Ce serait hypocrite de nous accuser ! Après, y’a l’argument :  » Oui, mais on est au Québec ici, c’est pas la même culture qu’aux États-Unis !  » Mais ça non plus c’est pas un argument valable, car la culture québécoise, c’est presque juste de la consommation de produits américains. »

Vous recevez parfois des plaintes, des mises en demeure ?
« On en a reçues, oui, mais ça change rien, car on n’a jamais prétendu être les Mère Teresa du Québec. On n’a jamais forcé les gens à écouter notre musique non plus et on a toujours fait des shows 18 ans et plus. Les Anticipateurs, ça reste d’abord un truc qui exhibe la décadence du show-business. À première vue, on peut donc avoir l’air de parler juste de drogue et de trucs négatifs, mais au-delà de ça, le thème le plus récurrent de nos tounes, c’est d’être un gagnant. Nous, on est des winners pis on diss les losers, that’s it. »

Bref, vous êtes un peu dans le même bateau que certains humoristes controversés qui en appellent eux aussi au deuxième degré ?
« Sauf que, nous on fait pas juste de l’humour, on fait du rap. C’est une manière pour nous de pas sombrer. On a tous des boys qui sont tombés de manière fucked up à cause de la drogue et on sait que, d’où ils sont en ce moment, ils voudraient pas nous entendre chialer à propos de ça. Au contraire, ils voudraient nous entendre faire des jokes ! Prendre les trucs lourds à la légère, ça permet d’avoir une meilleure vie. Les gens qui s’en câlicent, ils vivent plus longtemps, contrairement à ceux qui stressent trop. »

Est-ce qu’on peut aller jusqu’à dire qu’il y a un message à caractère social dans les textes des Anticipateurs ?
« Il y a clairement quelque chose de patriotique en tout cas. C’est la base du hip-hop de représenter d’où tu viens, donc nous, on est fiers d’être Québécois. On aime l’idée d’être perçus comme des superhéros québécois. Des superhéros qui rassemblent le bon et le mauvais du Québec, sans se censurer. »

Vous ne vous censurez jamais ?
« Non. J’ai grandi en écoutant Doggy Style de Snoop Dogg, et c’est plus hardcore que tous les shits qu’on n’a jamais faits. Pourtant, le gars est acclamé partout où il va et il fait des émissions de cuisine avec Martha Stewart. Pourquoi, nous, on serait pas autant acceptés que lui ? Heureusement, y’en a quelques-uns qui comprennent notre vibe au Québec. Je pense notamment à Ariane Moffat, qui est fuckin’ down avec nous. Ça la gosse pas quand elle entend des affaires dans nos tounes. Elle catche… »

Mais vous êtes conscients qu’au sein même de votre public, c’est pas tout le monde qui «catche» ? En spectacles, certains semblent justifier leur propre décadence à travers vos propos…
« Ouais. J’en vois des filles se faire des lignes de coke pendant nos shows. Y’en a même qui font ça sur des subwoofers. Tu te rends-tu compte à quel point que c’est con ? J’en ai vu d’autres venir nous lancer des sacs de poudre pendant qu’on vendait de la merch après un show… Mais bon, qu’est-ce que tu veux faire avec ça ? Des brûlés, il va toujours y en avoir ! Et ça serait scandaleux qu’on nous empêche de faire ce qu’on fait à cause de ça. »

En terminant, quels sont vos plans à court terme ? Vous avez récemment enregistré une chanson avec Lorenzo [rappeur français très populaire], donc j’imagine que la France est dans votre mire ?
« Ouais, certain. On est déjà allé là-bas, et c’était super le fun, mais c’était pas non plus un game-changer. Mais là, on va avoir un clip avec Lorenzo et on sait que ça peut nous amener ailleurs. Une seule photo de lui sur les réseaux, ça te monte ton following instantanément. Ses fans sont compulsifs ! Sinon, c’est certain qu’on en est déjà à anticiper la prochaine étape. Après le Temple de la renommée, qui est l’ultime honneur dans le hockey, on passe au stade de Dieux du Québec. Ça s’en vient probablement d’ici la fin de l’année. »