Shawn JobimOriginaire de Saint-Raymond au Québec, là où il a fait tout son cursus primaire en anglais, Shawn Jobin s’est installé à Saskatoon en pleine adolescence et y a terminé son secondaire… en français. « Ma vie est à contre-courant ! », admet-il avec une certaine fierté.

Au lieu de se laisser abattre, l’artiste a su tirer profit de sa singularité culturelle. Après la parution de son EP Tu m’auras pas, sur lequel il abordait les enjeux linguistiques de sa province, il a raflé plusieurs prix au festival québécois Vue sur la relève en 2014, puis a été nommé découverte de l’Ouest canadien au gala des prix Trille Or l’année suivante.

Depuis, celui qui habite toujours à Saskatoon en a fait du chemin. Sans renier entièrement son œuvre embryonnaire de 2013, le rappeur a tenu à s’en dissocier formellement durant la création d’Éléphant. « Je ne voulais pas d’un album rap engagé moralisateur », dit-il, on ne peut plus clair. « Ça fait dix ans que mon quotidien, c’est de me battre pour mes droits, d’essayer de prendre ma place en tant que francophone. À un moment donné, j’ai tout simplement eu envie de refléter autre chose dans ma musique. »

La tâche n’a toutefois pas été de tout repos. De connivence avec son acolyte Mario Lepage, membre du groupe indie rock saskatchewanais Ponteix, Shawn Jobin a défriché moult avenues sonores sur une période de plus de deux ans. « Le processus a été long, car on l’apprenait en même temps, explique-t-il. On est des bons amis dans la vie, et je crois que ça a déteint sur notre créativité, car on aime bien se challenger constamment. Surtout, on voulait se permettre pas mal n’importe quoi, vu qu’on est en début de carrière et que personne n’a vraiment d’attentes envers nous. »

À la fois teinté de jazz, de soul, d’électro et de musique expérimentale, Éléphant surprend dans sa manière décontractée et éclatée d’amarrer ambiances mystérieuses et rythmes saisissants, parfois déconstruits, sinon carrément chaotiques.

Au milieu de cet album somme toute chargé se trouve l’exploration pop house Danse ta vie, l’un des exemples les plus probants de l’ouverture musicale qui caractérise la chimie du duo. « À la base, c’était une chanson plus brute à la Beastie Boys, mais une fois rendus en studio, Sonny Black nous a fait remarquer qu’on avait la possibilité de l’emmener ailleurs », raconte-t-il, à propos de celui qui a enregistré, mixé et masterisé l’album. « On a décidé d’arrêter la session, et le soir même, on est retournés en pré-prod. C’est là qu’on a trouvé la mélodie principale. »

« J’ai voulu aussi éviter de faire la morale aux gens, en restant dans l’imagé, dans le senti. »

À l’opposé, une obscurité inquiétante se dégage du premier extrait Fou, qu’amplifient le flow ressenti et le texte désenchanté du rappeur. Diagnostiqué d’un trouble d’anxiété il y a quelques années, Shawn Jobin y expose ses angoisses. « C’est une chanson qui peut paraître lourde prise comme ça, mais une fois mise en relation avec les autres de l’album, on peut en retirer quelque chose de plus large. D’ailleurs, l’album dresse un portrait de l’anxiété au quotidien : il y a certaines journées où tout est trash et d’autres où tout va bien », observe-t-il.

Les instants lumineux sont donc au rendez-vous. S’il met le doigt sur ses troubles mentaux en pointant « l’éléphant dans la pièce » sur plusieurs chansons, le Fransaskois apprend aussi à l’apprivoiser : « Je me suis donné comme responsabilité d’attacher un message d’espoir à mon récit pour éviter que ça sonne comme si je m’apitoyais sur mon sort. J’ai voulu aussi éviter de faire la morale aux gens, en restant dans l’imagé, dans le senti. »

Se disant libéré d’un poids immense depuis la sortie de l’album, il continue de vivre avec de nombreux doutes et de se questionner sur la façon dont son œuvre sera perçue. « Je me demande si les gens vont comprendre ou bien s’ils vont penser que j’utilise mon problème pour me rendre intéressant », confie-t-il. « Pour moi, une chose est claire : là j’en parle, mais après ça, je passe à autre chose. C’est ce genre de mentalité que je veux garder tout au long de ma carrière. »