La machine créative du sextuor LaF tourne toujours. Un carrousel à bord duquel montent d’abord Bnjmn.lloyd, BLVDR et Oclaz, véhicules de sons qui se complètent et se comprennent. Bkay, Jah Maaz et Mantisse se greffent au tout avec des mots qui s’imbriquent sans jamais s’invalider. Adepte de cuisine fusion ? LaF propose le rap fusion, là où convergent les sons et les mots dans un esprit de communauté. C’est ça la famille.

« En studio, on vient concrétiser des affaires explorées en chalets, dit BLVDR. On est en mode peaufinage. » Aussitôt l’album Citadelle terminé, les gars avaient déjà mis d’autres pains sur leur planche. « Parce que, quand on est ensemble, on fait de la musique. Notre relation amicale et notre musique sont indissociables. On ne sait pas laquelle arrive avant l’autre », ajoute Bkay. L’œuf ou la poule ? L’amitié ou le rap ?

Et prendre une pause, ça sert à rien. Pour Mantisse, c’est en fait un non-sens de s’arrêter. « On n’a pas pris de vacances de musique. C’est pas parce qu’on a sorti un album qu’on va arrêter de penser à ce qu’on pourrait faire », assure-t-il, toujours les yeux rivés sur la suite.

L’aspect communautaire de leur musique n’est pas né en une nuit. Il n’était pas prémédité non plus. « Avant les Francouvertes on faisait du rap de communauté. Notre public, c’était notre entourage. On ne faisait pas de show à 4 h de Montréal devant des gens qu’on ne connaît pas, lance Bkay. Il y a eu Les Francouvertes, Hôtel Délices (août 2018), la signature avec 7ieme ciel. Après ça a été le switch. On ne faisait plus juste ça pour nous autres. »

Ils estiment que leur vie a définitivement changé depuis tout ça et leur place dans l’industrie de la musique et du rap s’est cristallisée. Leur musique est leur première occupation, leur métier, leur vie. « Benjamin (Bnjmn.lloyd) est le seul à aller à l’école, rigolent les gars », soulignant que cela fait de lui le plus érudit du clan.

Pour comprendre LaF, il faut comprendre les « chalets de LaF », là où tout se passe. Le groupe a développé cette méthode, cette procédure ; un isolement entre eux pour laisser la créativité se manifester. Si l’un de ces chalets, au début, a failli avoir leur peau, ils se sont bien repris par la suite.

« La chanson Tangerine est née en janvier, durant de grandes vagues de froid, explique Bkay. On s’en allait dans le fond du bois à Saint-Adolphe-d’Howard et on avait prévu avoir une demi-heure de marche à faire dans la neige, mais finalement ça a pris trois heures. » Bouffe, eau et matériel d’enregistrement pour quatre jours en forêt étaient regroupés sur des traineaux pour atteindre un lieu profond parmi les arbres : une cabane qui se chauffe aux feux de bois. « On s’est créé une summer vibe au cœur de l’hiver et quand je suis allé couper du bois, j’avais l’impression de le faire pour sauver la vie de mes chums. Ça a ajouté un niveau à l’affaire », s’amuse BLVDR.

« On co-habite avec laisser-aller et on est toujours au service de la chanson. »

Dans tous leurs rassemblements hors des règles de la ville, ils procèdent aux rituels « On arrive au chalet, on sort tout le matériel et on choisit une pièce, explique Bkay. On est souvent dans des endroits différents d’une fois à l’autre. On veut un contact avec l’extérieur, une bonne vibe et que ça sonne bien. » « On installe le stock et ensuite c’est une journée complète où on mange, on chill, on écoute ce qu’on a fait la veille, on part du beat. Pendant que les boys joue sur une mélodie, nous on est en arrière et on écrit des mots, complète Mantisse. On travaille sur toutes les étapes en même temps. »

Quand l’un se fatigue, l’autre s’y met. Pas de raison de couper en plein vol l’inspiration d’un ami. « Bnjmn.lloyd étudie en musique numérique donc il nous apporte tout ce qui est plus académique, moi je suis très intuitif et Clazo a le house flavour », dit BLVDR en soulignant que, normalement, chaque bonne journée ensemble, mène à un bon beat à conserver. « Dans tous les cas, si quelqu’un est mad inspiré et que ça fait avancer le projet, on va y aller, dit Mantisse. On n’a pas la quête de l’équité. On est au service de la chanson et si ça veut dire que je fais juste des backs, ça me dérange pas. On co-habite avec laisser-aller et on est toujours au service de la chanson. »

Technique et versatile, Jah Maaz est, selon ses coéquipiers,  « le meilleur rappeur à Montréal », Mantisse le poète extravagant et Bkay le chef de clan qui colle tous les morceaux. Et avec lui, « quand c’est de la marde, tu le sais. »

Durant les dernières années, le rap a changé et LaF aussi. Ils maîtrisent des codes musicaux et mélodiques qui se fondent désormais dans les œuvres indie, pop et rock. « Je ne sais pas ce qui va arriver à ceux qui sont fondamentalement rap, mais je sais que, nous aussi on est capable de sortir de nos codes et de se métisser, assure Bkay. Nos amis de O.G.B. (le groupe qui a gagné les Francouvertes un an après eux), se sont des jazzman dans le rap et c’est beau pareil. » Les possibilités sont donc infinies pour se renouveler et LaF en est encore qu’à sa première vie.

« Peut-être qu’on a ouvert la porte de quelque chose pour les générations futures et qu’on va juste revenir avec notre son renouvelé tout le temps », dit Bkay. « Comme Luce Dufault, qui fait son retour en 2020 après plusieurs années d’absence », dis-je. « Luce Dufault? », demandent-ils.

Et dans un souci de ne jamais oublier 1996, l’entrevue s’est terminée par une écoute à grand déploiement de la chanson Les soirs de scotch – qu’ils n’avaient jamais entendue – sur les speakers du studio. La musique est un cycle sans fin.