Les anges gardiens prennent parfois des formes inattendues.

Pour l’auteur-compositeur-interprète calgarien JJ Shiplett, qui a passé les 12 dernières années de sa vie à traîner ses pénates dans le circuit des bars, son chérubin est arrivé en la personne de Johnny Reid, l’auteur-compositeur-interprète maintes fois certifié platine et qui joue à guichets fermés dans les arénas du pays.

Après avoir entendu Shiplett chanter les harmonies sur quelques chansons de Joni Delaurier, Reid lui a passé un coup de fil.

« Au début, j’ai été surpris par la voix de JJ », admet ce dernier. Deux jours plus tard, Shiplett était à Nashville et la paire commençait à travailler sur Something to Believe In, un album qui paraîtra en janvier 2017. Peu de temps après son enregistrement, Reid a invité Shiplett à partir en tournée avec lui afin d’assurer ses premières parties et plus de lui offrir un contrat de gérance auprès de son entreprise, Halo Entertainment. Dans la foulée de ce contrat, des ententes avec Warner Music Canada et eOne Music Publishing ont été conclues, et Paquin Entertainment est devenu son agence de spectacles.

« Je crois sincèrement que l’écriture de chansons doit unir les gens et les frapper en plein cœur. »

« J’ai encore beaucoup de chemin à parcourir, mais j’ai l’impression de rattraper le temps perdu, en ce moment, tu vois?? », nous dit-il depuis sa demeure de Calgary. « Je ne crois pas que je changerais quoi que ce soit, parce que c’est ce qui fait que je suis l’auteur-compositeur-interprète que je suis. Je n’ai aucun regret, et je suis heureux d’aller de l’avant. »

Autant Shiplett a impressionné Reid grâce à sa voix de ténor éraillée, autant l’artiste l’a éventuellement impressionné par son talent d’auteur-compositeur, grâce à des pièces telles que « Darling, Let’s Go Out Tonight » et « Something to Believe In ».

« J’ai bâti ma carrière autour de chansons qui parlent de dévouement, de dévotion, d’admiration : c’est qui je suis », affirme Reid. « Lorsque j’ai entendu “Something to Believe In”, je me suis dit que c’est ce genre de chanson dont les gens ont besoin. Elle m’a tout de suite attiré. Il m’en a fait une version acoustique, et je pouvais entendre où j’amènerais cette chanson, avec une chorale. La toute première chanson que j’ai entendue était “Darling, Let’s Go Out Tonight”. J’en suis devenu fan sur-le-champ. Il écrit dans un style que je n’ai pas, il est très abstrait, comparativement à moi. »

Mais au-delà de la progression fulgurante de sa carrière, l’écriture de Shiplett n’a pas changé. « Ce que je fais, d’habitude, c’est d’écrire une chanson jusqu’à un certain point », explique le multi-instrumentiste dont le talent musical a été encouragé par ses parents. « Ce point, c’est lorsque j’ai une bonne ébauche de sa structure et de ses arrangements. Mais pour moi, la création de chansons n’est pas une chose sacrée. J’ai quelques amis avec qui je travaille depuis des années et je leur présente cette ébauche et je leur dis “Voici un squelette, tu peux m’aider à mettre un peu de viande autour de l’os??” »

« C’est une façon de faire qui me convient, car la création musicale peut parfois être laborieuse. Je ne suis pas le genre de type qui peut pondre 10 chansons par jour. Je vais répéter les mêmes deux phrases dans mon esprit sans arrêt, pendant des mois, jusqu’à ce qu’autre chose me vienne. »

En matière d’environnement de création idéal, Shiplett avoue : « Mon environnement est très important pour moi. Je n’aime pas créer assis, je dois être debout. Si je suis chez moi, dans mon salon, je ferme tous les rideaux, j’attrape ma guitare sèche, et je commence à chanter. Je permets à mon instinct, à mes tripes, de prendre le contrôle. C’est comme ça que je tombe sur quelque chose et que je me dis “Voilà une idée sur laquelle je reviendrai”. »

Une fois cela fait, il enregistre ces idées sur un iPhone ou un iPad puis, tous les six mois, environ, il passe ces idées en revue, les combinant, au besoin, si la chanson finale le demande. « C’est à ce moment que je fais un jugement final », poursuit l’artiste. « Je me donne suffisamment de temps pour y réfléchir, pour me dire, ouaip, ça c’est une idée que je veux développer, ou abandonner. »

Shiplett préfère également écrire des chansons comme « Something to Believe In » ­ — créée il y a 5 ou six ans — pour ensuite établir une connexion.

« Ce qui compte le plus pour moi, c’est que je crois sincèrement que l’écriture de chansons doit unir les gens et les frapper en plein cœur », dit-il. « Je veux que les gens se souviennent de moi comme un auteur-compositeur qui frappe les gens en plein cœur assez solidement, avec honnêteté et vérité. C’est vraiment très important pour moi — je veux que les gens ressentent quelque chose. »



Klô Pelgag

Photo by/par Étienne Dufresne

L’auteure, compositrice et interprète Klô Pelgag vient de faire un grand bond en avant en lançant son second album, L’Étoile thoracique, lors d’un épatant concert présenté durant la 30e édition du festival Coup de coeur francophone. Entrevue fiévreuse avec la jeune musicienne originaire de Sainte-Anne-des-Monts, quelques jours avant son départ pour la France, où elle offrira une série de concerts.

Au bout du fil, c’est avec une voix toute menue que Klô répond aux questions. La grippe lui est tombée dessus d’un seul coup, juste après sa rentrée au Club Soda, alors que ses musiciens, son équipe et elle fêtaient cette belle première au bar d’à côté. « Lancer un album, c’est gros ; ça fait quand même plusieurs mois que j’attends ce moment, et après qu’il soit passé, la pression retombe… », échappe-t-elle, magnanime.

« J’avais accumulé beaucoup de stress, confie l’alitée. Présenter de nouvelles tounes à des gens qui ont acheté des billets pour entendre des chansons qu’ils ne connaissaient pas… Je n’étais pas assez confiante par rapport à ça, par rapport à l’engagement des gens. » Et pourtant, ce premier spectacle de son nouveau cycle de création affichait complet depuis déjà deux mois ! « Et ils n’ont mis que deux semaines et demie pour vendre tous les billets, c’est cool. J’ai beaucoup de respect pour les fans », dit Klô.

Gagner les prix Révélation de la SOCAN et de l’ADISQ la même année (2014), ça ne change pas le monde, sauf que… Sauf que, presque du jour au lendemain, Klô Pelgag a réussi à piquer la curiosité du grand public qui, à son tour, s’est laissé séduire par l’univers chansonnier singulier et coloré de l’auteure, compositrice et interprète qui dit avoir arrêté de se poser la question : est-ce que les auditeurs vont tout saisir de ce qu’elle cherche à exprimer dans ses chansons ? « Je me suis déjà posé la question : y’a-t-il assez de clés [dans mes textes pour que les gens en saisissent le sens] ? Moi, je me comprends. Y’a rien de flou dans ce que j’écris, mais y’a des trucs que je laisse en suspens, des portes ouvertes sur plusieurs avenues. Ce qui m’importe, c’est que je comprenne que ça reflète un moment de ma vie, parce que je fais ça pour extirper ces moments, pour mieux les comprendre. J’espère que des gens puissent eux se consoler ou trouver du réconfort dans mes chansons. C’est mon langage intérieur à moi, mais je crois qu’il peut toucher les autres. »

Ambitieux, dans la forme comme le fond, L’Étoile thoracique se révèle être un des meilleurs albums québécois de l’automne. Les textes de Pelgag sont certes souvent cryptiques, les images parviennent néanmoins à frapper notre imaginaire et à transmettre d’authentiques émotions. « Non, il n’est pas triste, l’album, hein ?, opine-t-elle. C’est ce qui me semblait. Je me suis demandé : C’est quoi, le feeling général ? J’étais trop dedans pour la saisir. C’est difficile de se regarder de loin. Je crois que l’album est parsemé de plein de moments amoureux, de moments légers, de contemplation. »

L’album, à nouveau coréalisé par ses partenaires de L’Alchimie des monstres (2013) Sylvain Deschamps et son frère Mathieu, témoigne de la formidable évolution qu’a vécu la musicienne de 26 ans. Les mélodies et les textes ont gagné en rigueur, le travail d’orchestration de cordes et de cuivres (plus d’une vingtaine d’instrumentistes ont collaboré à l’enregistrement) réalisé par Mathieu Pelletier-Gagnon donne énormément de souffle à cet album dense, complexe sans être confondant, impressionnant dans son ambition et son envergure.

La décision de s’investir dans la création d’un album de chansons pop orchestrale « allait de soi, précise Klô. On en rêvait, mon frère et moi – tout part toujours d’un rêve, même le spectacle que je vais monter » spécialement pour les Francofolies de Montréal, le 10 juin 2017 au Théâtre Maisonneuve, avec l’Orchestre du temple thoracique et ses 29 instrumentistes, dirigés par Nicolas Ellis. « L’orchestration, ce n’est pas un truc que je croyais réaliser aussi tôt dans ma vie. Ça s’est placé naturellement, somme toute. L’important fut de convaincre les gens avec qui je travaille que ça vaut la peine. » Chapeau à la Coop des Faux-Monnayeurs d’avoir investi dans le projet.

« C’est très étrange, écrire des tounes. Elles viennent toutes d’un endroit différent, mais empruntent des traces d’émotions de partout. »

Après la tournée de L’Alchimie des monstres, « j’avais une terrible envie de composer de la musique. J’ai joué les mêmes tounes pendant trois ans… Je n’avais plus le temps de composer. Quand j’ai recommencé, ç’a été difficile, mais en même temps hyper-nécessaire. » Ces chansons nouvelles, explique Klô, représentent une petite capsule de temps, toutes écrites à la même période, « surtout les mois de décembre 2015 et janvier 2016, des mois très productifs. Chaque toune est un paysage en soi, ou quelque chose qui s’y rapproche… Sont intenses, quand même, les tounes ! »

« J’ai voulu faire un disque qui s’écoute du début à la fin, comme une œuvre entière, avec des chansons qui se complètent et se répondent entre elles. » Il y a Au bonheur d’Édelweiss et Les Mains d’Édelweiss, même personnage mis en scène, deux récits différents : « Les Mains, ça parle d’une personne aveugle et sa façon de voir et de vivre le monde. Au bonheur parle plus du temps perdu, de l’importance de la famille, cette roue qui tourne, le fait que malgré tout, on se reconnaît dans nos parents, de qui on essaie de se distancer… » Ailleurs dans Les Animaux et Chorégraphie des âmes, des motifs mélodiques instrumentaux sont repris tels quels, comme « deux tounes qui se parlent, qui se font des clins d’œil », souligne Klô.

L’album se termine avec la longue Apparition de la Sainte-Étoile thoracique, sur laquelle on peut entendre un brin de conversation entre Klô et sa grand-mère. « Dans ma tête, je n’imaginais pas ma grand-mère sur l’album. En fait, je pensais à elle sur la chanson J’arrive en retard – c’est d’ailleurs une des seules fois où je sais d’où vient l’inspiration de la toune, que je peux l’associer à un visage. C’est elle. » Et donc, la grand-mère s’est invitée, si on peut dire, à la fin du disque, « après que toutes les tounes aient été faites. C’est une entrevue que j’avais faite il y a cinq ans. J’ai pris sa voix pour la chanson, et puis tout l’album a semblé se tenir ensemble… »

« Ah, je ne veux pas me comparer à des gens trop « cool », dit Klô, mais je pense à la manière de créer de Dali. Il ne s’exerçait pas : il avait un tableau dans sa tête, il pouvait y penser pendant des années et après y avoir réfléchi, il s’assoyait pour le peindre. C’est un peu comme ça que je vois la création de chansons. C’est très étrange, écrire des tounes. Elles viennent toutes d’un endroit différent, mais empruntent des traces d’émotions de partout. Moi, j’écris tout en même temps : le texte, la musique. Et ce n’est qu’au moment du mixage que j’ai le sentiment d’avoir terminé l’album. Quand j’ai trouvé le sens de la dernière chanson avec ma grand-mère, qu’elle est venue ponctuer le disque, me je suis dit : OK, je peux laisser partir le disque, je suis en paix. Je ne veux pas que le disque soit trop parfait non plus. Les maladresses font la beauté de la chose. »

Visionnez “Le début d’un temps nouveau” de Stéphane Venne en 360° interprétée par Klô Pelgag, Loud Lary Ajust et Pierre Kwenders au Gala de la SOCAN à Montréal, le 12 septembre 2016 :



Valerie Carpentier a connu le tsunami La Voix en 2013, alors qu’elle remportait les grands honneurs de la première saison de l’édition québécoise de télé-crochet. S’en sont suivi un premier album complet (L’Été des orages, certifié or), de même qu’une tournée dans plus d’une cinquantaine de villes aux quatre coins de la province. Après un silence mérité, la voici qui rebondit avec une fougue de guerrière, et un gravé, Pour Rosie (Productions J, 2016), dont elle signe onze des treize titres. Rencontre avec une auteure-compositrice en plein carpe diem.

« J’ai toujours adoré écrire, depuis que je suis enfant, lance d’emblée la jeune femme. Pour écrire des chansons, ça prend une connexion à soi-même […] je me suis laissée aller aux plaisirs de la vie, j’ai vécu l’amour et la déchirure, et j’ai découvert des côtés inconnus de moi-même. » De toute évidence, Carpentier n’use ni de retenue ni de gants trop blancs pour décrire son processus de création. Elle poursuit : « C’est dans l’épreuve qu’on apprend à se connaître et grandir. » Une quête flagrante d’authenticité qui éclipse un tant soit peu l’aspect parfois cliché d’affirmations aussi convenues, appuyée par une candeur qui désamorce à peu près toute réaction blasée ou morose qui pourrait surgir. « Je suis très optimiste, c’est archi important pour moi ! » Va sans dire.

« Je suis tellement en paix avec la musique que je fais que je pense que je ne lirai même pas les critiques. »

Valérie CarpentierInspirée des récents aléas d’une carrière qui a fait un bond sur les chapeaux de roues, d’une rupture amoureuse particulièrement houleuse, et des voyages qui ont jalonné son parcours, Carpentier est dans une forme stellaire : « Je suis tellement en paix avec la musique que je fais que je pense que je ne lirai même pas les critiques. Avant, j’avais plusieurs grandes insécurités : dans ma féminité, ma musique, etc. On dirait que je faisais beaucoup de choses pour aller chercher une validation du public et je ne sens plus le besoin d’aller chercher tout ça… ça me permet vraiment de renouer avec quelque chose de plus vrai, de plus authentique. »

Un opus soutenu par une constante très claire, aux yeux de la principale intéressée : « Il y a aussi un concept tout au long de l’album. Rosie, c’est quelqu’un qui cherche l’amour à la mauvaise place. C’est un peu mon alter ego, elle est extrême et perdue tout à la fois. Plus l’album avance, plus c’est moi qui parle. Au final, je me retrouve seule, ça revient à trouver l’amour en soi. »

Musicalement, l’artiste se vautre dans une série d’arrangements soyeux et finement texturés, sous la touche de Jean Massicotte (Pierre Lapointe, Lhasa, Patrick Watson) : « Il est fabuleux ! Je suis un peu fuckée par moments et je décrivais mes chansons en paysages, du genre “ il fait beau, mais la fille est triste et elle regarde les bateaux sur le quai ” ou encore “ je suis en train en France dans les années soixante ”, et il comprenait exactement où je voulais aller. »

En phase avec « son cinéma », la paire a trouvé le juste point d’équilibre sur le fond : « Je voulais des ambiances, ça prenait plein de textures, des instruments coquets et Jean a respecté mes intentions à merveille. Je ne voulais pas que la voix se perde dans un mix, je voulais que ça appuie et allège le texte. C’est vraiment construit autour du texte, c’est définitivement de la chanson. » Et, bien sûr, l’instrument de prédilection de Carpentier, sa voix, prend le haut du pavé une fois de plus, rugueuse et charnelle.

Satisfait de déclarations aussi limpides, nous daignons poser la question à savoir si l’écriture d’un livre pourrait être dans l’horizon des possibles ? « Un jour je vais écrire un livre, c’est certain, mais je pense que je suis trop jeune pour le moment. Il faut avoir quelque chose à dire, et un souffle assez important pour le soutenir […] J’aime tellement la langue française que je devrai sentir que je lui fais honneur du mieux que je peux. » Avant de conclure, dans un éclair de lucidité : « Je ne pense pas que ma mission ultime soit de faire de la musique, je pense que ça devrait être plus important. »

Et toc.