La Force, Ariel EngleCinq ans après son premier album solo, l’autrice-compositrice-interprète montréalaise Ariel Engle relance son projet La Force avec XO Skeleton, collection de neuf chansons pop exploratoires qui traitent sans pudeur de la famille et de la mort. « Cet album est une réflexion autour du sens de la vie et de la façon dont on aime encore ceux qui nous ont quittés », résume la musicienne rejointe à Genève où elle donnait le dernier concert de sa tournée européenne, en première partie de celui de Patrick Watson.

Au coeur de cet album, la chanson titre s’ouvre sur ces rimes : « “God forbid you should die”/ The life insurance broker said to me/ I said ”There’s one thing guaranteed/ It’s that no god or goddess can keep me alive” ». « On dirait les premières strophes d’une chanson country !, rigole Ariel. Ou encore le début d’une blague – ça campe le décor, c’est très concret. »

« Et ça s’est réellement passé comme ça, poursuit-elle. Je n’ai plus d’assurance-vie parce que je trouve ça ridicule, mais j’en avais prise une à l’époque pour rassurer ma mère. J’étais en train de discuter au téléphone avec cette représentante de la compagnie qui m’a carrément dit : « God forbid you should die. » Je me suis dit : Mais pourquoi ne pas en parler, de la mort ? C’est tabou, même pour vous ? J’ai parfois un peu de mal avec ce genre d’hypocrisie. »

C’est ainsi, avec franchise, qu’Ariel a confronté le décès récent de son propre père, « comme c’est arrivé à beaucoup de gens. L’inévitable. Il n’est plus là avec nous, mais il me reste la protection de cet amour qu’il m’a donné toute sa vie. C’est ce qui me permet d’être forte, aujourd’hui : avoir été aimée. Ultimement, personne n’est protégé de la mort. Il faut juste accepter que ça nous attend. »

« Ma fille, poursuit-elle, je la prends dans mes bras, je l’embrasse, ça devient une sorte de rituel de protection », comme celui que pratiquait sur elle son cher papa. « C’est le double sens du titre : XO Skeleton », l’exosquelette, « une carapace » nous protégeant des blessures de la vie, une armure « faite de bienveillance et d’amour ».

Le deuil exsude de XO Skeleton, tout autant que le réconfort, sentiment indissociable de la manière qu’a Ariel de chanter. Quelle belle voix elle a, souple et charnelle, parvenant à réconcilier l’indie pop et la soul. « Ce que je propose avec La Force, c’est la musique la plus standard, plus accessible, reconnaît-elle. Ce que je veux dire par là, c’est que musicalement, ma curiosité porte davantage sur des musiques plus champ gauche. Sur l’album, il y a des moments plus sucrés, des refrains accrocheurs, et je chante ainsi parce que ça me vient tout naturellement ».

Membre du collectif torontois Broken Social Scene, Ariel Engle a également formé un duo avec le compositeur et multi-instrumentiste Efrim Menuck, cofondateur de Godspeed You! Black Emperor ; sous le nom All Hands Make Light, le duo a offert le printemps dernier un splendide premier album de pop expérimentale intitulé Darling the Dawn. « Ce que j’aime de ce projet, abonde Ariel, c’est que ça sonne frais. Un beau mariage entre deux personnes qui proviennent de mondes musicaux différents. On fait quelque chose qui nous plait à tous les deux, mais c’est un hybride et c’est intéressant parce que ça ne ressemble à rien d’autre. »

La Force, Ariel Engle, XO Skeleton

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Il reste de ce projet unique quelques traces dans les orchestrations de XO Skeleton – certes nettement moins bruyant ou fulgurant, mais tout aussi curieux de ces espaces sonores à explorer hors du simple cadre de la chanson, alors que des flashs de jazz, de folk et de musiques électroniques colorent l’album réalisé par Warren Spicer (Plants & Animals). « Warren a été très patient avec moi, commente Ariel. On essayait plein de choses différentes en studio et lorsque ça me plaisait, on le gardait. Je n’ai aucune formation musicale, à proprement dit, alors ma création s’est toujours faite dans l’instinct, ce qui peut aussi être mon principal défaut. »

Pour Ariel, le processus d’écriture d’une chanson se fait avec le même élan instinctif, « le texte et musique naissant en même temps. J’ai presque toujours la même manière de travailler : je commence avec une vieille boîte à rythmes des années 1980, sur lequel je choisis des rythmiques préprogrammées, Samba, disons, ou Rock 2. J’en choisis une qui me parle ce jour-là, puis je compose, généralement à la guitare, sur mon cigar box ou au clavier. Je suis constamment en train d’accumuler des fragments de chansons, si bien que lorsque je m’assois pour composer, tout n’est pas complètement nouveau. Il y a toujours quelque chose en moi qui sait déjà ce que je veux exprimer dans la chanson. »

Exception faite de la dernière chanson de l’album, Outrun the Sun, « celle qui ne fitte pas avec le reste du disque », estime Ariel. Une chanson complètement improvisée, enregistrée en une seule prise, à partir d’un texte écrit par son mari, musicien et poète, Andrew Whiteman. « Cette chanson montre la direction, plus expérimentale, vers laquelle j’ai envie de me diriger », ajoute Ariel, qui planifie de retourner bientôt en studio avec ses musiciens enregistrer un mini-album.