Donovan Woods est le premier à admettre qu’il est incroyablement privilégié. L’auteur-compositeur country-folk jouit d’un immense respect et d’une carrière solo très réussie qui poursuivra son essor avec la parution, en février 2016, de son quatrième opus, Hard Settle, Ain’t Troubled.

Mais il est également, en parallèle, un auteur-compositeur très demandé dont les créations ont été chantées par de nombreuses vedettes canadiennes et américaines du country.

« Je suis vraiment chanceux de pouvoir travailler sans arrêt », explique-t-il au sujet de sa double vie. « Souvent, les artistes se sentent un peu perdus entre deux cycles d’albums. Dans mon cas, une fois terminé ce cycle promotion et tournée qui suivra mon nouvel album, je retourne à Nashville pour travailler sur des collaborations pendant quelques semaines, et j’adore ça. »

Un autre des avantages de ses carrières parallèles est qu’il « peut prendre une chanson que j’ai écrite et que j’aime et la chanter en tournée, tandis que les auteurs-compositeurs professionnels qui écrivent une chanson qu’ils aiment, mais que personne n’enregistre ne sera jamais entendue. »

« Je crois que c’est une bonne idée d’avoir un point de vue sur Nashville, mais qu’il est préférable de ne pas s’y perdre. »

Pour l’instant, Woods joue ses pièces dans le cadre d’une longue tournée de salles dites « à fauteuils confortables » (p. ex. la Massey Hall de Toronto ou le Burton Cummings Theatre de Winnipeg) en première partie de Matt Andersen. Originaire de Sarnia et établi à Toronto, Woods a fait ses armes très tôt grâce à deux albums indépendants passés plutôt inaperçu avant de percer grâce à son Don’t Get Too Grand en 2013.

L’album s’est retrouvé en rotation fréquente sur CBC Radio 2 et a été nommé finaliste dans la catégorie Album roots ou traditionnel par un artiste solo aux prix Junos 2014, et il est très reconnaissant de la visibilité dont il a ainsi bénéficié. « La nomination aux Junos a été une réelle surprise et un bonheur incroyable », se souvient-il. « J’étais peut-être un peu cynique ou snob au sujet de tourner à la radio à mes débuts, mais je parlais complètement à travers mon chapeau. Quel autre médium est meilleur que la radio?? J’étais tellement excité de découvrir l’impression que ça donne, et je sais désormais que je peux me rendre dans n’importe quelle ville au Canada et j’aurai un auditoire. »

C’est environ au même moment que sa carrière d’auteur-compositeur professionnel à Nashville a commencé à prendre son essor. Tout a commencé lorsque la superstar du country Tim McGraw a chanté sa chanson « Portland, Maine » et s’est poursuivi jusqu’à tout récemment alors que Charles Kelley du groupe Lady Antebellum a choisi d’inclure « Leaving Nashville », une collaboration entre Woods et Abe Stoklasa — sur son premier album solo. La chanson au sujet de la vie difficile d’un auteur-compositeur de Music City a été saluée par Billboard, Rolling Stone, American Songwriter, et bien d’autres publications. Donovan Woods a encore plusieurs chansons dans sa besace de Music City.

« Leaving Nashville » figure également sur son plus récent album, Hard Settle, Ain’t Troubled, en plus d’une pièce coécrite avec le légendaire Tom Douglas et de nombreuses collaborations avec ses compatriotes Carleton Stone, Andrew Austin, Gordie Sampson, Dylan Guthro et Breagh McKinnon. Une de ses pièces, coécrite avec Andrew Austin s’est d’ailleurs récemment inscrite au sommet du palmarès de CBC Radio 2.

« Lorsque j’ai commencé à coécrire des chansons, jamais je n’aurais pensé enregistrer une collaboration sur un de mes propres albums. Mais plus on s’améliore en collaborant avec des gens qu’on apprécie, plus on ressort de ces séances de création en se disant “ouais, je pourrais la chanter, celle-là”. »

Woods a commencé à visiter Nashville pour des séances de création dès 2012 et il est d’ailleurs sur le point d’y finaliser une entente d’édition. « J’ai un appart là-bas, mais j’ai choisi de demeurer à Toronto », explique-t-il.

« Je crois que c’est une bonne idée d’avoir un point de vue sur Nashville, mais qu’il est préférable de ne pas s’y perdre », affirme l’artiste. « Je crois que pour moi ce sera toujours un endroit où je vais pour travailler, mais que je peux quitter quand c’est nécessaire. C’est un dur boulot d’être auteur-compositeur professionnel là-bas, et je crois que je détesterais ce travail après six mois si c’est tout ce que je faisais. »

 



« Les Bombes »
Écrite par Michel Pagliaro et Jimmy James
Éditée par Earth Born Music inc.

Dans une carrière, il y a des périodes charnières et des chansons plus marquantes que d’autres. Des titres à succès francophones ou anglophones, Michel Pagliaro en a enregistré plus que bon nombre d’artistes de sa génération. Les Bombes (Aquarius AQ6030), parue en 1987, s’est avérée particulièrement importante.

Cette chanson de gros calibre a ramené Pagliaro sur disque après six ans d’absence et elle est devenue en quelque sorte le tremplin de l’album Sous peine d’amour, paru l’année suivante. Les Bombes, ce fut le retour éclatant de Pag. Retour en arrière.

En ce matin glacial de février dans un café de Montréal, Michel Pagliaro remonte la machine du temps pour discuter de la création de la chanson qui s’est effectuée dans deux pays. Le premier étant la France, où l’artiste a résidé durant cinq ans.

« La chanson, je l’ai faite à Paris. Je dirais entre 1984 et 1985. Du moins, la première ébauche », se souvient Pag, dont le regard est toujours aussi perçant quand il enlève ses incontournables lunettes noires.

« C’est bizarre à dire, mais même si la chanson date de près de 30 ans, c’est à peu près le même monde qui est dans la même soupe. Ça n’a pas vraiment changé. C’est toute la même affaire. »

« Après ça, j’ai commencé à faire des maquettes. Je m’étais bricolé un genre de petite machine pour faire une maquette parce qu’il me manquait des fils… Des alligators clips, pour toutes sortes de raisons. L’appartement où j’étais avait été… (rires) avait été « attaqué » par un garçon qui jouait de l’harmonica pour (Jacques) Higelin. Il avait fait un trou dans le mur à coups de marteau. C’était particulier… Mais je n’ai pas terminé la chanson là-bas. »

 Les Bombes verra le jour sur le sol québécois, au retour de Pagliaro au bercail. Le guitariste Jimmy James était au nombre des musiciens qui ont participé aux sessions d’enregistrement.

« J’avais travaillé avec Michel avant son séjour en Europe, se souvient James. Quand il est revenu, il avait besoin de musiciens et on a renoué. Mike est toujours spontané. Il arrive des fois avec quelque chose comme un riff et il demande : « Qu’est-ce qu’on peut faire avec ça ? » Ça s’est passé comme ça. »

Les musiciens ont travaillé à partir de la maquette d’origine pour les couplets, mais ce fut une autre histoire pour le refrain et le pont musical.

« Je me disais qu’il fallait qu’on aille ailleurs, précise le guitariste. Ma contribution a été liée au bridge ainsi qu’au solo. Là, on a quitté le riff de base, sinon, la chanson allait être toujours sur le même tempo. Et après, on a retravaillé les paroles. »

« Le texte sur la maquette finale n’est pas exactement celui qui a vu le jour en France, précise Pagliaro. Il y a eu quelques retouches. Il y avait des couplets avec les pays « Madagascar », « Haïti », « Viêt Nam », toute la patente… »

On pourrait présumer que le scandale de l’Irangate (la vente d’armes des Américains à l’Iran) qui a fait couler beaucoup d’encre au milieu des années 1980 était l’inspiration de la chanson. Il semble qu’il n’en est rien.

« Il y a sûrement, des fois, des motivations… Comment je pourrais dire… Des motivations cérébrales pour faire quelque chose, souligne Pagliaro. Mais, habituellement, dans mon cas, c’est organique. Dans le sens où il y a une volonté de faire, de développer quelque chose quand tu as un beat en mains ou dans la tête.

« Et puis, tu sors une phrase qui te donne une idée. Parce que c’est de la musique et pas seulement de la pensée. Il faut que ça devienne physique. Concret. La musique, il faut que tu la joues. Tu ne peux pas qu’y penser. En fait, tu peux y penser, mais à un moment donné, il faut que tu entendes de quoi ».

La réputation de perfectionniste en studio de Pagliario est bien connue. Quand le 45-tours Les Bombes/Dangereux a vu le jour, le principal intéressé avait des réserves.

« J’aimais pas le disque. Je n’aimais pas comment ça sonnait, jure Pag. Mais à un moment donné, il fallait que ça sorte. »

 Les Bombes n’a pas été restreint au format 45-tours très longtemps. Les deux titres (l’autre étant Dangereux) se sont rapidement retrouvés sur la compilation Pag Avant (Aquarius/Capitol AQ547, 1987). Et si elles n’étaient pas sur le premier pressage de Sous peine d’amour (Alert 281009-2, 1988), le duo de chansons s’est retrouvé sur le second pressage, sur étiquette Audiogramme.

« On avait enlevé deux chansons en anglais (It’s Love, Rock Somebody) pour mettre Les Bombes et Dangereux. Mais ce sont des décisions de compagnies de disques », ajoute Pagliaro, sourire en coin.

Les Bombes a donc eu droit à trois diffusions distinctes (45-tours, compilation, album original) et a contribué à la relance de Pagliaro qui a marqué un grand coup avec Sous peine d’amour. Depuis? Rien, ou presque, rayon matériel original. Uniquement l’inédite Tonnes de flashes, insérée dans le coffret du même nom (Musicor MUPSCD13-6432) paru en 2011.

La suite pour bientôt? Inutile de poser cette question à Pag, mais notez que l’entrevue a été faite dans un café situé sous le studio dans lequel il est retourné travailler après notre conversation. Espoir, donc. Mais le temps presse…



Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, Gabriel Louis Bernard Malenfant et Jacques Alphonse Doucet, mieux connus comme les voix de Radio Radio, nous parlent de l’exil nécessaire à la création de leur rap ricaneur et débonnaire.

Radio RadioOn a beau être un gris mardi après-midi dans ce discret café du Mile-End, nos deux rappeurs acadiens sont néanmoins sapés comme les princes du bon goût que l’on connaît. « Pour Jacques, c’est naturel, il s’habille comme ça tous les jours », me glisse à l’oreille Gabriel en attendant de commander notre café, jetant un regard sur son barbu collègue, droit dans son costume deux-pièces bleu rayé, cravaté, portant une chemise jaune pâle. Pas demandé s’ils s’habillaient aussi chic même ces jours où ils s’isolent tous les deux pour bosser sur un nouveau projet.

Light the Sky est le petit dernier. Le cinquième album de la discographie du duo, mais le premier conçu sans l’aide de leur fidèle DJ et producteur DJ Alexandre, parti faire carrière solo avec sous le nom d’Arthur Comeau, après avoir bidouillé sous différents autres pseudonymes, parmi lesquels Nom de plume.

Mais revenons à notre café et à l’événement qui nous y amène : la sortie de ce nouvel album de chants de fête, un premier écrit tout en anglais. De fait, si on perd de l’acrobatie vocabulaire, de la poutine (râpée) de français, d’anglais et d’expression chiac, qui était la marque du rap de ces Acadiens, on reconnaît instantanément ce qui fait aussi leur charme : cette invitation à faire la fête dans leur jacuzzi électro-pop rempli des productions de Shash’U, J.u.D. et Alex McMahon, ainsi que Champion sur une chanson, Cause I’m a Hoe.

« Comme sur les autres albums, y’a ce premier degré, léger, fun, commente Jacques. Mais y’a aussi des thématiques plus sérieuses. C’est un peu l’idée du titre : Light the Sky, [symbolisant que] la conversation [qu’on veut tenir] peut aller loin. » Suffit effectivement de gratter plus loin dans le texte pour trouver quelques chansons aux thèmes plus importants que le farniente et les planchers de danse. « On veut aussi écrire des chansons qui abordent des thèmes auxquels les gens ne s’attendent pas », résume Gabriel.

« On est tellement fort dans le feel good, dans cette « acadianité » qui nous caractérise, mais il faut plonger derrière les refrains accrocheurs pour y trouver notre profondeur », Gabriel de Radio Radio

Pour des rappeurs, disons qu’ils ont une méthode de travail inattendue. Artisans du verbe, ils ne sont pas du genre à conserver un calepin et un crayon dans la poche intérieure de leurs jolis vestons. Écrire n’est pas un geste spontané ni un besoin quotidien. Tous leurs albums ont été conçus selon le même plan de travail : « on s’extrait de nos amis, de nos familles, de nos vies, et on planche intensément sur la composition et l’enregistrement. »

Certaines idées germent cependant sur la route en tournée : « On jamme des idées, on jamme les hooks, on rit de nos histoires, on s’obstine souvent sur à peu près n’importe quoi, explique Gabriel. On note tout ça dans nos téléphones; c’est une sorte de recherche perpétuelle de concept de chansons. Mais lorsque le projet est sur les rails, ensuite, on se fait une vraie bonne session de travail, idéalement hors de Montréal. »

Le travail sur Light the Sky a commencé il y a presque un an, lors d’une de ces sessions de travail… à Cuba. Rien de trop beau! « On venait de lancer l’album d’avant qu’on était déjà à Cuba pour « refocuser » et penser à l’album suivant, enchaîne Jacques. Un peu de plage, ensuite on écrit dans la chambre pendant une ou deux heures, bricoler des beats sur l’ordinateur. »

L’idée de faire cet album en anglais était déjà dans le collimateur. D’où, cette fois, le choix d’une nouvelle terre d’accueil créative : Brooklyn, en septembre dernier. Gabriel : « On voulait s’immiscer dans la culture locale, dans ce haut-lieu du rap. À la place, on était entouré de Français et de Québécois », rigole-t-il. Les productions des collègues Shash’U, J.u.D. et Alex McMahon étaient déjà avancées; ne restait plus qu’à écrire les textes et enregistrer des maquettes vocales.

Chacun est responsable de ses textes, mais écoute les commentaires de l’autre. « On a nos thématiques, on brainstorm, et en une semaine, on a l’idée générale, la direction de l’album, ajoute Gabriel. » Tout se fait en studio, la composition, l’enregistrement. « On fait ça sur le tas : moi, j’écris pas sans la musique, dit Gabriel. Lorsqu’on a un bon hook, le reste vient tout seul : la thématique, le refrain, les couplets. À Brooklyn, on est parti seulement avec les instrumentaux de Shash’U; le reste a été complété à Montréal. »

Pour Radio Radio, l’album est une création de l’instant, un geste initialement spontané, puis réfléchi, peaufiné, jusqu’au résultat parfait. « Les musiques qui nous inspirent doivent être dynamique, bouncy, joyeuses, dit Gabriel. Après, on décline ».

Ce goût de la fête si caractéristique de leur musique s’explique donc en partie par la méthode de travail, mais n’en résume pas toujours l’esprit, préviennent les rappeurs. Reprenons le sens du titre. Face aux étoiles, on peut adopter deux postures : « Juste regarder le ciel et profiter du moment présent, profiter de ce qu’il nous procure, explique Gabriel. Ou bien, on peut étudier les étoiles, les observer à fond, chercher des réponses », ce que Jacques appelle le « côté astrophysique » des chansons de Radio Radio.

Gabriel conclut : « On est tellement fort dans le « feel good », dans cette « acadianité » qui nous caractérise, mais il faut plonger derrière les refrains accrocheurs pour y trouver notre profondeur. Souvent, nos refrains disent une chose légère, et les couplets partent dans une autre direction. Par exemple, la chanson Cause I’m a Hoe aborde le problème de la prostitution dans notre société. Les gens ne s’attendent pas à ce que l’on parle de ces choses-là. Les party tunes, je veux bien, on aime ça. Mais cherchez un peu et vous trouverez un second degré. »