KriefOn l’a connu au sein de The Dears, à l’époque dorée du rock dit indé dans la langue de Cohen, en ces années marquées par l’envol d’Arcade Fire ou de Stars. Les modes ont changé, le proverbial son de Montréal tend maintenant vers le rap en franglais, mais Krief signe et persiste. Il garde le cap sur ce qu’il sait le mieux faire : des chansons tristes et mordantes, tout à la fois.

De ce Mile-End moins gentrifié, sorte de terre promise du jeune musicien dans le vent et coincé dans ses skinny jeans, Krief est de ceux qui ont régné en maîtres. The Dears, formation révélée en 2003 par No Cities Left, a fait beaucoup de bruit, particulièrement au tournant du millénaire. Localement, certes, mais aussi aux États-Unis et en Europe.

« Il y avait une grosse scène à Montréal, mais on dirait qu’il n’y avait vraiment rien qui se passait ici. Tous ces groupes de Montréal faisaient de grandes choses en dehors de la ville et quand on rentrait chez nous, c’était vraiment tranquille, il n’y avait pas beaucoup de shows, mais on se tenait beaucoup ensemble. De 2004 à 2010 j’étais toujours dehors, dans les bars, dans les clubs avec les autres bands, les Stills, Sam Roberts, Stars… […] Par rapport à la scène de maintenant, je n’ai aucune idée. C’est rare que je sors de chez moi ! Même avant la pandémie, j’étais vraiment un home buddy. »

Volontairement assigné à résidence, Patrick (de son prénom) compose à présent en solitaire et avec ce souci de pondre quelque chose d’intemporel. De classique, en un sens. Des échos d’Abbey Road et du White Album retentissent, subtilement, mais tout de même, sur les plages de son Chemical Trance paru à la mi-août du présent millésime. Les Beatles ont, mine de rien, déteint sur l’artiste qu’il est devenu.

« Comme batteur, mon modèle c’est peut-être un peu Mitch Mitchell qui accompagnait Jimi Hendrix, mais surtout Ringo. J’adore la façon qu’il a de jouer sur I Want You (She’s So Heavy), par exemple. Même la manière dont je règle les drums et j’installe les micros, c’est vraiment une approche old school. […] J’aime la musique moderne, j’écoute de la pop, j’écoute de tout, mais je ne cherche jamais les tendances ou à savoir ce qui est hot maintenant. Ça m’intéresse pas tellement. Si je faisais ça, le risque d’être démodé serait plus élevé. »

On l’a connu à la guitare, son instrument principal, l’extension de son corps, le catalyseur des émotions qui l’habitent. Les solos de Krief, des passages toujours improvisés en studio, disent chez lui bien plus que les mots. Comme si, finalement, il se donnait le droit d’hurler sans ouvrir la bouche. « Si je le voulais, je pourrais faire cent mille notes à l’heure, mais ça ne me dit rien de faire ça parce que j’ai toujours envie que la guitare chante une chanson elle-même, qu’elle raconte une histoire ou un feeling. C’est vraiment facile pour moi d’exprimer la colère à la guitare, plus facile qu’avec ma voix. Dans Man About Lies, il y a tellement de rage là-dedans que ça n’a même pas de sens musicalement, c’est vraiment weird. On dirait des sirènes de police, une bataille ou je ne sais pas quoi. »

Krief s’avère également être un redoutable homme-orchestre. Multi-instrumentiste de son état, il signe presque tous les sons entendus sur ce nouvel album gorgé d’emportement, de peine, d’ambiances réellement psychédéliques… Et de changements de direction dramatiques ouvertement inspirés par l’héritage immense de Beethoven, confie-t-il. Cette collection de pièces complexes et progressives le révèle sous toutes ses coutures. « C’est vraiment le fun pour moi de faire chaque instrument parce que je peux être différentes personnes. Je rentre dans un personnage. Quand je joue du drum, je suis un autre gars. J’ai besoin de le faire pour que d’autres aspects de ma personnalité sortent. »

Cinématographique et intense, Chemical Trance transporte. Des vidéoclips sont d’ailleurs dans le collimateur, des mises en images produites pour chacun des morceaux. De quoi à se mettre sous la dent avant que, finalement, les concerts puissent reprendre.