« Je n’ai pas l’habitude de prendre la parole pour parler de moi, des choses que je vis. Je suis plus du genre à approuver ce que l’autre du groupe dit », précise au bout du fil Karolane Carbonneau, visiblement nerveuse à l’idée de donner cette première longue entrevue en solo. « Je suis dans l’ombre et je suis bien là-dedans… mais quand je suis sur scène, ce n’est pas la même chose. »

Karolane CharbonneauÀ la fois guitariste, mixeuse, réalisatrice et technicienne de son, la Montréalaise partage notamment son temps entre deux groupes à l’énergie diamétralement opposée : le septuor pop folk groovy comment debord et le groupe punk rock NOBRO. La typographie des noms des deux formations incarne bien d’ailleurs cette différence marquée entre les deux répertoires.

« Avec comment debord, en spectacle, on s’adapte au public avec qui on est. On ne fera pas la même chose si on joue en plein après-midi devant des enfants ou si on joue en soirée avec juste des adultes. Dans tous les cas, on n’a pas l’air de jouer de game. Souvent, on jase de nos fins de semaine sur scène… Avec NOBRO, c’est autre chose. On fait toujours le même show ou presque. Et les gens ont juste pas le choix d’embarquer ! C’est juste que, si y’a des enfants dans l’assistance, Kathryn (la chanteuse de la formation) va s’excuser aux parents de parler de drogue. »

Née en 1993 à Pointe-aux-Trembles, dans l’est de l’île de Montréal, Karolanne Carbonneau a toujours eu, ou presque, une attirance pour la musique. Les souvenirs de ses partys de famille chez sa tante, à danser, à chanter du karaoké, à regarder des spectacles sur la télé, sont nombreux. Son père, qui jouait dans un groupe rock, l’initie tôt dans sa vie à différents aspects de la création musicale. « Mon premier souvenir, c’est moi qui joue avec un enregistreur 4 pistes dans le sous-sol, là où mon père enregistrait avec son band. L’envers du décor m’a toujours intéressée. C’est pour ça que j’ai voulu être technicienne de son. »

La passion pour son instrument de prédilection, la guitare, arrive grâce à cet amour pour « l’envers du décor ». « J’ai commencé à jouer de la guit vers 7-8 ans, mais je trouvais ça trop tough. J’étais perfectionniste et un peu impatiente. C’est plus tard, vers l’âge de 12 ans, quand j’ai eu accès à un tape cassette que j’ai eu envie d’enregistrer ma voix avec des arrangements de guitare. J’aimais l’idée de m’enregistrer, pas juste de jouer. »

Karolane Charbonneau, NOBRO, press photo

Après des expériences formatrices au sein d’un groupe rock à l’adolescence, Karolane Carbonneau se tourne, à l’université, vers des études en musique numérique. « Je voulais pas faire le programme de guitare jazz car je voulais pas être le centre de l’attention. Ça me stressait de faire les auditions. Et j’avais pas envie de vivre ce stress-là. » « En gros, je suis très stressée », résume l’artiste. « Mais j’essaie de m’ouvrir, de m’exposer davantage au monde. »

C’est durant ses études universitaires que Karolane se fait les dents sur la scène indie montréalaise. « Je voulais travailler dans les salles de spectacles. J’étais tannée d’avoir des jobs pas rapport – pour moi, c’était une perte de temps. Je voulais avoir une job reliée à la musique afin de rencontrer des musiciens », dit celle qui a notamment été technicienne de son à la Sala Rossa, au Quai des brumes et à l’Esco, à Montréal. « C’est comme ça que j’ai rencontré Antoine Corriveau, qui se cherchait une tech pour sa tournée. »

En plus de Corriveau, l’artiste a travaillé, que ce soit comme technicienne ou guitariste, avec Jonathan Personne, Safia Nolin, Laurence Hélie et Alix Fernz, parmi bien d’autres. Elle a également deux autres projets bien champ gauche : le groupe math rock Stucco et la formation rock humoristique Mario 2. C’est grâce au mélange de toutes ces initiatives qu’elle réussit à gagner sa vie. « Je pense qu’on n’a pas le choix de se diversifier pour que ça marche. À moins d’être chanceux… mais même à ça… »

Difficile d’analyser la part de chance qu’il y a dans tout ça, mais Karolanne Carbonneau a l’occasion de jouer dans deux groupes qui fonctionnent très bien ces jours-ci. Et tout ça l’amène à passer beaucoup de temps sur scène et, donc, à sortir de sa coquille. « Mon anxiété sociale a souvent pris beaucoup de place. Ça m’a pris du temps, par exemple, à jouer des solos de guitare sur scène. C’est quand je suis entrée dans comment debord que ça a changé. Les autres membres voulaient vraiment que je fasse des solos. »

C’est grâce à ses collègues de NOBRO, en particulier la chanteuse Kathryn McCaughey, véritable bête de scène, qu’elle a découvert une autre partie, insoupçonnée, d’elle-même. « Le premier show que j’ai fait avec le groupe, c’est en 2018. Kathryn m’avait dit : ‘’Faut pas que tu aies peur de bouger, de crier !’’ J’me souviens du feeling que j’avais après le show… Je me sentais tellement bien ! C’est une autre partie de moi qui ressort avec le groupe. Je ne suis pas énervée comme ça dans la vie de tous les jours, mais je vis mes émotions intensément. »

Karolane Charbonneau. NOBRO, JUNO, awards, 2025Les nouvelles se succèdent rapidement pour la formation montréalaise, qui compte, depuis quelques mois à peine, sur cinq membres, dont trois nouvelles (Josée Caron, Tara Cohen et Andy Silver). En mars dernier, NOBRO a remporté, contre toute attente, le prix JUNO de l’album rock de l’année, devançant, entre autres, les légendes du punk canadien Sum 41. « Ce qui est spécial, c’est que toutes les caméras étaient braquées sur Sum 41, à l’autre bout de la salle. Pour nous aussi, c’était évident que ça allait être eux. La surprise était totale quand on a entendu notre nom […] et la seule personne que j’ai réussi à remercier sur scène, c’est mon père. Il est décédé récemment, je pensais à lui. J’étais contente de gagner, mais en même temps, je trouve ça plate qu’il n’ait pas vu ça… »

Après une période aussi intense sur le plan émotionnel, Karolane Carbonneau se concentre sur un été bien chargé, entre les spectacles de comment debord et la création de nouveau matériel avec NOBRO. « Je ne pourrais pas me passer d’un ou l’autre des groupes. Ça me procure, dans les deux cas, un sentiment d’accomplissement, un sentiment d’avoir fait du bien aux gens. Même si la musique est à l’opposé en termes d’énergie, y’a quelque chose qui relie les deux… C’est juste que mon chandail est plus trempé après un show de NOBRO. »