Pour souligner le Mois de l’histoire des Noirs, la SOCAN a demandé à plusieurs de ses membres Noirs d’écrire un texte sur le sujet de leur choix. Voici celui de Joseph Sarenhes, artiste québécois d’origine guinéenne et autochtone (Nation huronne-wendat), l’un des lauréats de l’édition 2024 du Mois de l’Histoire des Noirs et choisi parmi les Révélations Radio-Canada 2023-2024.

Un si court moment où on demande à la population de tendre l’oreille vers l’origine du monde. Ce mois se doit de célébrer d’abord et avant tout l’Afrique. Quand je dis l’Afrique, je ne parle pas du folklore si mal représenté en occident qui tend à résumer cet univers si vaste en un simple safari, mais plutôt de ses racines profondes et si riches.

Que recèlent donc les profondeurs de l’Afrique ? L’avons-nous oublié ? Ne devrions-nous pas d’abord nous poser cette question primordiale et en profiter pour réaffirmer notre sagesse identitaire, avant de faire la promotion de la beauté des cultures de ce vaste continent ? Nombreux sont ceux qui ont oublié. Nombreux sont ceux qui ont troqué de vieilles légendes transmises par tradition orale pour une culture corrompue qui propose un modèle altéré de ‘’l’Africain’’ en l’aliénant dans un discours qui s’autoproclame progressiste ; l’Afro-Américain.

Cela me peine de constater que les jeunes afrodescendants de ma génération semblent dépourvus d’intérêt en ce qui a trait à leurs pas si lointaines origines. Mais bon, qui n’échangerait pas de vieilles racines sèches pour de belles armoiries scintillantes et quelques promesses enivrantes ? Posons-nous donc la question suivante ; qu’est-ce qui fait de nous des afrodescendants ? Est-ce notre ascendance ? Est-ce notre couleur de peau ? Est-ce que ce sont nos origines géographiques ? Toutes ces réponses sont plausibles, mais nous pouvons regrouper toutes ces affirmations en une seule. Nous sommes afrodescendants, car nous sommes Africains. Bien que cela paraisse évident, et même simpliste, ce n’est que dans les mots que ce l’est.

Le concept de l’Afro-Américain veut que l’Afrique en nous soit indéfiniment rangée dans un vieux tiroir et qu’il soit oublié. Ce terme, encore récent, propose d’un angle fallacieux, l’évolution de l’Africain. Cette idée est tellement ancrée dans nos sociétés qu’on peut parfois observer une réticence envers l’identité africaine chez plusieurs membres de la communauté Noire, sous prétexte que la nouvelle identité de l’Africain occidentale serait beaucoup plus digne de fierté. Sommes-nous prêts à en parler ? Ce mois doit être un moment où nous prenons le temps, avec nos aînés, de nous poser ces questions et tant d’autres.

J’ai eu l’honneur d’être nommé ‘’lauréat du mois de l’histoire des Noirs 2024’’, par la ville de Montréal. Bien que moi-même et les miens soyons remplis de fierté, ce prix engendre chez moi de profondes réflexions. Avoir cette tribune si tôt dans ma carrière m’oblige à réfléchir et j’irai même jusqu’à dire à philosopher sur la responsabilité qui y est rattachée. Nous évoluons dans un environnement artistique où la reconnaissance est loin d’être proportionnelle au talent et l’impact communautaire qu’un artiste peut avoir. La lumière surplombe plutôt ceux d’entre nous qui ont été adoptés par la grande machine, qui agit pour son propre intérêt et peut-être un peu pour le nôtre. Trop d’artistes Noirs sont tombés dans l’oubli, car ils ont évolué en dehors du grand système et de l’industrie musicale populaire du Québec. Trop nombreux sont les artistes africains qui ont pavé le chemin pour moi dans cette ville, mais dont le nom ne se retrouvera probablement jamais dans le livre d’or de l’Hôtel de Ville. Est-ce vraiment important ? Non, ils n’en veulent probablement pas, mais si nous voulons célébrer le peuple Noir dans notre ville, nous nous devons de sonder la communauté Noire afin de récompenser ceux qui ont façonné les artistes et acteurs sociaux de demain.

À quoi bon célébrer nos origines si nous ne célébrons pas les ancêtres de demain ? À quoi bon festoyer un mois durant si les fêtés ne sont de la partie ? Cette célébration n’a de sens que dans l’authenticité par la redécouverte des profondeurs de l’Afrique. Le mois de l’histoire des Noirs, c’est célébrer l’Afrique en nous, sans compromis, sans complexe et avec grandeur.

Joseph Sarenhes assurera la première partie de Valaire au Club Soda, à Montréal, le 7 mars 2024.