Jeffrey Piton

Photo: Guillaume Beaulieu

On pourrait dire que ça s’entend dans sa voix feutrée : Jeffrey Piton n’est pas du genre à forcer la main du destin. « Quand je compose, je ne m’acharne pas beaucoup, explique-t-il. Je vais m’asseoir pour écrire et si en deux heures je n’arrive à rien de pertinent ou d’intéressant, je ne m’en fais pas trop avec ça. Je laisse tout ça de côté et j’y retourne le lendemain. Je me dis que ça ne sert à rien d’insister. C’est comme aller à la pêche : tu te présentes avec ta canne, des fois t’attrapes un poisson, des fois t’en pognes pas… »

Les neuf plus gros qu’il a « pognés » depuis la parution de son premier album La Transition (2015)  se retrouvent donc sur Blind, son nouveau disque paru en mai dernier. Un disque essentiellement livré en anglais, hormis deux compositions, Panorama et surtout Californie, sa préférée : « C’est une inside que j’ai avec ma copine, raconte-t-il. Parfois, lorsqu’on traverse une période plus difficile, on s’imagine regarder ce qu’on a dans le compte de banque, vendre telle ou telle affaire, en se demandant combien de temps on pourrait partir vivre en Californie… C’est le feeling que je crois avoir réussi à transmettre dans cette chanson. »

Pour l’auteur-compositeur-interprète né à Kingston, Ontario et ayant vécu en Allemagne, à Gatineau et à St-Jean-sur-le-Richelieu au gré des assignations de son papa militaire, le choix de lancer un disque majoritairement en anglais correspond à un retour aux sources. « En grandissant et en apprenant à jouer la guitare, je jouais de la musique en anglais, dit-il. C’est vraiment lors de ma participation à La Voix [lors de la toute première saison] que j’ai commencé à chanter en français pour la première fois. Car une fois passé à l’étape des émissions présentées en direct, pour une question de quotas [de langue à la télé], il me fallait chanter en français. Et j’ai beaucoup aimé ça, ce qui m’a donné envie d’avoir mon propre répertoire francophone, d’où le choix de lancer un premier disque complètement en français. »

Le revoici donc dans une formule éprouvée – « Je dis souvent que je mets de la pop dans mon folk, parce que j’adore les deux styles : l’instrumentation est plus folk, mais j’ai des mélodies qu’on pourrait qualifier de pop » – et indémodable, en continuité de son premier album. « Ça reste dans le créneau singer-songwriter, mon nouvel album ne s’éloigne pas tant que ça du premier. Mais sinon, j’ai le sentiment d’avoir évolué en tant que fabricant de chansons et dans la direction que je veux prendre. J’ai l’impression d’avoir fait quelque chose qui me ressemble de plus en plus ».

De son expérience à La Voix il y a six ans, Piton a été marqué par le strass, « le côté showbizz » de l’affaire, « mais ce que j’ai aimé le plus, ce sont les rencontres que j’ai faites. Comme David Laflèche, avec qui j’ai fait mon album en français et avec qui j’ai encore travaillé sur cet album qui vient de paraître ». Laflèche réalise cette fois la moitié du disque, l’autre moitié ayant été assurée par Jeffrey lui-même, « ce que j’ai toujours rêvé de faire ».

« J’ai toujours eu une passion pour l’enregistrement et la production musicale, donc j’ai décidé de faire le grand saut pour la moitié du disque », engageant ses musiciens – Francis Veillette au pedal steel, Catherine Laurin au violon, Max Sansalone à la batterie, Laflèche à la basse et guitare électrique – qui sont venus enregistrer chez lui. « J’ai eu l’impression de sauter dans le vide en faisant ça. Ça a été une belle expérience, autant pour les tounes que pour ma capacité à prendre des décisions. Réalisateur, c’est un chapeau que j’ai aimé porter et que je vais continuer à porter à l’avenir. »

Le musicien, qui s’abreuve beaucoup de musiques instrumentales et atmosphériques – au premier chef Riceboy Sleeps de Jónsi & Alex, l’album de Jón Þór Birgisson, guitariste et chanteur de Sigur Rós et son copain Alex Somers de Parachutes – se complaît dans les chansons folk délicates et mélodieuses qui rappelleront sur ce nouvel album le répertoire plus calme d’un Iron & Wine.

Avec Piton, c’est la musique, la mélodie, qui vient toujours en premier. « Je compose toujours à la guitare, explique-t-il. J’aime entendre ce que je joue sans avoir à le jouer, c’est la façon qui fonctionne le mieux pour moi, alors, je joue la guitare en chantonnant des mélodies par-dessus, sans texte. Une fois que j’ai une structure qui me semble intéressante, je l’enregistre dans l’ordinateur ; de cette manière, je peux la réécouter sans avoir à la rejouer, ce qui me permet de me concentrer sur les mélodies. C’est curieux, je m’étais rendu compte que si je rejouais tout en même temps que j’écris le texte, y’a une partie de mon cerveau qui ne demeurait concentrée qu’à bien jouer la partie de guitare ! »

Le texte lui vient donc ensuite. « La plupart du temps, je m’assois avec mon calepin, d’autres fois j’ai des bouts de textes qui traînent sur un papier que je ressors. Quand y’a une phrase qui me vient en tête, je la note pour la ressortir plus tard. C’est rare que je me sente frappé par un éclair de génie… Écrire, c’est un exercice. Et tant mieux parce que plus j’en fais, meilleur je deviens à véhiculer les émotions qui vont dans la chanson. »