Jason Bajada

Tous les journalistes spécialisés en musique vous le diront : il existe peu de phrases plus galvaudées que « cet album m’a littéralement sauvé la vie ». Au fil des ans, des artistes de tous les genres m’ont lancé ces quelques mots avec un détachement qui frise la nonchalance, mais pour Jason Bajada, elle sonne juste.

L’auteur-compositeur-interprète ne s’en cache pas : les événements qui ont inspiré Loveshit II (Blondie & the Backstabberz), son ambitieux double album, sont les plus difficiles qu’il ait jamais vécus. Une série de relations catastrophiques et de malheurs personnels, suivis d’épisodes dépressifs, l’ont mené au bord du gouffre. Et sans la musique, il est possible qu’il ne s’en soit pas sorti indemne. « C’est vrai que la musique a été un formidable exutoire et une bouée de sauvetage, mais en même temps, ce n’était qu’une partie de la guérison, précise-t-il. Si je vais mieux, je le dois aussi à d’autres facteurs, notamment à une extraordinaire thérapeute qui a croisé mon chemin. »

Aujourd’hui serein et philosophe, Jason parle aussi de la paix intérieure que peuvent lui apporter la méditation, le plaisir qu’il prend à écouter ses stand-up comics préférés, comme Bill Hicks et George Carlin (« presque plus des philosophes que des humoristes », dit-il) ou l’émerveillement ressenti à visionner la série Cosmos. Mais Jason est musicien, jusqu’au bout des ongles, et il s’est nourri de son expérience personnelle pour faire de l’art, mettant tout ce qu’il avait de larmes, de sang et de sueur dans ce projet.

« Je me souviens de la dernière chanson que j’ai écrite pour l’album, In What World Do You Savages Live Where You Thought I’d Be Cool. J’étais dans une fête de Nouvel An et quelques secondes après le coup de minuit, j’ai été terrassé par une crise d’anxiété. Je suis parti seul dans la nuit, je me suis enfermé dans le studio, j’ai empoigné ma vieille Gibson et la chanson est sortie. C’est comme ça que je me suis calmé. »

Très tôt, Jason a compris qu’il lui faudrait deux disques pour raconter son histoire ; un, plus folk et dépouillé, sur la période noire qui a suivi la rupture, et l’autre, plus arrangé et lumineux, qui retracerait ladite histoire d’amour, des feux d’artifice du début jusqu’à l’inévitable chute. Une fois fixé sur son idée d’album double, il est allé jusqu’à jouer de presque tous les instruments et à imaginer les arrangements avant même d’entrer en studio.

« C’était la première fois que j’arrivais avec des chansons presque finies en studio et ç’a été formidable de les travailler ensuite avec Philippe Brault. D’abord, parce que c’est vraiment un humain extraordinaire, mais aussi parce qu’il n’a pas voulu transformer complètement ce que j’avais fait. La marque d’un bon réalisateur, ce n’est pas de mettre sa patte partout, mais au contraire, de faire sortir le meilleur d’un artiste, ce qui veut souvent dire de résister à la tentation de trop en mettre. Et Phil est un grand réalisateur. »

Après deux albums en français, dans un style qu’il qualifie lui-même de « pop planante », Jason retrouve la langue du premier Loveshit, paru en 2009, et laisse ses influences remonter à la surface : on reconnaît la mélancolie théâtrale de Morrissey, l’émotion à fleur de peau d’Elliott Smith… « et puis Springsteen, Stephin Merritt de Magnetic Fields, Devendra Banhart et tant d’autres… », poursuit-il.

Et si la douleur qui a inspiré les chansons est palpable – la plupart des textes sont sans équivoque – la musique brille, même dans les chansons les plus squelettiques. « Ce qui est paradoxal, c’est que ma période la plus down, c’était pendant que j’enregistrais Volcano, un disque d’amour très pop et très planant. Loveshit II, c’était tout le contraire : il s’est fait dans la joie et la simplicité. »

Il reste qu’au terme de l’aventure, Jason a cru un moment avoir tout laissé sur la table et ne plus être capable de se remettre au travail. Mais ses réflexes d’auteur-compositeur ont vite repris le dessus. À preuve : au moment de notre conversation, il se trouvait à Los Angeles en compagnie de Matt Holubowski et d’Aliocha Schneider, avec lesquels il participait à un camp d’écriture.

« J’avais déjà participé à un camp d’écriture à l’invitation de la SOCAN l’an dernier (dans le cadre du Camp Kenekt Québec, où il a créé la chanson Comme les Autres, avec Laurence Nerbonne, NDLR) et j’avais trouvé ça très stimulant. Il fait beau, je rencontre plein de gens d’autres milieux, je travaille dans d’autres genres et je découvre d’autres facettes du songwriting. »  Est-ce que le bonheur va finir par tuer l’inspiration ? « Ha ! Ça m’étonnerait, je pense que j’ai encore assez de matériel pour toute une vie d’écriture ! »

Loveshit II (Blondie and the Backstabberz) sera lancé le 1er septembre dans le cadre du FME et au Théâtre Fairmount, à Montréal, le 7 septembre.