« Je me parfume au napalm pour brûler comme une bombe / Un show de boucane ben allumé devant tout le monde… Donnez-moi du gaz » Dans la bouche de n’importe quel rockeur, ces mots paraîtraient ringards et exagérés, des accessoires de scène conçus pour se bâtir une réputation de dur à cuire et que l’on range à côté du perfecto et des leggings léopard. Pourtant, Éric Lapointe les chantent sans honte, sans gêne et sans filtre. À l’écoute de son dernier album, Jour de nuit, on ne sourcille même pas devant « Donnez-moi du gaz » parce qu’on connait suffisamment la vie tumultueuse du rockeur québécois pour y croire.

Avec tous les potins glanés dans les médias, et grâce aux nombreuses chansons autobiographiques des albums Obsession, Invitez les vautours, Coupable ou Le Ciel de mes combats, nous avons tous une idée du mode de vie de Lapointe.

« Il y a eu certains moments où je me disais que ce manque de pudeur ne me servait pas, mais à long terme, c’est une bonne chose » confie Lapointe en entrevue. « Les gens connaissent mes côtés noirs. J’ai jamais rien caché. Ça fait que si demain matin je me retrouve en première page des journaux pour autre chose que ma musique, ben personne ne va faire le saut. Je suis comme je suis, sans faux-semblant. »

Faudrait-il s’inquiéter de l’avenir d’Éric Lapointe? Peut-être, mais nous ne sommes pas sa mère. Évitons plutôt de prendre le rockeur pour acquis comme c’est souvent le cas lorsqu’un artiste nourrit son art d’excès pendant une période qui s’étire sur plusieurs décennies. Avec les années, nous avons tendance à voir ces artistes comme des personnages décalés vivant dans leur bulle, mais ils sont justement trop rares et authentiques pour être négligés. À ce sujet, Lapointe joue dans les mêmes ligues que Leloup. Derrière le mythe vit l’irremplaçable.

« Il y a une caricature qui s’est dessinée dans la tête des gens, particulièrement autour de mon alcoolisme. »

« C’est certain qu’à un moment donné, il y a une caricature qui s’est dessinée dans la tête des gens, particulièrement autour de mon alcoolisme. Parfois, le mythe est plus grand que nature. À d’autres moments, la réalité est bien pire. Mais j’ai contribué à cette image en parlant de mes problèmes dans mes chansons. Il n’y a rien que je chante que je n’ai pas vécu. C’est aussi pourquoi je me retrouve dans l’écriture de Roger Tabra avec qui je compose une grande partie de mes textes. On a le même mode de vie. Je ne pourrais jamais chanter un texte loin de ma réalité. »

Dans quelques semaines à peine, en mai 2014, Éric Lapointe célèbrera les 20 ans de la parution de son premier album Obsession. Vingt ans à travailler avec les mêmes collaborateurs : le Français Roger Tabra à l’écriture et le guitariste Stéphane Dufour à la composition. « Tu ne changes pas une équipe gagnante, » conseille Lapointe avant de se rappeler sa première collaboration avec Tabra. « J’avais écrit tous les textes d’Obsession, mais il me manquait une ballade. Je venais de me séparer de la Marie-Pierre de “Marie Stone”, et j’étais tout à l’envers. J’y arrivais pas. Tabra est venu souper à la maison. On mangeait un bon spaghetti au ketchup, puis il m’a dit: “Allez, on va l’écrire ta putain de chanson. Qu’est-ce que tu veux lui dire à cette fille?” J’ai répondu: “Je sais pas. N’importe quoi.” Du tac au tac, Tabra m’a regardé dans les yeux en me disant qu’on venait de trouver le titre. Le reste de la chanson s’est écrite en quelques heures. »

De soliste invité par Aldo Nova à la toute fin des séances studio d’Obsession à réalisateur officiel des derniers disques d’Éric Lapointe, Stéphane Dufour est aussi indissociable de la signature rock du musicien. « C’est lui qui réalise et arrange toutes les tounes. On n’a même plus besoin de se parler tellement on a fait de chansons ensemble. Juste dans le regard, on se comprend. On se devine. C’est une relation cosmique, » explique le rockeur qui ne croit pas à l’inspiration, mais bien au travail. « Parce que si l’inspiration existe, il faut que tu sois au travail quand elle passe. »

Et pour Lapointe, elle passe souvent la nuit, d’où le titre de son dernier disque. « Je ne sais pas trop pourquoi mon esprit travaille mieux la nuit. Peut-être parce que je m’y retrouve parfois seul et que j’ai une peur terrible de la solitude. Mais je ne me sens jamais seul lorsque j’ai une guitare ou un piano avec moi. De toute façon, mon studio est au sous-sol où il fait noir comme dans le cul d’un ours à n’importe quelle heure du jour. Pendant l’enregistrement de Jour de nuit, je finissais par savoir quelle heure il était quand j’entendais les enfants marcher au rez-de-chaussée. »

Ainsi, même lorsqu’il devient père, le vrai rockeur ne change guère.