Éditeurs de musique au Canada (Music Publishers Canada, MPC), groupe de défense des intérêts de ses membres, s’efforce de remédier aux inégalités criantes auxquelles sont confrontés les personnes ne s’identifiant pas en tant qu’homme lorsque vient le temps de faire carrière en production musicale grâce à son programme sur mesure intitulé Women in the Studio National Accelerator.
Lancé en 2019 comme une opportunité de réseautage pour les autrices-compositrices-productrices ontariennes a pris de l’ampleur avec l’ajout d’ateliers sur mesure de développement des compétences et d’autres opportunités de réseautage s’étendant sur une période de six mois par année. Cette opportunité d’avancement de carrière, qui se déroule de juin à décembre, est offerte à six autrices-compositrices-productrices dont la carrière est déjà bien lancée.
« Ça n’est pas un programme pour les débutantes. Ç’a toujours été pour les productrices qui font déjà du travail de production pour d’autres artistes », explique la chef de la direction de MPC, Margaret McGuffin en notant que les participantes doivent également être autrices-compositrices ou « « beatmaker ». « On tient à être en mesure d’adapter le programme aux besoins des productrices, on ne veut pas que ce soit un programme générique. »
En plus du développement technique et des opportunités créatives, les sujets abordés vont des connaissances en matière de finances à l’exploitation d’une petite entreprise en passant par l’image de marque.
Les autrices-compositrices-productrices doivent s’engager à participer à deux rencontres en ligne d’une durée de deux heures par mois en plus d’une résidence d’une semaine au cours de cette période de six mois. En 2024, les participantes sont Alysha Brilla (Toronto), Cat Hiltz (Vancouver), Charmie (Toronto), Jinting Zhao (Edmonton), Samantha Selci (Toronto) et JoJo Worthington (Montréal).
« Cette initiative fournit des ressources inestimables aux productrices en plus de favoriser un fort sentiment de communauté et de mentorat collaboratif », affirme Alysha Brilla. « En se soutenant mutuellement et en apprenant les unes des autres, on fait tomber les barrières et on crée un écosystème de l’enregistrement plus sain pour les productrices, les ingénieures du son et les artistes. »
Jusqu’à maintenant cette année, les participantes ont profité des apprentissages d’Amandine Pras, une productrice, ingénieure, chercheuse et éducatrice qui a également été chargée de cours principale à l’Université de York en Angleterre et chargée de cours en arts de l’audio numérique pour la faculté de musique de l’Université de Lethbridge de 2017 à 2021.
« On a exploré des techniques d’enregistrement et de mixage spécifiques avec Amandine. Elle a des connaissances tellement approfondies et elle a même écrit une recherche sur la relation entre l’identité de genre et le domaine de l’audio et de la musique », explique Brilla qui a été finaliste aux JUNOs à trois reprises et qui, en 2013, a été l’une des premières femmes dans l’histoire des JUNOs à recevoir une nomination pour un album autoproduit.
Selon une étude de l’USC Annenberg réalisée en 2023 à partir d’un échantillon de 1200 chansons les plus populaires parues entre 2012 et 2023, seulement 6,5% d’entre elles avaient été produites par des femmes. Bien que ce pourcentage ait augmenté au cours des dernières années, il y a encore un ratio de 30 pour 1 entre les producteurs et les productrices pour les 900 chansons les plus populaires. Bien qu’aucune étude de ce type n’ait encore été réalisée au Canada, Share The Air, une étude récemment publiée sur la représentation des genres à la radio canadienne (2013 à 2023) a révélé un manque embarrassant de représentation des femmes à la radio.
Mme McGuffin est arrivée chez MPC il y a huit ans en tant que directrice générale avant de devenir chef de la direction en 2021. Elle a expliqué à Words & Music que le programme de développement professionnel est né de discussions avec le conseil d’administration lorsque celui-ci a constaté un manque d’opportunités pour les femmes, les personnes non binaires et les autrices-compositrices-productrices de genre fluide.
« Les chiffres révélés en 2018 par l’étude Annenberg indiquant qu’un peu plus de deux pour cent des chansons à succès du palmarès Billboard que vous avez entendues ont été produites par des femmes. Ç’a déclenché des discussions avec nos membres éditeurs, et surtout nos membres éditrices, à propos de la nécessité de jouer un rôle actif par rapport à cette situation. Nous avions la responsabilité de devenir des leaders dans cet espace. »
Le résultat de cette réflexion, le Women in the Studio National Accelerator, a beaucoup évolué au cours des six dernières années. La première année, en 2019, ce n’était qu’un simple événement de réseautage pour les productrices dans le cadre des JUNO Awards qui se tenaient cette année-là à London, en Ontario, et dans le cadre de la Canadian Music Week qui se déroule toujours à Toronto. Ontario Creates a été le premier partenaire de l’événement vu son accent sur les productrices de l’Ontario. « Tout était une question de rassembler notre groupe pour commencer à bâtir une communauté », explique Mme McGuffin. « On avait invité [la renommée autrice-compositrice et productrice américaine] Linda Perry et elle est venue. »
Pour sa deuxième année, l’accélérateur de MPC devait devenir national grâce au financement de FACTOR, mais la COVID a frappé. Après avoir suivi l’évolution de la pandémie pendant un mois, la décision a été prise en mars d’offrir le programme via Zoom, ce qui a été le cas pendant deux ans. Malgré à l’incertitude et le ralentissement du secteur, Mme McGuffin explique que « nous avons découvert que nous pouvions faire beaucoup plus » en ligne.
« On a été en mesure d’inviter [la productrice américaine de renom] Sylvia Massy [qui a travaillé avec Prince, Johnny Cash, Rick Rubin et Tool] qui n’aurait probablement pas pu venir au Canada mais qui pouvait être là pour le groupe au complet en ligne », raconte-t-elle. « On était en mesure de couvrir beaucoup plus de sujets et de compter sur la présence de beaucoup plus de mentors. Nous voilà donc à notre troisième année. C’est là qu’on a constaté que tout le monde avait encore envie de réseauter et d’apprendre en présentiel. À notre quatrième année, en 2022, on a été en mesure de prolonger la durée du programme à six mois, ce qui donnait l’espace nécessaire au cursus qu’on avait développé pour Zoom en le condensant dans la semaine de résidence. »
Outre les partenaires et bailleurs de fonds mentionnés plus tôt, la semaine de résidence et le programme en ligne de six mois (qui en est à sa troisième année) sont actuellement soutenus par RBC Fondation, avec le soutien supplémentaire de Cassels et de Compass Rose.
« On reçoit plus de 100 candidatures par année et la qualité des candidatures augmente chaque année étant donné que de plus en plus de personnes entendent parler du programme », déclare Margaret McGuffin. « On examine chaque candidature attentivement pour s’assurer qu’elles ont de l’expérience et on réduit le nombre de candidatures potentielles à 10 ou 15 candidates qu’on passe en entrevue pour déterminer les 6 qui sont retenues. »
En 2024, l’écriture de chansons est à l’avant-plan avec la participation de Liz Rodrigues (qui a écrit des chansons pour Céline Dion et Eminem, notamment) pour diriger ce volet de l’accélérateur. « On veut mettre l’accent sur l’aspect écriture et on va se concentrer sur l’écriture pour des genres spécifiques, soit la K-pop, le country et la pop. Les productrices viennent souvent d’un milieu d’artistes, avec ou sans formation technique, et leur image de marque en tant que productrice est différente de leur image de marque en tant qu’artiste. On les aide à acquérir ces compétences. »
Au moment d’écrire ces lignes en août 2024, la résidence est en cours à Toronto et a offert aux participantes des visites chez Warner Chappell Music Publishing et Sony Music Publishing animées par la directrice des relations créatives Mishelle Pack pour la deuxième année consécutive, une journée chez Kilometre Music Group, une journée aux Noble Street Studios et une séance de travail avec l’autrice-compositrice-productrice Karen Kosowski.
« Après la semaine de résidence, on a un entretien en tête à tête avec les participantes parce que ça arrive souvent que ce qu’elles ont envie de faire avec leur carrière change en cours de route », confie Mme McGuffin. « On laisse toujours la dernière partie du programme ouverte afin de la personnaliser pour cette cohorte de productrices. »
Et quand le programme prend fin, MPC ne ferme pas la porte. Bien qu’il n’y ait pas de suivi formel en place, Margaret McGuffin nous explique que « en fin de compte, on veut soutenir ce groupe après son passage dans notre programme. Elles forment une communauté et sont en contact avec les anciennes finissantes. On voit souvent des discussions très animées sur WhatsApp parce que les participantes échangent entre elles ou demandent des conseils aux autres. On souhaite vraiment que ça continue après ces six mois. »