« J’ai un meeting qui commence à 14h30. Si j’ai le temps de faire pipi et de prendre un café avant, ça va être correct », annonce-t-elle au début de notre entretien.

Gérer un agenda aussi chargé à ce temps-ci de l’année c’est l’apanage des programmateurs et programmatrices de festivals dont fait partie Isabelle Ouimet, qui exerce son métier du côté du Festival international de jazz de Montréal et des Francos, et qui s’est tout de même gracieusement prêtée au jeu des questions de P&M, en plein bouillon estival.

Et manque de pot, ses deux filles lui ont chopé une gastro, la programmatrice puise tout de même dans ses réserves avec la certitude qu’elle parviendra à boucler la gargantuesque grille de spectacles offerts bon an mal an.

Mais comment a-t-elle abouti chez Spectra Musique et evenko ? Petit coup de rétroviseur.

Ses premiers amours avec la musique ? « Ça remonte à loin ! Je jouais des cuivres dans un groupe de corps et clairons ou marching band à St-Norbert (dans Lanaudière) le village de Jean-Pierre Ferland ». À la sortie du secondaire, elle déménage à Montréal, en 1999, à 16 ans, et poursuit ses études au CÉGEP du Vieux-Montréal. Elle complètera son parcours académique avec un BAC en journalisme. « À cette époque, relate-t-elle, j’ai commencé à jouer dans des groupes de musique. Comme j’étais journaliste à notre journal étudiant, j’ai été rapidement au contact de la scène locale. Les Cowboys fringants, j’ai connu ça à l’époque de la chanson Léopold (2000). Au départ, c’était plus un groupe comme Les Denis Drolet ».

Arseniq 33 et Les Marmottes aplaties faisaient aussi partie de son écosystème musical. « La proximité du Café Chaos avec le CÉGEP a aidé. J’y ai vu tous les artistes possibles, en plus d’y performer en tant que musicienne. Ensuite, je me tenais à l’Escogriffe ». Elle se rappelle des Luc Brien et Suzie McLelove (Breastfeeders), des Junkyard Dogs… Elle rejoint les rangs du groupe Buddy McNeil and the Magic Mirrors, il y a treize ans – « mon premier groupe sérieux comme bassiste ».

Isabelle Ouimet« Mon premier job dans le milieu c’était chez Annexe communications en tant que rédactrice-conceptrice. Étape suivante : Bonsound. « Gourmet Délice, l’un des patrons, était mon coloc à l’époque ». Ses premières armes en relations publiques et de presse l’ont ensuite conduit chez Spectra, avant de faire le saut du côté de l’agence du même nom dans un rôle plus proche du marketing.

Puis elle fonde La Royale Électrique, sa propre boîte de communications, aventure qui durera huit ans. Entre autres clients, le festival M pour Montréal. « Mon rôle de programmatrice est arrivé de fil en aiguille après avoir travaillé dans tous les autres secteurs de l’industrie musicale, notamment chez Six Média ».

Elle devient programmatrice à Coup de cœur francophone en 2017, puis productrice déléguée à M pour Montréal de 2018 à 2021. « Je m’intéresse beaucoup à la musique actuelle et expérimentale, aux musiques de niche. Ce n’est pas tant le mandat des Francos même s’il y a une place, mais c’est un événement grand public qui rejoint toute sorte de clientèle. Mais la musique francophone, nous rappelle Ouimet, n’est pas un genre musical en soi ».

Entre artistes établis et artistes émergents, il y a toujours les pousses montantes, autrement dit, la relève. « Comme je suis un peu plus à gauche, que je suis naturellement curieuse, je pense que Maurin (Auxéméry, directeur de la programmation des Francos et du Festival international de jazz de Montréal) a vu l’opportunité de creuser davantage dans ces créneaux musicaux et ceci dit, c’est davantage compatible avec le Festival de jazz. Les amalgames sont pluridimensionnels ».

Du côté des Francos, on voit toutes les grandes tendances musicales prendre vie. Ouimet cite les Aswell, Greenwoodz, Fredz… À propos de ces derniers : « On est dans une esthétique qui est autre que celle de leurs prédécesseurs. Ils ont des comptes Tik Tok, ils sont des personnalités publiques sur le web. Les Francos, c’est le lieu où tu peux réaliser tes fantasmes, tout en respectant les coûts de production et la limite au niveau logistique ».

Au Festival de jazz cette année, la grande scène Rio Tinto a été déplacée à l’est, du côté du Parterre Symphonique où il y a déjà deux scènes. « Ce secteur-là du site sera comme un mini festival dans le festival lui-même. Le chevauchement des heures de spectacles, c’est mon plus gros défi cette année. C’est très complexe pour un programmateur de trouver une logique à tout ça ».

On parle beaucoup ces temps-ci d’accès à la culture, à sa diversité. « La belle latitude des événements de Spectra, c’est la gratuité. Ne pas avoir de pression au niveau de la rentabilité, c’est précieux. Moi je peux programmer un artiste que personne ne connaît parce que je sais que ça va être plein. C’est dans ce cadre-là que je peux m’éclater ».

Bref, le Festival international de jazz plonge dans tous ces courants pour arriver à la concrétisation d’un univers unique. « Le festival vise l’évolution. J’ai booké autour de cent shows cette année. On fait du gros volume comme acheteur de talents ».

Si l’on considère toutes les strates qui ont contribué à l’élaboration de la carrière d’Isabelle Ouimet, il s’agit bien d’un aboutissement, le résultat d’un parcours travaillé pendant 25 ans pour parvenir à cette richesse.