Présenté en primeur lors de la dernière édition du Festival Fantasia, Jour de chasse, le premier long-métrage de la cinéaste et productrice Annick Blanc est une affaire insaisissable, on s’en doute. Un thriller, comme on a tenté de le cerner ? Le compositeur de la musique originale du film, Peter Venne, fronce les sourcils : « Il en a certains aspects, et d’autres des films d’horreur à la manière d’A24 », la boîte de production indépendante américaine qui a rafraîchi le genre en proposant des œuvres telles que Hereditary (2018) et Men (2022), qualifiés de arthouse horror ou elevated horror.
« C’est, en tout cas, un film dans lequel on ressent énormément de tension, autant psychologique que sexuelle et dans l’action, décrit Venne. Une espèce de huis clos campé dans la forêt ».
Le film mette en scène Nina, « une jeune femme au caractère imprévisible rejoint une bande de chasseurs dans un chalet isolé. L’arrivée d’un mystérieux inconnu perturbe sa nouvelle place dans leur microsociété masculine », résume le synopsis.
« Clairement, le public n’est pas bien assis dans son siège en le regardant, assure le compositeur. Les gens sont plongés dans un inconfort » que tentent de traduire les musiques originales de Peter Venne, que le compositeur offre aux mélomanes sur les plates-formes de streaming.
Les deux ingrédients sonores principaux de son évanescente musique sont les cordes et les synthétiseurs. « Il y a de la guitare électrique aussi, ce qui est vraiment drôle », note Venne, guitariste de formation, leader d’un groupe indie rock qui a tenté sa chance dans les années 2000. « C’est rare que je mette de la guitare électrique dans une musique de film, mais là, ça se prêtait bien. La guitare devient presque comme un serpent, quelque chose qui oscille et essaie de mordre. »
Le quatuor à cordes constitué pour l’enregistrement de la bande sonore surgit à des moments bien précis « liés à un personnage en particulier, ça fait sursauter. Je suis très heureux du résultat : on sent dans la musique que tout est à sa place, cette impression de musique de chambre, on ressent la petite taille de l’ensemble de musiciens. D’autre part, il y a quand même beaucoup de consommation de drogues dans l’histoire du film, alors on perçoit aussi une traînée de fumée dans la musique. »
Ça et là dans sa musique, le cinéphile reconnaîtra quelques thèmes mélodiques et des progressions harmoniques, mais la mélodie n’est pas l’élément premier de ses compositions. « La musique est plus près de l’ambiance et du sound design, et c’est complètement dans le ton du film d’Annick. Et comme il s’agit d’un film très bavard, la musique surgit à des moments bien placés; ainsi, on cherchait quelque chose d’évocateur. On est dans la sensation, l’impression, davantage qu’un air qu’on peut siffler. La musique bouge de manière imprévisible, par exemple dans l’utilisation des basses fréquences qui viennent nous chercher au plexus. C’est l’idée : marier la musique avec la conception sonore et les sons ambiants. »
Peter Venne a bâti sur son expérience de compositeur, orchestrateur et réalisateur acquise avec son premier projet rock pour explorer le monde de la musique à l’image en obtenant en 2011 un DESS en musique de film de la Faculté des arts de l’UQAM. « Ce fut le tremplin qui m’a permis de rencontrer les gens du monde du cinéma, puisque ce domaine, c’est comme ailleurs, ça prend les bonnes habiletés, mais aussi un bon réseau de contacts pour pouvoir trouver du travail, et particulièrement à titre de compositeur de musique à l’image. »
Ainsi, depuis une bonne douzaine d’années, Peter Venne a accumulé les projets, collaborant notamment avec le réalisateur Eric K. Boulianne depuis ses courts métrages. Il a signé la musique de son Faire un enfant paru l’an dernier, ainsi que celle du film Sapin$ de Stéphane Moukarzel, paru lui aussi en 2023. Il travaille sur au moins deux ou trois bandes sonores par année.
Jour de chasse est sa première collaboration avec Annick Blanc à titre de réalisatrice, « une fille dotée d’une intelligence redoutable et un d’une éthique de travail exemplaire, ce projet a bien roulé », insiste le compositeur.
« Puisqu’elle faisait le saut dans le long-métrage, je pense qu’elle cherchait quelqu’un comme moi qui avais déjà une expérience, croit Peter. Son dernier court métrage, qui avait bien fonctionné [The Colour of Your Lips, 2018], était un film muet, alors que dans Jour de chasse, il y a sept personnages presque toujours à l’écran qui se parlent constamment. Le ton est particulier, à la fois réaliste et décalé, drôle, mais « off » en même temps, et la musique devait suivre ce discours. Ce qu’on a fini par comprendre, Annick et moi, c’est que la musique devait séduire, comme si elle ensorcelait les personnages. »