Quand le film américain indépendant Anora a balayé les Oscars en remportant cinq prix, Doug Martin était à 4500 km de Los Angeles, à Ottawa, et sans voix. « Sur le coup, j’étais étonné et je n’y croyais pas vraiment », raconte-t-il. « Ce n’est qu’après que j’ai réalisé que c’était bel et bien vrai. »
Le saxophoniste et compositeur de jazz peut désormais se targuer que sa musique a été utilisée dans un film primé aux Oscars. Mais comment l’artiste indépendant, un musicien local qui travaille et enseigne en parallèle, est-il parvenu à placer plusieurs chansons dans le film le plus populaire de l’année? Le chemin qui mène de son studio personnel à la « plus grande soirée à Hollywood » est le fruit de la rencontre de trois créateurs : lui-même, le superviseur musical Matthew Hearon-Smith, et Chris SD (Shreenan-Dyck) de Sync Songwriter.
La comédie romantique Anora du réalisateur Sean Baker raconte l’histoire d’une travailleuse du sexe new-yorkaise qui épouse le fils d’un oligarque russe et on l’a décrite comme étant de style néo-réaliste. Hearon-Smith, qui a travaillé avec Martin sur plusieurs longs métrages, explique comment l’approche du cinéaste influence la musique.
« Nous voulons que la musique sonne exactement comme elle sonnerait dans la vraie vie », explique Hearon-Smith. « Le film Anora se déroule dans de nombreux lieux passionnants et très différents les uns des autres. Nous avons besoin que la musique sonne exactement comme elle le ferait dans la vie réelle », explique Hearon-Smith. « Le film Anora se déroule dans de nombreux lieux passionnants et très différents les uns des autres. Nous avons un club de strip-tease à Brooklyn, le manoir du fils d’un milliardaire russe à Las Vegas et une église en Russie. Tous ces lieux nécessitent quelque chose de très spécifique et unique. C’est pourquoi les artistes comme Doug sont une ressource précieuse, car il n’y a rien de plus authentique. C’est un artiste qui pourrait très bien jouer du sax avec son quartet dans un de ces endroits, n’importe quel soir de la semaine. »
Martin est depuis longtemps un habitué des clubs de jazz de la région d’Ottawa, en solo ou avec son Doug Martin Quartet (Jeff Asselin à la batterie, Tom Denison à la basse, Yves Laroche aux claviers). Il s’est produit à de nombreuses reprises au Festival de Jazz d’Ottawa et divers festivals à Cuba. C’est en 2021 que Doug a commencé à explorer la possibilité de licences musicales. « J’avais plein de morceaux jazz que je trouvais assez bons pour jouer dans un film ou à la télévision », explique-t-il. Après avoir essayé des bibliothèques musicales, Doug s’est inscrit à Art of the Song Pitch, un programme développé par le Torontois Chris SD.
Avec une formation en production et une nomination au JUNO dans la catégorie Ingénieur du son de l’année pour son travail avec Jim Cuddy, Chris SD a lancé son programme Art of the Song Pitch en 2017 pour aider les artistes indépendants avec lesquels il travaillait à décrocher des placements pour le cinéma et la télévision.
« Rien ne me rend plus heureux que de pouvoir envoyer un chèque à un artiste authentique » — Matthew Hearon-Smith, superviseur musical
« Beaucoup de musiciens se tournent vers les bibliothèques musicales », explique SD. « Le problème pour les auteurs-compositeurs indépendants est qu’ils sont une aiguille dans une botte de foin. Ces bibliothèques contiennent parfois des millions de pièces. Je peux présenter directement les auteurs-compositeurs indépendants aux superviseurs musicaux. Je prends littéralement quelqu’un comme Doug et quelqu’un comme Matt, je les mets ensemble et je laisse la magie opérer. »
Hearon-Smith avait déjà travaillé avec Sync Songwriter pour de nombreux projets (« C’est l’une de mes principales ressources au quotidien », dit-il) avant de rencontrer Doug lors d’un « pitch » en tête-à-tête. Il a été impressionné par son jazz bien produit et lorsqu’est venu le temps de trouver des morceaux de jazz authentiques pour Anora, il est allé directement à la source.
« J’aimais vraiment beaucoup le gars, et il était dans ma ligne de mire », dit Hearon-Smith. Je crois que j’ai appelé Doug et lui ai dit : « Hé, pouvez-vous m’envoyer ces morceaux? Voici les termes, blablabla… » C’était l’une des synchronisations les plus faciles, mais aussi l’une des plus gratifiantes que je pouvais faire. Il n’y a vraiment rien qui me rende plus heureux que de pouvoir envoyer un chèque à un artiste authentique ».
Hearon-Smith a placé trois morceaux de Doug Martin dans Anora : Kafka Was Here, Monday in Utopia, et The Shadow Lounge, qui ne dure que huit secondes en arrière-plan, mais le superviseur musical affirme que c’est un bon exemple de l’importance de chaque morceau – le film comptait plus de 70 synchronisations.

Cliquez sur l’image pour démarrer la vidéo de la chanson Monday in Utopia de Doug Martin sur YouTube
« Certaines de ces synchronisations ne sont pas nécessairement le grand montage ou la chanson du générique de fin », explique-t-il. « Mais elles sont tout aussi importantes pour donner le ton et s’assurer que l’ambiance est bonne. Les morceaux de Doug vivent dans des lieux de Brooklyn où nos personnages entrent et sortent. Il y a peut-être des bruits de casseroles qui s’entrechoquent, on ne les entend pas vraiment, mais il faut qu’ils soient là, c’est important. »
Sync Songwriter ne prend pas de pourcentage sur les contrats qui découlent des relations qu’il favorise. En revanche, le volet Art of the Song Pitch et un programme plus avancé pour les diplômés appelé Sync Club sont payants, et Doug en est membre. Bien qu’il n’y ait aucune garantie (« Je ne peux pas contrôler ce qui se passe, mais je peux vous ouvrir la porte », dit Chris SD), le succès de Doug Martin avec Anora illustre ce qui est possible quand on met en contact des artistes et des superviseurs musicaux.
« J’appelle ça une vengeance », dit Martin à propos des Oscars remportés par Anora. « J’ai fait ce qu’il fallait pour une fois. J’ai ressenti beaucoup de gratitude, non seulement envers Chris et Matthew, mais aussi envers mes musiciens qui ont fait du bon travail en studio. Ils m’ont appelé et ont dit “Hé, on joue dans un film oscarisé” et je leur ai dit “oui monsieur!” »