Drew Gonsalves pourrait bien avoir gagné à la loto.

Lorsque ce Canadien d’origine trinidadienne aux multiples talents — auteur-compositeur, musicien et universitaire — a écrit sa chanson « Abatina », qui figurait sur l’album Independence de Kobo Town paru en 2016, il n’avait aucune idée du chemin qu’elle allait parcourir. Ce fut donc un immense compliment lorsque la vénérée « Mère du Calypso », Calypso Rose, y a été de sa version de la pièce sur son album Far From Home (2016) que Gonsalves a coécrit et coproduit en compagnie de la vedette française de calibre international, Manu Chao. Mais le gros lot vint sans aucun doute lorsqu’il a appris, à l’été 2019, que Santana enregistrerait aussi sa propre version — rebaptisée « Breaking Down the Door » — pour son plus récent album, Africa Speaks.

Lorsque Gonsalves a trouvé l’inspiration pour cette chanson, elle provenait d’un « riff » dans une « vieille pièce traditionnelle qui remonte à très loin dans l’histoire de la musique. Tu sais, le genre de chant traditionnel que l’on entend dans la rue » et qu’il entendait durant toutes les années où il étudiait les racines du calypso. « J’étais parti de ça et j’ai écrit toute une histoire et chanson autour », raconte Gonsalves. Il s’est écoulé 10 ans avant que Calypso Rose — ladite « Mère du Calypso » qui s’est éteinte l’an dernier à l’âge de 78 ans, faisant d’elle l’artiste la doyenne des artistes ayant joué à Coachella — entende en tombe en amour avec cette pièce pour ensuite la reprendre pour elle-même. « Elle s’identifiait à l’histoire de manière personnelle », dit le créateur. C’est cette version qui a attiré l’attention de Santana. « Je ne sais pas exactement comment elle a fini entre les mains de Santana », avoue Gonsalves. « Mais je sais que la version qu’il a entendue pour la première fois était celle de Calypso Rose. Derek [Andrews], notre gérant, a reçu un courriel du gérant de Santana. »

« Notre gérant a reçu un courriel du gérant de Santana. »

Et il n’y a pas que Santana qui était intéressé par cette chanson. Peu de temps après la parution de la version de Calypso Rose — qui a également été utilisée dans un film —, Gonsalves a reçu une lettre de la succession de Roaring Lion. À l’insu de Gonsalves, la super-vedette du calypso avait écrit et enregistré cette chanson dans les années… 1930.

« J’ai répondu par une longue lettre où j’exprimais toute mon admiration pour Roaring Lion », raconte Gonsalves. « C’est son fils qui m’avait écrit. Son père est une des artistes calypso les plus créatifs lyriquement et musicalement et j’admire sa musique depuis très, très longtemps, alors c’est de ça que je lui ai parlé. » Il ajoute, en riant, « après ça, c’est avec leurs avocats que je communiquais. Il n’y avait aucune animosité. Je suis convaincu que ce genre de chose arrive tout le temps… J’étais ravi de lui donner le crédit. On a trouvé un terrain d’entente qui a satisfait tout le monde. » Ainsi, le vrai nom de Roaring Lion, Rafael de Leon, a été ajouté à la liste des auteurs-compositeurs de l’œuvre.

Voyez vous-mêmes !

Vous voulez comparer les trois versions de la même chanson ?

* « Abatina » par Kobo Town
* « Abatina » par Calypso Rose
* « Breaking Down the Door » par Santana

Bien que les trois versions de la chanson aient toutes la même source, leurs styles et arrangements respectifs ne pourraient être plus différents, ce qui reflète à merveille la tradition de diversité de sujets et de sonorités typique du calypso. Dès sa naissance, le calypso a joué un rôle important dans l’expression d’opinions politiques. Selon Wikipédia, cette musique est née lorsque « les esclaves, forcés de travailler dans les plantations de canne à sucre, ont été complètement coupés de tout lien avec leur terre natale et qu’on leur interdisait de se parler entre eux. Ils utilisaient le calypso pour se moquer des esclavagistes et communiquer entre eux. »

La première version, par Kobo Town, est plus dense lyriquement et beaucoup plus sombre, musicalement, que les deux autres. Elle parle d’une belle jeune femme aux origines modestes qui, au grand désarroi de ses voisins, marie un homme plus âgé et riche. Les gens la croient chanceuse et s’imaginent qu’elle vit une belle, mais en réalité, elle est dans une relation abusive et sans amour qui se termine de manière mortelle. Les deux autres versions, bien que différentes l’une de l’autre, ont en commun qu’elles sont plus entraînantes et comptent moins de couplets, bien qu’elles conservent le même sujet central. Selon Gonsalves, « il semble plus approprié, en raison du sujet, d’avoir une atmosphère sombre qui dépeint la tristesse de l’histoire, mais prendre de tels sujets sérieux pour en faire des chansons et des mélodies entraînantes est typique de la musique des Caraïbes, et particulièrement du calypso. »

Quant à l’impact sur la carrière (et le compte bancaire) de Gonsalves de la bonne nouvelle provenant du camp Santana, il croit qu’outre de nombreux appels de félicitations, il est encore trop tôt pour se prononcer. « Il faut quelques trimestres avant que ça commence à paraître dans nos redevances SOCAN », explique-t-il. « C’est comme un “gratteux”, et je n’ai pas fini de gratter mon billet. »