Paru l’automne dernier, le nouvel album de Claude Dubois, Clone, comprend deux disques qui affichent étrangement la même durée, 34 minutes et des poussières. Normal direz-vous, les deux galettes contiennent les mêmes compositions. Or, leurs versions diffèrent d’un disque à l’autre, puisque la première propose une interprétation « pop » (arrangée à la sauce moderne, programmations incluses), tandis que la deuxième immortalise les chansons dans une facture plus sobre et acoustique.

De mémoire, peu d’artistes ont tenté le coup. Michel Rivard offre bien une version solo acoustique de son dernier album, Roi de rien, mais il s’agit essentiellement de maquettes à télécharger. Retrouver deux versions d’un disque enregistrées dans le même studio était pour moi une première, un concept à explorer davantage en cette ère de studio maison. « L’idée était d’abord de me donner toute la liberté d’explorer au maximum dans les versions pop, » explique Claude Dubois. « Je ne voulais pas hésiter devant certaines sonorités plus modernes sous prétexte que mes fans de la première heure, souvent plus puristes, n’allaient pas apprécier. Donc en leur livrant une version sobre, j’étais complètement libre de pousser la pop où je le voulais. »

Dubois a découvert en cours de route un autre avantage qu’il ne soupçonnait pas, un constat qui allait davantage encore motiver sa démarche et lui donner une autre signification. « D’une version à l’autre, le sens des chansons s’est mis à se transformer. Parce qu’au départ, j’ai été assez bandit pour me dire qu’en respectant les tempos et les structures, je pourrais utiliser les mêmes pistes de voix d’une version à l’autre, mais ça ne marchait pas. Selon l’arrangement de la chanson, mon interprétation devait être modifiée. Dans un registre pop, l’esprit est plus léger, plus détendu, comme dans un carnet de voyage. Alors que dans les versions dépouillées à la guitare acoustique, les propos deviennent plus sérieux. On a l’impression de toucher davantage l’âme, et toute notre perception de la chanson change. »

« Pour écrire, je dois absolument prendre une distance avec mon métier. »

Abordant des thèmes modernes (« Textoyable »), personnels (« Tout ce que j’ai fait », « Arrache frisson ») et parfois peu exploités en chanson francophone (une relation lesbienne sur « Amoureuse d’une amoureuse »), Clone est le premier album original de Claude Dubois en dix ans. Cette longue gestation s’explique par les multiples activités professionnelles du chanteur : album en duo, de Noël, avec une chorale, tournée française, nombreux concerts au Québec, participation à La Voix. « Pour écrire, je dois absolument prendre une distance avec mon métier. Je ne dois participer à rien d’autre parce je deviens trop envahi par tout ce que j’entends autour. Au fond, écrire est pour moi quelque chose de difficile. Et la contemplation ne me facilite pas l’écriture non plus. À une certaine époque, sans doute pour justifier mes plaisirs, je partais en voyage pour écrire un album, mais à la limite, me retrouver devant un mur gris est plus payant. Je préfère profiter du magnifique lorsqu’il passe et m’en souvenir ensuite pour écrire une chanson dans laquelle je le revivrai. »

Écrit entre les quatre murs d’une cellule alors que Claude Dubois purgeait une peine pour possession et trafic d’héroïne au tournant des années 80, Sortie Dubois est sans doute le meilleur exemple de cette démarche. « Avec Sortie Dubois, je plongeais dans mes souvenirs pour m’extirper de ma médiocrité de prisonnier. Pour Clone, c’était surtout parce que j’avais ouvert ma grande trappe en disant que je pouvais enfin produire un nouveau disque après tant d’années, » lance le musicien à moitié à la blague.

Au final, Dubois aura pris quelques semaines pour produire et lancer le disque sur sa propre étiquette de disque, un processus d’autoproduction accéléré par des sociétés et associations remerciées dans la pochette du disque : la SOCAN, la SODRAC, la SOPROQ et la SPACQ. « J’ai tenu à leur rendre hommage et à mettre leur logo à l’arrière de mon disque parce que bien sûr, elles défendent le statut d’auteur-compositeur, mais surtout pour une raison encore plus premier degré que ça : elles m’ont facilité la vie tout au long de la réalisation de l’album. Lorsque tu t’autoproduis, inévitablement tu te retrouves devant des questions d’ordre juridique qui, dans le cas de Clone, me dépassaient complètement. Plutôt que d’embaucher un avocat ou de consulter des livres de lois incompréhensibles, j’ai compris que j’avais juste à appeler ces regroupements pour avoir les réponses. Le tétage, c’est pas mon trip, mais j’ai envie de dire aux musiciens d’utiliser ces ressources. Elles sont essentielles et m’ont été d’un grand secours. »