Pour plusieurs, le nom de Terry Jacks évoque le succès monstre de la chanson soft rock « Seasons in the Sun », écrite par cet auteur-compositeur en 1974 sur la musique du « Moribond » de Jacques Brel. Mais les succès de palmarès de ce créateur vancouverois remontent aux années 1960 alors qu’il faisait successivement partie du groupe de garage The Chessmen et de The Poppy Family, formation dont il était le chanteur principal avec la chanteuse Susan Pesklevits (son ex-femme). Leur premier album comportait « Which Way You Goin’ Billy », une ballade triste inspirée par le malheur des jeunes Américaines dont le mari partait se battre au Vietnam. Cette chanson s’est hissée en deuxième position du palmarès Billboard et en première position au Canada en plus de valoir à son auteur le prix JUNO du Meilleur réalisateur. Son plus récent album, Starfish on a Beach, est une anthologie en deux CD des succès de ses quatre décennies de carrière musicale. Terry Jacks s’est entretenu avec la SOCAN à partir de sa résidence sur la côte du Pacifique en Colombie-Britannique.

« Il fallait que je m’y prenne ligne par ligne, bout de phrase par bout de phrase. » – Terry Jacks

Reportons-nous à 1969, l’année où la chanson a été écrite. Où en étiez-vous dans votre carrière ?
Bien, je venais de quitter l’université – mes parents voulaient que je devienne architecte. J’avais déjà écrit un peu de musique et j’avais connu un certain succès à Vancouver avec The Chessmen. Buddy Holly était mon idole, et je voulais faire comme lui, créer de petits tableaux, de petits portraits émotifs en chanson. L’écriture m’intéressait plus que l’interprétation.

Cette chanson a été écrite pour être chantée par une femme. Est-ce que ça été difficile pour vous ?
Oui, très difficile. Quand j’écrivais une chanson pour Susan, l’inspiration venait de moi, mais je devais la décliner au féminin. Il fallait que je m’y prenne ligne par ligne, bout de phrase par bout de phrase. Mon premier titre avait été « Which Way You Goin’ Buddy? » et la chanson devait être interprétée par un gars. J’avais déjà la mélodie, et les paroles devaient porter sur mon idole. Un peu plus tard, j’ai lu un article sur les jeunes Américains qui partaient se battre au Vietnam et sur la peine des femmes qu’ils laissaient derrière, et ça m’a donné l’idée de modifier la chanson en l’écrivant pour Susan.

Il faut que je vous pose tout de suite une question sur une déclaration publique de Susan, qui prétend que la chanson ne porte pas sur le Vietnam, mais que le titre contient le nom de son frère.
Absolument ridicule! Le nom de Billy vient d’un de mes groupes canadiens préférés, les Beau Marks. J’étais en train de songer à un nom et tout à coup, je vois sur mon juke-box le titre de leur chanson « Billy Billy Went A-Walking ». Je me suis mis à rire en me disant : « Maintenant je sais où Billy s’en va – il s’en va “marcher”. » C’est moi qui ai écrit la chanson, je sais sur quoi elle porte. Je sais comment j’ai trouvé le titre. Je ne comprends pas ce qu’elle est en train d’essayer de faire.

On trouvait rarement des groupes canadiens dans le Top 10 de Billboard dans les années 1960. Comment expliquez-vous que The Poppy Family soit parvenu à faire une percée avec cette chanson ?
Eh bien, ça a commencé ici même au Canada. La chanson s’est hissée en première position des palmarès et ce, sans l’aide des quotas de contenu canadien, qui n’existaient pas encore, et en plein milieu de l’invasion britannique par-dessus le marché. C’était plutôt surprenant, mais je crois que la chanson a commencé à se faire connaître dans les marchés secondaires, les petites villes, et ensuite les grands marchés ont commencé à s’y intéresser.

J’ai entendu dire que vous avez refusé une invitation à passer au Ed Sullivan Show avec cette chanson. Est-ce vrai ?
Voici pourquoi je ne tenais pas à passer au Ed Sullivan Show : on m’avait offert de représenter le Canada [à l’Expo 70] d’Osaka, au Japon, et je pensais que cela en ferait plus pour nous ouvrir les marchés internationaux que le fait de participer à une émission de télévision. Nous étions déjà très connus aux États-Unis de toute manière, et je voulais aller du côté de l’Asie. La décision a été facile à prendre.

Vous vous autogériez à l’époque, je crois. Vous produisiez les disques en plus d’administrer toutes les réservations du groupe ?
Exactement. Je m’occupais également de l’édition. C’était très important, comme je l’ai appris dès le départ. Il faut que vous contrôliez tout, c’est le seul moyen. Personne ne peut vous dire ce que pouvez ou ne pouvez pas faire. Mais tout commence avec le contrôle de votre musique et la liberté d’écrire ce que vous voulez écrire en toute sincérité.

Après toutes ces années, quel est, d’après vous, le secret de l’écriture de vos chansons ?
La simplicité. Il n’y a rien de plus difficile, qu’il s’agisse d’écriture, d’arrangements ou de réalisation. C’est la condition essentielle pour qu’une chanson puisse respirer. C’est comme le rock and roll des premières années : il était tout simple et transmettait un sentiment ou émotion unique. La musique d’aujourd’hui, par contre, est tellement scientifique, technique et encombrée. Pour moi, c’est très simple : il s’agit de faire passer quelque chose à l’aide de paroles et d’une mélodie. Je n’ai jamais aspiré à devenir riche ou célèbre, je voulais plutôt raconter de petites histoires, créer de petits tableaux en chanson qui auraient sur les autres le même effet que les chansons de Buddy Holly avaient sur moi. Je n’ai jamais rien tenté de compliqué. Je n’ai jamais essayé de faire mieux que personne.