Depuis la fin des années 2010, les scènes R&B et soul québécoises connaissent une effervescence considérable, en phase avec le développement des genres au Canada et aux États-Unis. Signe qui ne trompe pas : le Gala de l’ADISQ vient d’annoncer la création d’une toute nouvelle catégorie qui récompensera dès cet automne le meilleur album R&B / soul de l’année. Portrait de cinq jeunes artistes locaux qui brillent de mille feux dans ces deux styles musicaux.

 

Rau_Ze

Rau_Ze, L'Habitude, video

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Dès les premières secondes du premier extrait radio de Rau_Ze (L’habitude), on était convaincus. Ce groove contagieux aux accents jazz, néo-soul et R&B, porté par une voix saisissante, laissait transparaître toute l’originalité du duo.

Rau_Ze, c’est la rencontre entre deux artistes, mais surtout deux amis et anciens camarades de classe au cégep: Rose Perron et Félix Paul.

La première caresse le rêve de chanter depuis qu’elle est toute jeune, inspirée par les voix colossales de Nina Simone, d’Ella Fitzgerald et de Billie Holiday ainsi que par certaines des figures québécoises les plus marquantes de leur génération comme Marie-Pierre Arthur, Fred Fortin, Avec pas d’casque et Klô Pelgag. « Ce qui vient me chercher, ce sont les voix féminines qui gueulent et qui s’en foutent », résume Rose Perron.

Le deuxième, lui, est un adepte de musique classique et de jazz, un multi-instrumentiste qui n’avait, du moins à la base, peu ou pas d’attrait pour la « musique avec de la voix ». Les deux complices ont eu un coup de foudre musical mutuel durant leurs études collégiales, et leur bagage musical très distinct s’est fusionné. « On est allé chercher un amalgame de nos influences et on s’est créé une espèce de petite bulle, avec des références communes comme D’Angelo, Erykah Badu ou, plus récemment, Summer Walker. Y’avait pas grand-chose dans ce son-là au Québec, donc on a commencé en anglais […] puis on s’est rendu compte qu’on avait plus à gagner à s’exprimer dans notre langue », explique Félix Paul.

Ce qui a tout déclenché pour le duo, c’est sa participation à l’édition 2022 des Francouvertes, que le tandem a d’ailleurs remportée haut la main. Au lieu d’accumuler les spectacles et de se presser à sortir des chansons suite à cette victoire, Rau_Ze a pris son temps. Le fruit de tout ce travail, l’album Virer nos vies, arrivera enfin à nos oreilles le 29 mars prochain.

 

Anaïs Cardot

Anais Cardot, Colors, video

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D’aussi loin qu’elle se souvienne, Anaïs Cardot chantait. « Je chantais avec mon père, toute petite », explique l’autrice-compositrice-interprète, qui a habité au Gabon et en France avant d’atterrir ici. « À l’âge de 14 ans, j’ai intégré le groupe de chant de ma tante avec ses amies. On interprétait du Stevie Wonder, du gospel et de la musique gabonaise également. »

Plus tard durant son adolescence, Cardot s’achète un ukulélé et publie, à partir de son Gabon d’origine, des vidéos où elle reprend des chansons. Il faudra toutefois attendre son arrivée au Canada – alors qu’elle étudie l’environnement à l’Université d’Ottawa – pour qu’elle planche avec plus de sérieux sur ses propres chansons. « Je pense que la solitude a un peu joué à ce niveau. Je me retrouvais dans un nouveau pays, où je ne connaissais personne sauf ma sœur. J’étais dans un nouvel environnement, donc tout était là pour que je prenne la chance de découvrir l’artiste que je suis. »

Adepte de soul, de R&B et de jazz, mais également de flamenco et de bossa-nova, l’autrice-compositrice-interprète mélange toutes ces influences avec un souffle organique, plutôt dépouillé, sur son plus récent minialbum, Pink Magnolia, paru à l’été 2023.

Cette offrande aux sonorités très riches et vivantes est en partie le fruit de sa rencontre avec le producteur et musicien américain Anoop D’Souza. « J’avais publié une vidéo qu’il avait aimée, et il m’a contacté sur Instagram. On a fait de la musique à distance et, en 2021, j’ai pris mon billet pour aller le rejoindre à Los Angeles pendant un mois. »

Cumulant les millions d’écoutes sur les plateformes, Anaïs Cardot centrera ses énergies autour de la scène pour l’année en cours, en plus de proposer de nouvelles chansons, qui suivent la tangente musicale de Pink Magnolia.

 

Hawa B

Hawa B, Hold On, video

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Hawa B se souvient du premier disque qu’on lui a offert. « J’avais quatre ans, c’était un CD de Destiny’s Child. J’ai eu un grand amour pour Beyoncé à partir de là. Elle m’a suivi de mes quatre ans jusqu’à aujourd’hui », raconte-t-elle.

C’est toutefois un autre monde musical qui s’ouvre à elle lorsqu’elle entre au secondaire. « Y’avait pas vraiment de culture hip-hop [ou R&B] à mon école. Par souci d’entrer dans le moule, je me suis mise à explorer le rock, en particulier des artistes comme Led Zeppelin, Pink Floyd, Radiohead… » énumère celle qui chantait alors dans un groupe pop rock.

Puis, au cégep et à l’université, c’est le jazz qui commence à l’interpeller, en particulier le jazz traditionnel du milieu du XXe siècle comme celui d’Ella Fitzgerald. C’est donc un ramassis de tout ce bagage que l’autrice-compositrice-interprète, bachelière en chant jazz, propose dans sa musique.

Après avoir roulé sa bosse comme choriste avec des artistes de tout acabit (Renée Wilkin, Elage Diouf, Charlotte Cardin, Hubert Lenoir, Greg Beaudin), elle a pris en main sa carrière solo avec un premier minialbum, Sad in a Good Way, en 2022. « J’ai toujours composé de mon côté, mais [se lancer en solo], ça vient avec beaucoup de pression financière », explique-t-elle. « Pendant un moment, j’ai enseigné la musique et le chant, mais depuis l’an dernier, j’ai complètement arrêté. J’ai également commencé à refuser des contrats de choriste. Je me suis dit que j’allais y aller all in [pour ma carrière]. »

Son deuxième projet, Sadder But Better, arrivera sur les plateformes d’écoutes le 5 avril 2024. Concocté aux côtés du réalisateur et multi-instrumentiste renommé Félix Petit (alias FELP), ce minialbum a une direction poétique et musicale plus claire que son prédécesseur. « C’est un projet qui me ressemble davantage. Le premier, il était fait pour amener du confort aux gens près de moi, tandis que là, j’ai fait un peu plus d’introspection… J’ai été dans des zones plus tristes, afin de m’aider à accepter les côtés de moi que j’aime moins. En quelque sorte, c’est un projet qui m’a aidé à accepter que tout n’est pas parfait. »

 

Clerel

Clerel, Lemon Water, video

Sélectionnez l’image pour faire jouer la vidéo YouTube de la chanson Lemon Water de Clerel

Clerel se destinait à une carrière en chimie. Mais tout a basculé pour le Camerounais d’origine quand il a visité le Stax Museum of American Soul Music, à Memphis, alors qu’il séjournait aux États-Unis pour les études.

En découvrant la musique d’Isaac Hayes, d’Otis Redding et de bien d’autres artistes qui ont fait leur marque chez Stax Records à partir de la fin des années 1950, le chanteur a eu envie de creuser davantage dans la musique soul. « Je crois que c’est leur message qui est venu me chercher. J’avais l’impression que ces artistes me communiquaient quelque chose de vrai, de profondément authentique, avec un message intemporel, qui a traversé les époques. Je me suis dit : ‘’Wow! Comment ai-je passé autant d’années sans avoir écouté ça?’’ »

Clerel débarque par la suite à Montréal en 2013, accompagnant sa mère qui décroche un poste de vérificatrice fiscale. Après avoir passé des moments de solitude, il se met à courir les soirées « open mic » de la métropole – des soirées de micro ouvert dans des bars, durant lesquels n’importe qui peut venir se produire et se faire entendre. « C’était mon passe-temps nocturne, ma relâche mentale. J’avais besoin de rencontrer des personnes, de m’exposer un peu. »

L’artiste se met à publier des vidéos de chansons sur Facebook et, tranquillement, germe l’idée de les immortaliser dans un cadre plus formel, en studio. En 2018, il se joint au réalisateur et ingénieur de son Kento Kataoka pour l’enregistrement de son premier minialbum, Songs from Under a Guava Tree, qui parait l’année suivante. La signature musicale du chanteur se précise ensuite sur Interlude, deuxième minialbum – en français – sorti en 2021. « Entre les deux parutions, j’ai rencontré plein de gens du milieu musical. Ça m’a poussé à m’ouvrir à d’autres choses. »

Sans délaisser son premier amour (la musique soul), Clerel n’hésite pas, depuis, à s’immiscer dans des terrains plus vastes, empruntant des détours vers la chanson française, le R&B plus moderne et la pop. « Je fais de la musique destinée à un public. Ça implique d’être à l’écoute des gens, d’aller vers une musique qui nous ressemble davantage. Je reste dans les limites de mon goût personnel, mais j’aime l’idée d’aller toucher le plus de gens possible », explique celui qui fera paraitre un troisième EP au mois de juin.

 

 Täbi Yösha

Tabi Yosha, Around You, video

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Plus jeune, Täbi Yösha ne tenait pas en place. « Je chantais, j’étais toujours en train de danser, je voulais toujours qu’on me filme… J’avais la bougeotte ! J’ai dit à ma mère : ‘’Je vais être chanteuse ou médecin !’’ »

La première option n’a pas mis de temps à s’imposer sur la deuxième. Grande fan de hip-hop (Tupac, Biggie, Lauryn Hill) et de R&B (TLC, Erykah Badu, Destiny’s Child) dès l’enfance, Täbi Yösha est grandement attirée par les mélodies et la rythmique de ces genres musicaux, en plus d’être fascinée par le vibrato de certaines de ses artistes préférées. Ses parents l’inscrivent à la chorale d’un centre communautaire de Laval, ce qui éveille quelque chose d’encore plus fort en elle. Au tout début de son adolescence, elle écrit et enregistre ses premières chansons, en plus de se construire une réputation de redoutable chanteuse et freestyleuse à son école.

Cette passion continue de croître en elle durant sa vingtaine. Elle passe deux fois les auditions à l’aveugle de La Voix, malheureusement sans succès. « J’ai trouvé ça vraiment difficile… surtout la deuxième fois, quand les chaises ne se sont pas retournées. »

Mais Täbi Yösha n’est pas du genre à abandonner. Roulant sa bosse dans les années 2010 au sein du groupe de reprises jazz et house The Souldiers, spécialisé dans les spectacles corporatifs et les mariages, l’autrice-interprète continue d’écrire ses propres chansons de son côté. Les astres s’alignent enfin au tournant de la décennie actuelle. C’est là qu’elle choisit son pseudonyme. « Mon vrai nom (NDLR : qu’elle préfère ne pas divulguer), c’est celui qui est associé à mon rôle de mère, à celle qui apprend les chansons des autres. Täbi Yösha, elle, elle prend des risques. Elle est éclatée, elle est pas gênée… C’est quelqu’un d’autre. »

La chanteuse se révèle en 2022 sur l’album de remix d’Aquanaute, classique d’Ariane Moffatt qui fêtait alors son 20e anniversaire. Puis, l’année suivante, son premier minialbum, True Colors, parait sous l’étiquette Bonsound. « Depuis, j’apprends à me connaître, en même temps que mon public. Je rencontre de plus en plus de gens du milieu musical qui vivent à la même fréquence que moi. »

En attendant son prochain projet musical, fruit d’un travail avec des producteurs hip-hop de renom comme High Klassified et Da-P, Täbi Yösha se produira dans plusieurs festivals cet été, en plus de proposer un remix amapiano de sa chanson Loving You with a Broken Heart.