Au moment de notre interview, David Macklovitch, alias Dave 1, se trouve à Minneapolis, un hasard trop heureux pour être passé sous silence. Comme le plus récent disque de son groupe Chromeo se veut un hommage au funk, on peut difficilement imaginer un meilleur endroit que la ville natale de Prince pour en parler… « En plus, notre spectacle a lieu dans la même salle où Prince joue dans le film Purple Rain ! Disons qu’on sent quelques fantômes… », précise le chanteur.

Le spectre de Prince est l’une des nombreuses références qui sautent aux oreilles à l’écoute de Head Over Heels, en particulier sur Bad Decision, qui, avec sa « slap bass » et sa guitare nerveuse, est carrément un hommage au regretté chanteur. « C’est l’une des chansons qui représente le mieux la couleur que l’on voulait donner à l’album, poursuit Dave 1. On voulait garder les rythmes électro qui font partie de notre ADN mais en y apportant une touche plus humaine. En fait, on voulait essayer de recréer l’énergie d’un band rock des années 1970. »

Afin d’atteindre leur objectif, Dave et son partenaire Patrick Gemayel, alias P-Thugg, se sont installés dans un studio de Los Angeles, où ils ont convié une impressionnante brochette d’invités, une nouveauté dans leur univers plutôt insulaire. « Honnêtement, je n’aime vraiment pas l’ambiance de L.A.; on y est allés surtout pour des raisons de logistique », précise Dave, un fier résidant de New York. De French Montana à DRAM, en passant par Rodney « Darkchild » Jenkins et Jesse Johnson, du groupe The Time (un autre clin d’oeil à Prince), des artistes de générations et d’horizons différents se sont intégrés au duo.

« Celui qu’on voulait le plus avoir, c’est The Dream. Pat et moi on est des fans finis de son travail (il a notamment produit Umbrella pour Rihanna, NDLR) et on était vraiment heureux de l’avoir pour chanter sur Bedroom Calling. Pendant tout le processus, on se nourrissait de l’énergie de nos collaborateurs même si, dans le cas d’Amber Mark, qui chante sur Just Friends, la collaboration s’est faite à distance, via un échange de courriels. On a gardé dans la chanson la petite phrase où il s’adresse directement à moi en me disant « voilà ce que j’ai à t’offrir, Dave, rappelle-moi si tu as besoin d’autre chose » pour garder un côté spontané. »

Chromeo 2018 Album Cover

Malgré leur envie évidente d’introduire un souffle de liberté dans leur travail, les gars de Chromeo demeurent fidèles à leur son et à leurs penchants perfectionnistes, limite « control freak ». Une approche qui s’étend au visuel de l’album, qui offre aussi une variation amusante sur une recette connue. Après avoir utilisé (et objectifié) des jambes de femmes désincarnées sur toutes leurs pochettes, les deux gars inversent la dynamique en apparaissant eux-mêmes en bas résille et talons hauts sur celle de Head Over Heels. Un choix calculé qui introduit un élément nouveau tout en respectant une approche graphique établie dès les débuts du groupe. « La présentation visuelle est primordiale pour nous, explique David; à certains égards, elle peut même être plus importante que la musique! La plupart des groupes qui nous ont marqués, des Ramones à Daft Punk, ont une image très forte et unique. Prends KISS, par exemple : je pourrais à peine te nommer cinq de leurs chansons, mais je sais exactement de quoi leurs shows avaient l’air. »

Pour la tournée de Head Over Heels, le groupe s’est payé une scénographie scintillante, couvrant la scène d’éléments de décor, d’instruments et d’objets entièrement chromés. Une mise en scène clinquante et une approche festive taillée sur mesure pour les festivals, où les gars viendront jeter un peu de lumière dans notre époque trouble.

« Patrick et moi on vit aux États-Unis en 2018; alors il est absolument impossible de ne pas être politisés! Et comme on ne se gêne pas pour partager nos opinions, que ce soit dans les réseaux sociaux ou les interviews, on ne ressent pas le besoin de faire de la musique engagée. Pour nous, faire de la musique dont le seul but est de rendre les gens heureux, c’est déjà un geste politique. »



La Chute de SparteC’était son premier tapis rouge à vie. Première musique originale pour long-métrage aussi, ajoute-t-elle. « Si c’était agréable? Oui. Mais je ne fais pas partie de l’équipe devant la caméra, alors j’étais très « low profile… » Et pourtant, la sortie du film La chute de Sparte, une adaptation du roman de Biz (Loco Locass) réalisée par Tristan Dubois, revêtait quelque chose d’assez exceptionnel : au générique, à la section musique originale, on pouvait lire le nom de Sophie Lupien, une des rares compositrices de musiques de film au Québec.

Soyons réalistes en affirmant que le Québec n’a pas une tradition de compositeurs de musiques de film comme il en existe une en France, en Italie ou aux États-Unis. Sophie Lupien en convient, soulignant que ça a aussi avoir avec la nature de la bête : « Souvent, la musique dans un film existe pour appuyer la scène à l’écran, la trame narrative, et non pour nécessairement briller. Compositeur pour musiques à l’image, c’est un autre métier, différent de composer sa propre musique, à soi. » Les auteurs-compositeurs-interprètes d’ici sont acclamés; les compositeurs de musiques de film sont souvent relégués derrière l’écran, malheureusement…

Elle convient tout autant que les compositrices, dans notre petit milieu, sont très peu nombreuses. De récente mémoire, Catherine Major (une auteure-compositrice-interprète à la base) s’était distinguée pour sa musique du film Le Ring en 2008; en 2013, c’est Viviane Audet, elle aussi auteure-compositrice-interprète, qui s’illustrait pour sa musique du film Camion, coécrite avec Robin-Joël Cool et Éric West-Millette. En 2007, c’est Jorane, dont le style souvent instrumental se prête plus naturellement à la musique cinématographique, avait aussi brillé pour le travail qu’elle fait sur les images d’Un dimanche à Kigali. Elles avaient toutes les trois remporté le Prix Jutras (aujourd’hui Prix Iris) de la Meilleure musique originale.

Le travail de Lupien se conjugue ici avec celui des co-compositeurs de La chute de Sparte et se distingue justement par son souci de s’effacer au profit de l’action. À côté des chansons originales composées par La Bronze et des titres empruntés aux répertoires des rappeurs Rymz, Manu Militari et Muzion, la bonne trentaine de minutes musicales composées par la Montréalaise accompagne les moments plus nuancés de ce film d’ado intelligent – le producteur et DJ de Loco Locass, Chafiik, collabore également à certains passages instrumentaux.

« J’avais à composer des musiques qui passaient souvent après des chansons que l’on remarque » comme les expressives compositions de La Bronze, ou les rigides raps de Manu Militari, explique Lupien. « C’était beaucoup un travail de transition entre les scènes. Parfois, cette transition se fait aisément, par exemple en jouant dans la même tonalité [que la chanson précédente], mais dans un style musical différent, qui suggère de nouvelles émotions. »

Ce délicat travail de transition était nécessaire « parce que c’est vrai que c’est un film dense, avec beaucoup de scènes. C’est là que la transition musicale est importante, pour faire en sorte que les spectateurs comprennent bien le fil du récit, qui se déroule sur une période de six mois, et qui est raconté en seulement 1h30. La musique a un rôle à jouer là-dedans. »

Arrivée à la musique de film « par la bande » grâce à des amis communs au réalisateur Tristan Dubois, elle avait d’abord composé la musique de ses deux premiers courts-métrages, en 2009 et 2012. Tout naturellement, c’est à Sophie Lupien que le réalisateur, né en Suisse, s’est tourné pour habiller de musiques les scènes de La chute de Sparte. « Ce qui était génial pour moi, c’est la possibilité de toucher à plein de genres musicaux. Pour le gros plan sur la polyvalente au début du film, y’a une musique plus électro; ailleurs, ce sont des passages plus orchestraux, d’autres moments plus jazzés cachés derrière la scène », dit la compositrice, qui a consacré deux bons mois à écrire ces musiques à partir des indications du réalisateur.

« Tristan a réfléchi longuement à la musique dont il avait besoin et savait ce qu’il recherchait pour ses scènes, raconte Lupien. Lui fonctionnait avec un premier montage sur lequel il avait trouvé des musiques de références. Ensuite, je devais composer des musiques originales qui reflétaient ses intentions – il ne s’agit pas de reproduire les mélodies ou les harmonies précises de ses musiques de références, plutôt d’essayer de recréer l’émotion, l’intention derrière ses choix. C’est le plus difficile dans la musique pour le cinéma : toujours composer dans l’idée que cela serve la trame narrative. Il faut bien saisir l’histoire, comprendre la trame, pour ensuite être capable de souligner en musiques ce qui doit l’être. C’est, d’une certaine manière, décortiquer chaque scène mise à l’écran. »



ChancesChances c’est Geneviève Toupin (Willows), Chloé Lacasse (gagnante des Francouvertes en 2011) et Vincent Carré (Antoine Gratton, Alex Nevsky, Mountain Daisies, Monsieur Mono). Deux chanteuses-claviéristes et un batteur. Révélés tous les trois sur le disque Lunes de Lacasse, l’aventure a pris une nouvelle tournure avec la création du trio à parts égales: tout le monde s’éclate, explore, fonctionne essentiellement à l’instinct, des mondes sont inventés.

« Le futur, c’est le mélange des cultures, raconte la Manitobaine Toupin depuis Baie-Comeau où Chances joue en première partie d’Alex Nevsky pour les trois dernières dates de sa tournée. Chanter en Ojibwé (sur la chanson Shine), une langue algonquienne que je ne maitrise pas du tout même si je suis métis, c’est dans mon arbre généalogique. D’où je viens, la présence autochtone on la ressent très fortement. À Winnipeg, il y a même des réserves dans la ville. Ce sont mes racines ».

Ce besoin de s’abreuver, cette volonté d’aller de l’avant. Sur les dix titres déployés dans Traveler, la musique est rayonnante, puissante, addictive même.  Comme une bouffée musicale au pouvoir cathartique. Grâce aux harmonies vocales arrangées avec beaucoup de cohérence sur des déferlantes de claviers, l’évasion est métaphysique.

« Chloé et moi on a suivi des cours de chant indiens (chant carnatique), on s’en est inspiré beaucoup »,  raconte Toupin, tandis que Lacasse affirme: « on s’est aperçu que nos voix blendaient rare, c’est un projet de liberté, chanter à plusieurs c’est vraiment l’une des grandes joies de la vie. Mais ça nous prenait d’abord les beats de Vincent pour nous guider. Le cœur de notre musique, c’est le rythme et les harmonies vocales, explique-t-elle. On voulait mélanger le côté très moderne à la Milk and Bone à quelque chose de plus grand que nous ».

Lacasse mesure la portée du sacrifice: « le travail des maquettes en studio m’a beaucoup demandé, des fois tu peux passer des heures à gosser sur des sons. On a mis douze mois pour réaliser le disque et avancer dans le processus de création une chanson à la fois. On a longtemps discuté du projet avant même de s’embarquer dans l’écriture. Pendant deux mois, nos 5 à 7 ont été riches en échanges d’idées.

Composer à trois, ça s’est fait plus naturellement que je ne l’aurais cru. C’est plus long que d’habitude, mais c’est une musique qui demande à être arrangée en studio pour pouvoir savoir ce qu’on va faire après sur scène », poursuit-elle.

Traveler regorge aussi de textes au fort pouvoir d’évocation: « On veut que notre musique donne de la force aux gens malgré le contexte politique actuel qui sévit aux États-Unis, clame Geneviève Toupin. Ça a éveillé notre colère. On vit dans un monde d’images, d’apparence, de popularité… »

Le dispositif de scène est efficace: deux claviers aux extrémités de la scène et le batteur et pourvoyeur de rythmes, Vincent Carré, au milieu. « J’ai personne en avant de moi, explique Vincent Carré qui a joué sur les premiers disques de Chloé Lacasse. Ma batterie est placée là où le chanteur devrait être. Mais je suis très expressif quand je joue et le public aime ça. Je fais des mimiques sans m’en apercevoir… Une chose que j’ai découverte avec Chances, c’est de baisser le volume de mon instrument. On a joué hier à Baie-Comeau (avec Nevsky) dans une salle de 900 places, mais on peut jouer le lendemain dans un café de 30 places à Trois-Pistoles, faut s’adapter ».

« Oui il y a de l’électro et on s’en vient s’amuser.  J’ai fabriqué des beats avec des logiciels qui ont donné le ton à l’exploration. C’est un autre terrain de jeu. Les filles voulaient que ça sonne autrement. Je viens d’une famille de femmes, l’égalité des femmes c’est très important chez nous, je me sens super bien dans l’univers des filles. On a été aspiré par le projet, cette bulle-là, on la vit à fond ».

En spectacle les 30 juin et 1 juillet au M2 du MTelus
dans le cadre du Festival international de Jazz de Montréal