Quelques mois après la sortie de New Worlds, un deuxième album aux sonorités décapantes et au message social alarmiste, le trio électro montréalais Black Tiger Sex Machine poursuit sa conquête du monde.

Grands fans de science-fiction, Marc-André Chagnon, Julien Maranda et Patrick Barry ont imaginé une scénographie vive et ardente à la toile de fond post-apocalyptique pour cette longue série de spectacles qui, après les nombreux festivals électroniques de cet été, s’arrêtera un peu partout en Amérique du Nord et en Asie. « On a toujours tripé sur des films comme Blade Runner et Mad Max, sur ces mondes qui n’existent pas, et où on ne voudrait pas habiter de toute façon, mais par lesquels on est fascinés », explique Maranda.

Fondateurs de Kannibalen Records, étiquette indépendante qui représente notamment Apashe et Lektrique, les trois musiciens et entrepreneurs sont en plein contrôle de leur proposition artistique, qui prend racine à travers une histoire de science-fiction aux multiples rebondissements. Incarnés par leurs casques de félin, les personnages qu’ils jouent sur scène sont les leaders d’une secte, la «BTSM Church », qui a comme but de combattre les forces du mal du docteur allemand Kannibalen. D’abord venu en Amérique du Nord pour soigner les gens contaminés par une bactérie, ce dernier est devenu complètement fou à la suite de la mort de sa famille et a synthétisé le virus initial pour mieux le propager dans l‘eau, rendant ainsi les gens cannibales.

Paru ce printemps, le clip de Zombie montre toutefois que, depuis la sortie de Welcome to Our Church en 2016, la rébellion de la « BTSM Church » a perdu du terrain et que le sort de l’humanité est on ne peut plus incertain. De là le concept de ce deuxième album qui, derrière sa trame electro house industrielle aux teintes dubstep, évoque toutes les avenues possibles de ce monde où les forces du mal surplombent celles du bien. À eux seuls, les titres des chansons (War, Madness, Artificial Intelligence, Replicants) en disent long sur les enjeux qui animent les créateurs. « On est concernés par la technologie et la politique, par des sujets d’actualité comme l’intelligence artificielle, qui amènent à la fois des bons et des mauvais côtés », relate Barry.

« On a qu’à penser aux impacts que l’intelligence artificielle aura sur la classe moyenne prochainement. Y’a des jobs qui vont être remplacés par des robots et, si t’es pas un stratège ou un créatif, tu vas sûrement en écoper, réfléchit Chagnon. Oui, les humains ont toujours trouvé des solutions, mais là, les problèmes sont plus gros que jamais, surtout au niveau environnemental. »

New Worlds incarne donc cette vision somme toute pessimiste du monde, que partagent les trois créateurs. « On construit notre musique comme une bande sonore de film, dans laquelle toutes nos émotions passent. Les moments intenses de nos chansons, c’est clairement ce qui nous angoisse, mais il y a aussi des moments ambiants, plus atmosphériques », analyse Barry.

« C’est surtout notre façon de questionner le monde qui nous entoure, poursuit Maranda. En habitant à Montréal, c’est facile d’être optimiste, car on a une certaine conscience de l’environnement, mais en Chine, on a vu quelque chose d’autre. Il y a beaucoup, beaucoup trop de monde, et la pollution est extrême. On ne juge pas, mais on capte l’information. »

Boom asiatique et esprit DIY

Black Tiger Sex MachineCes observations n’ont toutefois pas altéré l’expérience du trio en Asie. Dans ce « marché en explosion » où « les festivals doublent chaque année », les trois amis qui se connaissent depuis le début de l’adolescence ont su piquer la curiosité de plusieurs promoteurs et d’une horde de nouveaux fans.

« En Corée du Sud, notre set était super tight avec l’immense mur LED en arrière et, tout de suite après, on a vu des grosses répercussions, comme des bookers de Thaïlande qui voulait nous inviter au Full Moon Party. On a dû décliner, car on était en Chine et qu’on devait aller à Chicago après…, relate Maranda. Mais heureusement, on va y retourner en novembre, et notre agent nous a dit qu’on devait se préparer à aller en Asie au moins 5-6 fois par année. Je pense que le côté animé de notre brand favorise ça, tout comme la vibe très cinématographique. »

Peu médiatisé au Québec, Black Tiger Sex Machine peut se vanter d’avoir réussi cette percée tout de même enviable par ses propres moyens, sans l’appui d’une grosse compagnie de disques. Formé en 2009, le groupe a tranquillement fait sa marque comme trio de DJs à Montréal, avant de connaître un véritable succès l’année suivante lors du premier événement Kannibalen au Belmont, bar-club emblématique de la Main. « On nous avait demandé si, en 10 jours, on pouvait organiser un gros party dans ce gros bar-là… alors qu’on n’avait jamais fait ça !, raconte Chagnon. Contre toute attente, il n’y avait pas vraiment d’évènement électro à Montréal ce soir-là, et 500 kids se sont pointés. Ça a été un vrai homerun ! L’énergie était incroyable, c’était comme un show de Skrillex. »

Plusieurs soirées mensuelles similaires plus tard, les trois producteurs et DJs ont la brillante idée de transformer la marque Kannibalen en compagnie de disques. « J’écoutais un podcast de la BBC avec l’agent de Justice et de Daft Punk, Pedro Winter, qui racontait comment il avait réussi à métamorphoser sa soirée Ed Banger en label, se souvient Maranda. À plus petite échelle, on avait nous aussi la chance d’avoir un fanbase qui connaissait notre brand, alors on devait juste trouver un moyen de connecter tout ce monde-là à nos releases. Évidemment, on n’avait aucune idée de comment démarrer un projet de la sorte, donc on a juste utilisé notre background et notre instinct pour rendre ça le plus professionnel possible. »

Peu à peu, les membres ont trouvé leurs forces. Diplômé en finances, Patrick Barry s’est concentré sur la comptabilité, tout en gardant son rôle de claviériste et de principal mélodiste du groupe. Marc-André Chagnon, lui, a pris le contrôle de la création du spectacle, incluant mix et projections, tandis que Julien Maranda a pris en charge le marketing, l’organisation des tournées, en plus du mixage et du mastering de la musique. C’est également lui qui, sur scène, contrôle la lumière des casques de félin à l’aide de son finger drum.

Bref, le trio est un exemple probant de ce que la philosophie do it yourself peut amener de mieux. « On a fait des petites erreurs au début, mais en fin de compte, on a réussi à se construire une bonne éthique de travail. Et, à mon sens, cette éthique est l’une des bonnes au Québec, car on est l’un des groupes qui font le plus de spectacles à l’international, croit Maranda. Surtout, on a montré que c’était possible de partir ça sans trop avoir de connaissances dans le domaine. On a juste grossi comme on pouvait, organiquement, étape par étape. »

Le 10 août à ÎleSoniq