Pas facile le métier d’auteur et compositeur, surtout en cette période trouble que traverse l’industrie du disque. De la discipline, des reins solides et une bonne dose d’audace représentent certainement les meilleurs atouts pour percer dans ce domaine. Comme dans toute profession, le plus difficile est certainement de réussir à obtenir ses premières chances de faire valoir son talent. C’est à ce moment que le terme audace prend toute sa signification, parce qu’il en faut beaucoup pour approcher directement les interprètes avec qui l’on aimerait travailler.

 

« Je suis allé aux FrancoFolies et j’ai rencontré Sylvie Paquette dans la foule, se remémore Dave Richard, lorsqu’on lui demande de quelle façon il a décroché son premier contrat. Je lui ai tapé sur l’épaule en lui disant que j’avais des textes et que je débutais. Elle a été super ouverte et m’a donné son numéro de téléphone ainsi que son adresse. Je lui ai envoyé mes 50 textes, tout énervé! Il faut forcer le hasard, et le refaire souvent. Après, j’ai eu un éditeur, je me suis mis à aller dans des lancements pour croiser des gens avec qui je voulais travailler, » ajoute celui qui a par la suite écrit notamment pour Luce Dufault, Marie-Élaine Thibert, Lynda Thalie, Marie Carmen et Stéphanie Lapointe.

 

Même chose du côté de Céline Abric, la plume derrière certains des succès de Jean-François Breau, Marie-Ève Janvier et Émily Bégin : « J’ai pris mon vélo et j’ai placardé toute l’avenue Mont-Royal d’affiches disant que j’étais une jeune auteure-compositrice qui cherchait des collaborations. Ce fut donc un hasard provoqué. »

 

Sa rencontre la plus déterminante a cependant eu lieu alors qu’elle étudiait à l’École du Show-Business. « Si je suis allée à l’École du Show-Business, c’est pour les contacts. J’y ai rencontré le premier gérant d’Émily Bégin, avant qu’elle fasse Star Académie. Il m’a demandé quelques chansons. Ensuite, je suis allée dans un lancement et elle était là. Elle avait un nouveau gérant et elle préparait son album. J’ai dit que je voulais y participer. J’ai donc rencontré le réalisateur et compositeur Antoine Sicotte et j’ai fini par écrire tout l’album! » relate la Française d’origine venue s’établir au Québec dans le but de pratiquer ce métier.

 

D’autres ont simplement eu beaucoup de flair pour rapidement s’établir une solide réputation, comme ce fut le cas pour Sonny Black, réalisateur et compositeur. Il s’est forgé une bonne renommée en très peu de temps au début des années 2000, après avoir contribué aux premiers succès de Corneille et K-Maro. « J’ai débuté il y a 12 ans en ouvrant un petit studio et je ne chargeais pas trop cher. Beaucoup d’artistes hip hop et de la scène urbaine venaient, car ils n’avaient pas les moyens de se louer un studio à 150$ l’heure. Lorsqu’on se rencontrait, ils me demandaient si je faisais de la musique. Je répondais : bien sûr! Plus les projets grossissaient et le rayonnement augmentait, plus le téléphone sonnait. Ça a facilité les choses. Je suis donc moins du genre à aller vers les artistes aujourd’hui. C’est plus eux qui appellent, » confie-t-il.

 

Capacité d’adaptation

 

Pour bien des auteurs, la facilité à décrocher des boulots est directement liée à leur polyvalence. Si certains vont refuser des projets qui ne correspondent pas à leur personnalité, d’autres décident de mettre à l’épreuve leur capacité d’adaptation et, du même coup, de ne pas s’enliser dans un seul créneau. « Au début, j’étais beaucoup plus R&B et les gens doutaient que je puisse écrire de la musique à texte. J’ai dû me battre pour imposer une plume différente, » souligne Céline Abric. « Il faut faire confiance au projet, à l’artiste et à la voix qui va chanter. Je ne dis pas souvent non. Je ne suis pas quelqu’un qui va sélectionner. Ça prend de l’ouverture. Quand on est ouvert, on peut réussir à développer quelque chose de plaisant, » renchérit Dave Richard.

 

« On n’écrit pas pour soi. On est au service de l’autre, soutient Céline Abric. J’ai la chance d’avoir un catalogue assez diversifié. Je suis très malléable. Il peut arriver que l’interprète n’assume pas mes paroles. J’essaie alors des synonymes et des images qui lui colleront davantage, mais j’essaie aussi de défendre mon point. Il y a déjà eu de gros combats! » poursuit-elle.

 

Peut-on aller jusqu’à mettre de côté ses propres convictions artistiques? Sonny Black a fait le pari d’accepter uniquement des collaborations qui collent à ses intérêts musicaux. Si le style lui va, il fonce, même s’il est en présence d’un artiste totalement inconnu. L’important pour lui est qu’il se sente interpellé par le projet. « Je ne vais pas écrire pour Éric Lapointe par exemple. Ce n’est pas mon créneau musical. Je n’y touche pas vraiment. J’aime quand ça groove. Il y a aussi quelque chose qui m’excite, c’est de prendre un artiste qui débute et de le développer. Quand ça marche, je suis encore plus fier. J’ai travaillé pas mal de trucs sans budget, puis ça s’est mis à fonctionner un, deux ou trois ans plus tard. Je le faisais vraiment par amour. Le succès et l’argent sont des conséquences, pas le but, » croit celui qui a aussi collaboré avec Dubmatique et Marc-Antoine.

 

Période difficile

 

Comme si travailler dans l’ombre d’interprètes n’était pas déjà assez difficile, il a fallu qu’une crise du disque vienne frapper l’industrie. Et ce ne sont pas les nombreux albums de duos et de reprises qui donneront du boulot aux jeunes auteurs. « On fait de moins en moins de disques. Les grands noms sont plus durs à approcher pour les jeunes auteurs. Les disques de reprises aussi font mal. Cela signifie qu’il y a moins de création qui se fait. J’ai aimé plein d’albums de reprises, mais il reste que c’est angoissant, » évoque Dave Richard. Un point de vue partagé par Céline Abric, qui considère que « les reprises, c’est un pied de nez à la relève. En plus, les artistes reprennent toujours les mêmes auteurs. Nous sommes payés avec les ventes d’albums et les passages radio. Les reprises ne nous encouragent pas ».

 

Mais il y a toujours espoir, dit Sonny Black : « Il y a une grosse déprime dans le milieu, surtout dans les maisons de disques qui sentent le modèle changer et qui ne savent pas quoi faire avec ça. En même temps, l’industrie de la musique existe depuis longtemps et elle va être là encore longtemps. Ça va bien de mon côté, je travaille. Il y a peut-être moins de ventes de disques, mais il y a certainement plus d’occasions de placements de pub. La musique est partout, » conclut-il sur une note optimiste.