Avec notre nouvelle série Arts visuels X Musique, Paroles & Musique présente une série de portraits d’artistes visuels pour qui la musique joue un rôle essentiel autant dans la vie que dans l’œuvre. 

C’est lequel, le premier disque qui a marqué celle que l’on appelle Pony? Gabrielle Laïla Tittley a 10 ans lorsqu’elle se procure – avec son propre argent! – Vol. 2… Hard Knock Life (1998) de Jay-Z.

Le disque la marque pourquoi ? Parce qu’il s’agit de Jay-Z (tsé), mais aussi parce que le drame musical Annie (1982), sis dans le décor d’un orphelinat pendant la Grande Dépression, compte parmi les films fétiches de son enfance (sa mère est elle-même orpheline, ceci expliquant un peu cela). C’est à une des inoubliables ritournelles tirées de Annie (celle It’s the Hard Knock Life) que le rappeur new-yorkais emprunte le refrain de son propre hymne, Hard Knock Life (Ghetto Anthem).

« Je dois une grande partie de ma démarche artistique à cette toune-là », confie Gabrielle, l’enthousiasme de sa préadolescence toujours intacte. « Il y a une combinaison magique de contrastes entre le dude qui vient d’un milieu difficile et qui dit: « Voici ma réalité, je vends de la drogue » et après ça, le refrain full hop la vie. Ça ressemble à ce que je fais: je veux parler de real shit, mais les dédramatiser avec plein de couleurs. »

Quelle place la musique occupe-t-elle dans la vie de Gabrielle Laïla Tittley ? « Je suis comme la Robin de la personne que j’aimerais être », répond-elle en riant, en se comparant au garçon freluquet qui aide Batman à combattre le crime. C’est-à-dire ? L’analogie que nous offre Gabrielle signifie qu’elle s’est déjà rêvée en rock star, gouvernant une foule compacte et hurlante. Mais, puisqu’il vaut mieux ne pas contredire les talents que la vie met à notre disposition, Pony aura la sagesse, dès la polyvalente (à Gatineau), de devenir l’alliée de choix de ses amis musiciens – leur Robin ! – pour qui elle élabore à partir de 16 ans affiches, flyers et autres matériels promotionnels.

Si le pop-punk de Blink-182, Sum 41 et The Offspring, ou le hardcore de Poison the Well, tournent dans ses écouteurs à cette époque, c’est le rock incendiaire de Le Nombre qui marque son arrivée à Montréal au tournant de la majorité. « J’étais dans une phase ob-se-ssive avec Le Nombre », dit-elle en séparant bien les syllabes de l’adjectif.

Gabrielle fouille sa mémoire embrouillée afin de tenter de se rappeler quelques toiles directement inspirées du chaos organisé des disques de Le Nombre. « C’était des grosses toiles grand format. Il y en avait une avec un ampli Marshall orange… l’ampli était ouvert et il y avait… des organes dedans ? Je ne me souviens pas à quelles paroles ça faisait référence. Il y en avait une autre avec un humain à tête de zèbre. Ça, ça faisait référence à Tous ceux de ma race. »

C’est à cette époque que la peintre commence à noter le titre de la chanson ayant accompagné la longue mise au monde d’une œuvre – « Quand je trippe sur une toune, je l’écoute en boucle pendant des jours. »

PONY album covers

Ce n’était qu’une question de temps avant qu’on lui demande de concevoir des pochettes de disques, exercice stimulant auquel elle se livrera notamment pour Brixton Robbers, Travelling Headcase, Le Husky, L’Indice, Bravofunken. L’illustration qu’elle imagine en 2013 pour le EP Quand une mascotte saigne d’Ultraptérodactyle ne pourrait d’ailleurs mieux résumer la vision du monde à la fois joviale et violente, enfantine et tragique de Pony : à droite de l’image, une blondinette tient entre ses mains la tête d’une mascotte à l’effigie d’un dinosaure, pendant qu’à gauche, la mascotte en question, décapitée, saigne abondamment. Le lapin de la pochette de Manger du bois (2012) de Canailles mérite quant à lui d’être examiné de prêt afin de constater que chacun de ses poils repose sur un coup distinct de crayon de plomb.

Gabrielle Laïla Tittley recevait en 2016 le Lucien de la Couverture d’album de l’année pour Le temps f33l de CRABE et était nommée en 2020 au Gala de l’ADISQ dans la catégorie Pochette d’album de l’année pour Nul n’est roé en son royaume de Robert Nelson. La première saison de la série Résiste! (qu’elle anime à TV5) multiplie les rencontres avec différents musiciens, dont le rappeur montréalais Nate Husser, pour qui elle réalisera bientôt un clip.

Pony, Vincent Peake, Groovy Aardvark

Photo: Marc-Étienne Mongrain

C’est lors d’une des éditions de sa propre série de spectacles L’amour passe à travers le linge (organisée afin de mettre en exergue le travail de certains camarades illustrateurs, qui créent alors des gaminets vendus afin de venir en aide à différents organismes) que Gabrielle concrétise brièvement ses ambitions de rock star et monte sur scène avec Groovy Aardvark.

« Vincent [Peake] savait que Ingurgitus, c’est ma all time toune préférée. Quand il m’a invité à le rejoindre, tout le monde criait au meurtre, je ne comprenais rien de ce qui se passait. C’était le rêve de tous mes amis, on est tous fans de Groovy. Règle générale, je suis gênée sur une scène, mais là, je me suis donnée. »

Son fantasme de collaboration avec un musicien? « J’aimerais tourner un clip pour une vieille toune de Jean Leloup, comme Fashion Victim, mais mille ans en retard. C’est une des personnes que j’admire le plus créativement. J’ai toujours aimé les trucs qui sortent de l’ordinaire, qui fuckent le standard. »