CanaillesMaintenant son équilibre sur un fil de concerts, de brosses et de centaines d’heures à neuf dans une camionnette de tournée, Canailles lance son troisième disque, Backflips, le 28 avril 2017. Rencontrés autour de verres bien pleins d’une IPA florale, Daphné Brissette (voix, mélodéon ) et Erik Evans (mandoline, voix) prouvent que les musiciens folk bluegrass ont souvent des vies encore plus arrosées que celles des rock n’rolleurs.

« Donner des shows me rappelle que notre métier est super cool. Je ne me vois pas faire autre chose, mais quand même… Malgré tous les beaux moments, je me demande souvent ce que je suis en train de faire de ma vie », confie Daphnée.

Si ce questionnement existentiel arrive aussi vite dans la conversation, c’est qu’il est intimement lié au titre de la nouvelle offrande. « Pour moi, faire des backflips, c’est lâcher son fou et être heureux, un moment pas trop loin de la folie », explique la chanteuse. « C’est un laisser-aller qui caractérise pas mal notre vie avec Canailles. On surfe là-dessus tout le temps, dans nos shows, dans la vie. Mais avec les backflips viennent les doutes : Je me laisse-tu aller ? J’ai-tu le droit de me laisser-aller ? J’ai-tu trop de fun ? Je vais-tu encore payer pour demain ? Est-ce que je suis en train de faire la bonne affaire ? J’y pense constamment et je sais que plusieurs membres du groupe vivent avec ce même dilemme. »

Sans tomber dans la mélancolie, plusieurs chansons de l’album abordent ce thème : Gna gna (un bluegrass entrainant), Tête en lieu sûr (qui emprunte à l’old-time music folklorique des Appalaches) et Backflips (pièce titre aux accès de vieux blues).

« C’est fucké être musicien. T’es tout le temps en train de donner. Les seuls moments où tu ne donnes pas, c’est quand tu composes. Et t’as toujours en tête que ta carrière peut être éphémère. Tu ne sais jamais quand tout va crasher. », Daphné Brissette

Le reste du disque ? Il se nourrit de tous les moments magiques qu’a pu vivre Canailles en se permettant des backlips soir après soir. « Personnellement, je ne suis pas un être très angoissé », avoue pour sa part Erik Evans. « Je comprends les inquiétudes de Daphné, mais je suis plus dans le déni. Si on doit crasher dans un mur, ben ça arrivera, et je me relèverai. Ma seule crainte est la peur de ne pas profiter du moment présent. Chaque jour, j’ai l’impression que je dois vivre comme si c’était le dernier. La vie de musicien en est une d’opportunités. En tournée, je veux tout voir et tout faire, même lorsqu’on reste seulement 24 heures dans la même ville. Ça m’allume. Ça m’énergise, même si je reviens toujours brûlé à la maison. »

Ceinture de lutte de la honte

Heureusement pour les troupes, cette fureur de vivre génère autant d’anecdotes savoureuses que de doutes. « Notre premier disque, Manger du bois, était naïf, se rappelle Erik. On faisait des tounes pour faire des tounes. L’album est un ramassis de feelings, et on ne s’attendait jamais à ce que ce soit écouté. Le deuxième, Ronds-points, est plus calme. On avait un deadline, il fallait qu’on compose. On s’est mis à parler des difficultés vécues avant et pendant Manger du bois. On a craché notre marde. Pour ce troisième disque, on a pris davantage notre temps et on a mis l’emphase sur le fun qu’on a eu avec Canailles depuis les débuts. »

Avec son ambiance country brinquebalante, la chanson Margarita parle d’alligators, de volcan et de ceinture de lutte de la honte. Un ramassis de souvenirs glorieux, ou pas, appartenant à la mythologie Canailles dont quelques membres (Daphné, Erik, le guitariste Olivier Bélisle et la percussionniste Annie Carpentier) ont été qualifiés de « team de marde » par le reste de la troupe. « Le team de marde, c’est ceux qui sont introuvables le lendemain d’un show », élabore Daphné avec un sourire en coin. « Ceux que tu ne sais jamais trop où et comment ils vont passer la nuit. Vont-ils dormir dehors, se retrouver à l’hôpital ou être malade dans un coin ? Ce sont les pas fiables. » Parent de la fesse gauche avec Canailles, Bernard Adamus fait aussi parti de l’équipe M. « C’est le Obélix du team. Il est tombé dans la marmite quand il était petit ! »

« La ceinture de lutte de la honte est un épisode typique du team de marde, renchérit Erik. Ça se passe dans un festival extérieur à Saint-Gédéon. On jouait avec Québec Redneck Bluegrass. Le genre d’après-show qui ne pardonne pas. On devait aller coucher à l’auberge pas loin, mais bien sûr, le team de marde décide de pas prendre la navette et continue de faire la fête sur le site. Arrivé à 9h du matin à l’auberge, je sais pas où est ma chambre, et de toute façon, on doit repartir de là à midi. Je décide d’aller me baigner dans le lac en attendant et je m’allonge sur une table à pique-nique. J’ai pas dormi de la nuit. Il est 11h. Je m’endors en bedaine sur la table, les bras croisés sur mon ventre. Mais le soleil de midi, ça tape, surtout pour un roux. J’ai pogné le pire des coups de soleil, sauf sur mon ventre, là où étaient mes bras. Ça donnait l’impression que je portais une ceinture de lutte blanche sur mon corps rouge. Les traces sont restées pendant un an. Même l’été d’après, la ceinture de la honte réapparaissait quand je bronzais. C’est ça le team de marde. »

Les autres pourraient en vouloir à Erik, Daphné, Olivier et Annie, mais Canailles est tissé serré. Demandez-leur ce qui rend la formation heureuse, ils vous parleront des concerts qu’ils donnent ensemble et de ces semaines passées dans un chalet à composer en groupe. D’ailleurs, même si les chansons sont majoritairement écrites par Daphné, Erik et l’accordéoniste Alice Tougas St-Jak, toutes les pièces sont signées par l’ensemble du groupe. « Peu importe qui apporte la toune, on sépare toujours les redevances en huit, explique Erik Evans. On s’en fout. On est tous dans le même bateau. Et puis chaque membre est responsable de ses arrangements. Notre contrebassiste Antoine (Tardif) voulait amener une chanson aux accents hawaïens. On l’a monté ensemble. Notre batteur Étienne (Côté) a amené des rythmes différents sur le disque. Et pas mal tout le monde participe aux textes. On ne commencera pas à se demander qui a fait quoi pour séparer les crédits. »

Le carnet « code de vie » rangé dans la boite à gants de la camionnette de Canailles est un autre exemple de cet esprit de corps qui soude le groupe complété par le guitariste Benjamin Proulx-Mathers. On y note les bonnes et moins bonnes actions de chacun à qui l’on attribue des points. « Par exemple, lorsqu’un membre fait quelque chose qui est dans l’intérêt du band, il reçoit des points, raconte Daphné. Amener un jeu de pétanque vaut 5 points. Faire le ménage de la van donne aussi des points. Par contre, si quelqu’un fait des choses qui ne sont pas dans l’intérêt du band, il perd des points. Exemple, péter dans la van enlève 0.5 point. À la fin de la tournée, il y a un prix pour celui qui a maintenu le plus haut pointage. Ça l’air stupide, mais on s’ennuie tellement dans cette ostie de van-là qu’un rien nous amuse. »

Selon Erik, le jeu force surtout les « pas fiables » à devenir téteux. «J ‘essaie de faire le plus de points possible pour avoir le droit de péter. Ça l’air pas beaucoup, moins 0.5 point, mais quand tu es lendemain de veille, je te jure que ça peut monter vite. »

 



C’est (presque) la fin du monde tel que nous le connaissons, mais jusqu’à maintenant, Katie Stelmanis va bien. Lorsque je joins le cerveau de l’entité pop électronique Austra, elle se trouve dans « une étrange maison dans un arbre à Amiens, dans le nord de la France, un peu au milieu de nulle part. En vérité, c’est vraiment chouette ! » L’espace en question lui sert de loge durant un spectacle qui s’inscrit dans une tournée européenne de six semaines. Et bien que ce soit un changement des habituelles loges tapissées d’autocollants et de graffitis, c’est également un environnement idéal pour que Stelmanis nous parle de son dernier album. Il s’agit d’un album qui est totalement absorbé par des réflexions sur l’état de notre planète et de ce que la race humaine doit faire avant que sa petite maison dans les arbres s’écroule parce que ses branches ne peuvent plus la soutenir.

Future Politics est le troisième album que Stelmanis lance sous le nom d’Austra, mais comme le titre le souligne clairement, c’est son premier où son habituelle introspection se tourne vers le monde qui l’entoure. Inspiré à la fois par les critiques écologiques du capitalisme de Naomi Klein que des promesses utopiques de la science-fiction des années 70, Future Politics s’inquiète de la fragilité de notre civilisation — sociale, économique, environnementale —, mais demeure rempli d’espoir en raison du potentiel de mobilisation et de libération que nous offre les technologies. Par pure coïncidence, l’album a été lancé le 20 janvier 2017, le jour même où un narcissique animateur de télé-réalité a été assermenté à la plus haute fonction publique de la plus grande superpuissance mondiale, plaçant de facto ses doigts twitteresques sur le proverbial Bouton. Future Politics est – grâce à des pièces comme l’énoncé de mission qu’est la pièce titre de l’album ou encore la percutante missive à Mère Nature intitulée « Gaia » – non seulement un commentaire social, mais de facto la trame sonore non officielle de #LaRésistance.

Il va sans dire que Stelmanis n’avait pas cet objectif lorsqu’elle s’est enfermée dans un appartement montréalais, il y a deux ans, pour entreprendre la création de cet album. « Future Politics est évidemment plus politisé que tout ce que j’ai fait auparavant, puisque je l’ai écrit avant que nous nous retrouvions ou nous en sommes aujourd’hui », précise-t-elle. « J’ai créé cet album avant que Donald Trump soit sur notre radar, avant le Brexit. Je faisais face à ces problèmes en solo et je voulais qu’on en parle, et ils ont soudainement explosé sur la scène mondiale sous la forme de ce mouvement de la nouvelle droite. Je ne sais pas si j’arriverais à créer cet album si je tentais de le faire dans le climat actuel. Ce ne serait certainement pas le même album. »

Malgré toute cette attention à la situation globale, Future Politics propose également des pièces intensément personnelles comme « I’m a Monster » et « I Love You More Than You Love Yourself ». Pour Stelmanis, il n’y a pas vraiment de différence ; elles viennent toutes du même malaise. « Je n’avais pas l’intention d’écrire à propos des changements climatiques quand j’ai composé “Gaia” », explique-t-elle. « J’écrivais au sujet de ma réaction émotive à mes lectures sur les changements climatiques et la dégradation de l’environnement. J’écrivais au sujet de ma réelle réaction face à tout cela et cette réaction n’est pas très différente de celle que l’on vit lors d’une séparation. »

Comme le raconte Stelmanis, écrire en isolement — d’abord en plein milieu de l’hiver montréalais « froid, sombre et déprimant », puis dans l’environnement « coloré, chaud et ensoleillé » de Mexico — était une tentative délibérée de se couper du monde extérieur après avoir passé les quatre années précédentes en tournée et en studio avec les membres centraux du collectif, Dorian Wolf (basse) et Maya Postepski (batterie). « J’aime prendre la direction opposée à ce que je viens de terminer », explique l’artiste qui a été fidèle à cette habitude tout au long de sa carrière. Ayant grandi à Toronto, elle a reçu une formation musicale classique au piano et à la voix avant de tourner le dos à son futur au conservatoire de musique en apprenant la guitare à l’adolescence. « Je n’ai aucune idée pourquoi j’ai commencé à jouer de la guitare, car je n’écoutais aucune musique à base de guitare », confie-t-elle. « Peut-être parce que j’aimais Ani DiFranco. Je participais à des soirées micro ouvert bien que je ne savais pas encore jouer de la guitare sèche. Je jouais à l’espagnole, je grattais ma guitare avec rapidité et intensité. »

« Je n’avais pas l’intention d’écrire à propos des changements climatiques. J’écrivais au sujet de ma réelle réaction face à tout cela… et cette réaction n’est pas très différente de celle que l’on vit lors d’une séparation. »

Le chemin qui semblait se tracer et qui l’aurait sans doute conduite à Lilith Fair a brusquement bifurqué lorsqu’elle s’est liée d’amitié avec Emma McKenna qui l’a incitée à se mettre à la guitare électrique et à former Galaxy, un « power trio » punk dans la veine de Sleater-Kinney. Stelmanis a repris le chemin de sa carrière solo lorsque son groupe a (rapidement) atteint sa conclusion logique. Elle a lancé un premier album solo en 2009 intitulé Join Us et où l’on pouvait clairement entendre sa formation classique à travers ses arrangements baroques et ses envolées lyriques dignes de l’opéra, mais à travers le filtre d’un esprit synthétisé déjanté qu’elle a importé des tranchées indie rock. C’est Blocks Recording Club — une coopérative torontoise à laquelle on doit l’éclosion de talents aussi diversifiés que le violoniste Owen Pallett et les poids lourds du hardcore F__ked Up — qui avait publié ce disque. D’ailleurs, Mike Haliechuk, le guitariste de ce dernier groupe, est devenu le mentor — inattendu — de Stelmanis.

« Je lui envoyais mes chansons et il me donnait des conseils », raconte-t-elle. « Ça peut sembler contre-intuitif, mais Mike a un esprit très pop. Il a réussi à rendre mes chansons plus “écoutables” grâce à des structures et des arrangements plus réguliers et classiques. »

Avec l’aide d’Haliechuk, Stelmanis a réalisé un démo qui lui a éventuellement valu un contrat international chez Domino Records, en 2010, et sous un nouveau nom : Austra. Pour elle, « il ne s’agissait pas d’une transition définitive. Tout s’est produit vraiment lentement. Les pièces d’Austra étaient plus élaborées, plus réfléchies. Elles ont été enregistrées et mixées professionnellement, contrairement à mon matériel écrit en tant que Katie Stelmanis, qui était toujours très “artisanal”. Je crois qu’en fin de compte, Austra est simplement une version plus normale de Katie Stelmanis. »

Mais si pour elle cette transition était une progression naturelle, les gens qui suivaient sa carrière jusque là l’ont plutôt perçu comme un contraste éblouissant. Là où le clip à très petit budget pour la calamiteuse pièce « Believe Me » (2009) — où l’on voit Stelmanis et des amis gambader dans les bois pour ensuite mettre en scène un affrontement entre des puritains et des sorcières —, l’habillage visuel du premier simple sous le nom d’Austra, « The Beat and the Pulse » (d’abord paru en maxi sur l’étiquette One Big Silence de Haliechuk), était beaucoup plus sombre et troublant. Dans ce clip, Stelmanis se présente comme la grande prêtresse aux cheveux platine d’un club de danseuses mutantes et démoniaques.

Cette esthétique audacieuse a été transposée dans ses spectacles, qui sont de plus en plus élaborés et chorégraphiés, comme en ont fait foi Feel It Break (2011) et Olympia (2013), qui lui ont ouvert les portes du circuit des tournées internationales. Ainsi, Stelmanis est passée d’artiste tapie derrière son piano électrique lorsqu’elle jouait en solo à attraction principale des spectacles d’Austra où elle occupe l’avant-scène et ponctue ses envolées lyriques des gesticulations qui ne sont pas sans rappeler une version Goth de Stevie Nicks.

« Tout était une question de maturité, de me sentir bien dans ma peau », croit-elle. « Au début, je n’arrivais pas à me prendre au sérieux, et mon esthétique visuelle le reflétait bien : c’était tout le temps un peu moqueur, un peu à la blague, mais en réalité ce n’était que le reflet de mon insécurité devant une caméra. J’ai appris à m’en défaire au fil du temps. Maintenant que je suis plus souvent devant une caméra, j’ai appris à l’apprivoiser. C’est plus facile de se prendre au sérieux et de projeter une image que vous voyez dans votre propre esprit. Mais ça demande tout de même un certain courage. »

Quoi qu’il en soit, alors même que Future Politics est en train de confirmer une fois pour toutes son statut en tant qu’une des artistes les plus surprenantes et provocantes de la pop indépendante contemporaine, elle avoue qu’elle doit encore s’habituer à certains aspects de la vie sous les projecteurs. La frontière entre la contre-culture et la culture populaire devient de plus en plus floue, et il n’est plus rare de voir des artistes d’une sphère écrire pour des artistes de l’autre – pensez à Justin Vernon et sa collaboration avec Kanye ou encore Dave Longstreth (de Dirty Projectors) qui collabore avec Solange sur la pièce A Seat at the Table. Mais lorsque le label de Stelmanis lui a récemment suggéré de travailler avec un auteur-compositeur professionnel très connu à Los Angeles, dans le but d’offrir le résultat à la diva la plus offrante, elle n’a pas réussi à trouver le courage de le faire.

« Ça fonctionnerait comment, au juste ? », lance-t-elle en riant. « Je trouve ça tellement quétaine. L’un de nous écrit le refrain ? Je ne comprends rien là-dedans. L’écriture est une position de très grande vulnérabilité pour moi, car 90 % de ce que je fais est probablement nul. Alors la simple idée d’être dans une pièce où les gens entendent ce 90 % est une vraie histoire d’horreur. Le monde n’entend jamais que le meilleur 10 % de ce que vous écrivez. »



La première fois où je suis entrée en contact avec l’univers de Samuele, c’était il y a 2 ans, à la demi-finale des Francouvertes. Sa chanson Pas toi, dans laquelle une mère tente d’expliquer à son jeune enfant, avec toute la délicatesse qui s’impose, que ce n’est pas lui que son père quitte, mais elle, m’avait jetée en bas de ma chaise. Je me souviens m’être dit que cette fille était une sorte de Lynda Lemay d’Hochelaga. Que cette chanson-là, qu’on peut entendre sur le mini-album Le goût de rien paru en 2011, était un grand texte.

SamueleJe l’ai croisée à quelques reprises par la suite à l’École Le Plateau, l’école primaire à vocation musicale où nos kids jouent ensemble dans l’orchestre des vents, section clarinettes. Lors des concerts d’élèves, on peut apercevoir la crinière blonde ébouriffée de Samuele dans la fenêtre en régie. J’ai su qu’elle travaillait au très cool Camp de rock pour filles, qui se donne l’été à la Sala Rossa. Bref, je m’intéresse au parcours de Samuele depuis un moment déjà, car je sens qu’elle a quelque chose de riche et d’unique à offrir. Il semble que le moment de l’offrande soit arrivé : son premier « album officiel » atterrit dans nos oreilles le 7 avril.

Bien sûr, il y a eu quelques projets et de nombreuses chansons avant ça : deux démos en anglais sous le nom Starless Sky, un mini-album bilingue en 2011 (Le goût de rien) et le Z’album en 2015, qui de l’avis de l’artiste annonçait la naissance artistique de Samuele telle qu’on la rencontre aujourd’hui : « Après Le goût de rien, j’étais restée sur une mauvaise note. J’avais trouvé ça dur, j’étais prête à lâcher la chanson et j’ai décidé de faire le Z’album pour finir sur une belle expérience… Puis j’ai joué une couple de fois en femme-orchestre et j’ai retrouvé confiance. Lors d’un soundcheck, j’ai dit aux musiciens : soit le monde embarque, soit je m’en vais faire pousser des légumes dans une commune. »

Mais justement, le monde a embarqué. Samuele a remporté les grands honneurs au Festival international de la chanson Granby, ce qui lui a permis d’éponger les frais de mixage, de mastering, d’impression et de la promotion d’un album dont la conception et l’enregistrement étaient déjà passablement avancés. Entretemps, son identité d’artiste s’est précisée. L’ascendance blues vers laquelle tend son folk-rock est désormais beaucoup mieux intégrée au son et semble être là pour rester.

« C’est un groove qui est naturel pour moi, les riffs sont simples et ça part du ventre. Quand je fais de la musique, j’y vais au feeling, je suis dans mon corps, pas dans ma tête. Ces dernières années, à force de jouer ensemble, mes musiciens et moi, on est arrivés à préciser le son du band. »

Samuele jubile à l’idée de voir, un peu partout dans la ville, les affiches avec le titre de son album, un slogan féministe qui fait à la fois sourire et réfléchir. Une phrase saisissante : Les filles sages vont au paradis, les autres vont où elles veulent. À l’heure où certains commencent à se poser la question de la place des femmes en musique et de la reconnaissance accordée à leurs œuvres, on peut dire qu’elle arrive au bon moment avec une position forte, assumée et même revendiquée. L’album s’ouvre de façon audacieuse sur un discours féministe intitule Égalité de papier dans lequel on entend des phrases comme :

Compte avec moi le nombre d’élues à l’Assemblée.
Comment parler d’égalité quand ceux qui ont le pouvoir de décider si devrait ou pas naître un bébé n’ont jamais eu eux-mêmes le pouvoir d’en porter ?
Comment t’expliques à une fille qu’elle est égale aux garçons quand jouer « comme une fille » c’est d’échapper le ballon ?

Je joue aussi bien que le nombre d’heures que je consacre à ma passion et puis de toute façon, je joue comme une fille ; je joue bien, je joue fort et je ne m’excuse pas de prendre le décor.

Et Samuele pousse encore plus loin en faisant suivre ce discours inspiré par La sortie, superbe chanson d’autodétermination qui ramène en tête les notes de Cornflake Girl de Tori Amos. « Quand je la joue en show, je me crisse par terre au moment du solo de guitare ! » Samuele est libre et ça fait toujours du bien d’être devant une artiste qui a des ailes et de petites cornes.

La dernière fois que je l’ai vue en show, c’était lors des préliminaires de l’édition actuelle des Francouvertes, dans le cadre de la série « J’aime mes ex » présentée par la SOCAN. Entre deux chansons, avec la verve qu’on lui connaît, Samuele, qui est aussi intervenante dans les écoles secondaires via GRIS-Montréal (Groupe de recherche et d’intervention sociale), a démystifié toute la question de la pansexualité, du queer, de la transexualité et du polyamour sans que ce petit aparté important n’alourdisse sa perfo… Juste avant la fin de notre entrevue, elle m’apprend qu’il existe des pronoms neutres comme « ille » et « iel », qu’il y a plusieurs choses à l’essai en ce moment pour les personnes qui se définissent comme « non binaires ».

« Dire les choses et les expliquer, c’est dans ma nature. Rendre visible ce qui était invisible est un processus puissant ! » Tout comme sa musique, qui ouvre le printemps avec une force et une vigueur qui nous élèvent tous et toutes, les filles sages tout autant que les rebelles.