Récipiendaire du prix Fondation SOCAN de l’auteure-compositrice autochtone de l’année remis lors du gala des Indigenous Music Awards au printemps 2019, Anachnid a lancé son premier album Dreamweaver à la toute fin du mois de février. Elle n’en est encore qu’à l’aube de son aventure musicale, amorcée à l’été 2018 avec une poignée de chansons disséminées sur la toile… aventure qui devra prendre une pause forcée par la crise sanitaire. « Je devais participer à un camp d’écriture de la SOCAN… », échappe, résignée, la musicienne.

AnachnidAu moins, le confinement n’effraie pas Kiki Harper, à l’abri dans son appartement du Quartier latin, à Montréal. « Vivre le confinement comme tout le monde en ce moment, c’est quand même assez facile pour moi : quand j’ai fait mon album, je n’ai pas bougé pendant deux mois et demi ! » À cause d’un bête accident survenu en Finlande : en se pressant pour rejoindre une amie, elle a eu un faux pas sur le rebord d’un trottoir. Crac ! Triple fracture de la cheville. « J’ai même dû apprendre à ramper avant de pouvoir réapprendre à marcher », rigole-t-elle aujourd’hui. « Il ne faut jamais se presser pour personne… »

L’accident a laissé sa trace sur Dreamweaver, un album souvent soucieux, fait de chansons introspectives aux couleurs synthétiques tamisées, où la voix d’Anachnid se fait tantôt menaçante, tantôt à fleur de peau. Il s’agit là de l’expression des énergies masculines et féminines qui cohabitaient en elle depuis ces fractures, illustre-t-elle : « Le climax de ça, c’est la chanson Anachnid, en plein milieu de l’album », qui fait allusion à ses longues semaines d’immobilité.

En chantant et en rappant, Kiki Harper y revendique son identité « d’autochtone urbaine », alors que la house, les breakbeats, la dance-pop et le trap façonnent un univers musical très bien cerné, malgré l’éclectisme des rythmiques : « Travailler avec seulement deux compositeurs-réalisateurs [Ashlan Phoenix Grey et Emmanuel Alias] m’a permis de réaliser quelque chose de cohérent » sur le plan des sonorités. « La sortie de mon premier album m’encourage à en faire encore plus, dit-elle. Ce disque me permet de prouver que je suis capable de faire plusieurs styles de musiques, mais en gardant le même esprit. »

Son approche de la composition musicale est à l’image de son disque, moderne et spontanée. « J’écris mes textes sur place, dans le studio, en puisant dans mes émotions. J’ai l’idée d’un type de son qui me donne ensuite des idées pour le texte ; si je sens l’envie de danser, j’imagine un beat plus house, et ensuite j’entends des notes dans ma tête. J’appelle ça « downloader » la chanson, de ma tête au papier, au studio. Ensuite, on créé nos propres échantillons sonores, qui sont intégrés dans la composition », esquisse la musicienne, qui profite du confinement pour apprendre à composer toute seule la musique à l’ordinateur.

La musique l’habite depuis son enfance, la sculpture sur pierre et la peinture aussi, passions héritées de sa mère, artiste et entrepreneure. « Quant à mon père, il a un talent naturel avec la guitare », raconte l’artiste issue de la nation Ojib-Cree qui aborde les thèmes de l’identité, de la différence, de l’intégration (puissantes Windigo et America), voir de l’ostracisme (Braids).

« J’écris des chansons depuis que je suis toute jeune ; ma mère me poussait à l’époque à m’inscrire dans des camps d’art où on faisait des films et moi, la musique. Je fais de la musique depuis longtemps, mais je suis quand même introvertie. Au début, chanter devant un public, c’était un défi pour moi. J’avais du mal à faire entendre ma voix et communiquer avec les gens ; de plus en plus, je comprends ce que je fais et pourquoi je suis là. »

« J’ai appris à chanter avec les loups », avance Kiki en évoquant les liens serrés qui l’unissent à son parrain et sa marraine, en grandissant « dans le bois. Ils me gardaient lorsque ma mère allait travailler ; ce sont eux qui m’ont enseigné que si tu réponds en chantant au loup dans la forêt, il te répondra pour évaluer à quelle distance tu te trouves de lui. Si tu chantes et que tu l’entends te répondre, tu sais alors qu’il ne s’approchera pas à moins de 2 km de toi pour te laisser un territoire de chasse. C’est une sorte de musique de la nature… »