Dire de l’auteure-compositrice-interprète Amelia Curran qu’elle est prolifique est un excellent exemple d’euphémisme. Son plus récent album intitulé Watershed, paru le 10 mars 2017, est son huitième en carrière, alors que sa discographie s’est entamée avec Barricade, lancé en 2000.

« J’écris beaucoup de chansons », explique-t-elle lors de notre entrevue dans les bureaux torontois de sa maison de disque, Six Shooter Records. « J’ai écrit près d’une centaine de chansons depuis mon dernier album. J’ai fait le tri, puis je les ai toutes rejetées. J’avais besoin de quelque chose de nouveau, alors j’ai décidé de passer cinq jours dans la maison d’un ami, en Nouvelle-Écosse, en mai dernier. J’écrivais sans arrêt, du matin au soir, et huit des chansons sur Watershed proviennent de ce séjour. J’ai songé à intituler cet album Five Days In May, mais le titre était déjà pris. »

Amelia CurranPour Amelia Curran, toutes ses chansons inutilisées avaient néanmoins une utilité. « On peut s’entraîner à écrire, tout comme on s’entraîne à faire autre chose », croit-elle. « Cet entraînement, c’est exactement comme s’entraîner pour les olympiques, et c’est à ça qu’ont servi ces cinq jours. » Elle avoue d’emblée que « chaque fois que j’écris une chanson, j’ai l’impression que ça va faire un “hit”, mais le fait est que je suis une artiste folk et que je n’ai pas de “hits”. Et c’est très bien comme ça », lance-t-elle en riant.

Même si elle n’accumule pas les succès commerciaux, les éloquentes chansons de cette artiste établie à St. John’s, à Terre-Neuve et Labrador, lui ont valu le respect indéfectible des ses pairs et de la critique. En 2010, elle a remporté le JUNO dans la catégorie Album roots et traditionnel solo de l’année pour Hunter Hunter. Elle a également remporté le premier prix dans la catégorie folk de la 15e du prestigieux concours annuel USA Songwriting Competition, et elle est le lauréat de quelques prix aux East Coast Music Awards.

Watershed a été enregistré l’an dernier à Toronto en compagnie de Chris Stringer (Timber Timbre, The Wooden Sky, Jill Barber) avec qui elle a co-réalisé l’album. Elle a auparavant travaillé avec des réalisateurs de renom tels que John Critchley et Michael Phillip Wojewoda, et, de son propre aveu, elle change constamment de collaborateurs afin de ne pas tomber dans la routine. Elle a toutefois fait appel aux mêmes musiciens que sur son album paru en 2014, They Promised You Mercy : le guitariste Dean Drouillard, le percussionniste Joshua Van Tassel et le bassiste Devon Henderson.

« C’est la première fois que je retravaille avec les musiciens, et notre camaraderie s’entend », affirme-t-elle. « Ils ont travaillé avec Chris Stringer si souvent que lorsque nous nous retrouvions tous dans la même pièce, tout le monde savait exactement à quoi s’attendre au final. Nous nous étions habitués à la sonorité, aux habitudes et au côté grognon de chacun d’entre nous ! Ce sont des musiciens incroyables et on se sent vraiment en famille… C’est sans aucun doute un véritable travail d’équipe, et j’avais vraiment besoin de ça. »

Curran espère d’ailleurs pouvoir partir en tournée avec son groupe. « Ils me sont d’un grand secours, car je suis souvent seule en tournée, et je trouve ça extrêmement difficile », confie l’artiste. « Ainsi, une expérience qui peut facilement devenir néfaste pour la santé se transforme en une expérience positive. »

« La culture de la création musicale à Nashville est complètement différente. Là-bas, ils écrivent avec un but précis. Pour moi, l’écriture a toujours été quelque chose d’entièrement exploratoire, alors ça ne me vient pas aussi facilement. »

En avril, Amelia Curran participera au Writes of Spring Ontario Tour en compagnie de ses collègues Tim Baker (du groupe Hey Rosetta !), Donovan Woods et Hawksley Workman. Mais arriver à réduire à l’essentiel les versions enregistrées de ses nouvelles chansons est un exercice qu’elle qualifie de « périlleux, mais vraiment amusant. On se retrouve avec des ambiances totalement différentes. Prenez par exemple “No More Quiet”, où on entend des cuivres très 70 s, de la guitare électrique et la voix de Shakura S’Aida vers la fin : elle est désormais devenue une chanson très douce. »

Amelia Curran se remet constamment en question afin d’élargir ses horizons en tant qu’auteure-compositrice, et son récent passage à la Maison SOCAN à Nashville en est un bon exemple. « J’y suis allée en novembre dernier ainsi qu’au mois de février précédent », raconte-t-elle. « Je tâte les eaux de Nashville. La culture de la création musicale à Nashville est complètement différente. Là-bas, ils écrivent avec un but précis. Pour moi, l’écriture a toujours été quelque chose d’entièrement exploratoire, alors ça ne me vient pas aussi facilement. »

« Je ne suis pas encore certaine de la nature de ma relation avec Nashville, mais c’est assurément un monde fascinant. Une personne sur deux écrit des chansons, là-bas, et c’est absolument merveilleux. »

Parallèlement avec la parution de Watershed, Amelia Curran publiera, le 17 mars, Relics & Tunes chez Breakwater Books. Elle nous explique : « c’est un carnet de chansons qui propose toutes les paroles et les progressions d’accords pour la guitare de mes cinq albums parus chez Six Shooter. C’est un geste que je pose humblement, je me suis dit : “si vous voulez insuffler une deuxième vie à ces chansons, allez-y’. » Le livre proposera également un essai qu’elle a écrit.

Ourtre son engagement profond envers l’art de l’écriture, Curran a également, depuis quelques années, accordé beaucoup d’énergie à son rôle de porte-parole en matière de santé mentale. Elle a fondé l’organisme It’s Mental qui est dédié à l’éducation, aux services et au soutien des personnes souffrant de maladies mentales.

Pour elle, « notre rôle en tant qu’organisme de sensibilisation est de rassembler les gens. Nous devons faire entendre notre voix et dire que nous en avons assez d’attendre que la bureaucratie et les lois changent. Notre rôle est d’inspirer et d’autonomiser les gens, de montrer que nous pouvons contribuer à nos communautés, et de ne pas oublier que nos communautés sont également là pour nous. »

Amelia Curran a toujours été courageusement ouverte au sujet de ses propres problèmes de santé mentale. « Les gens avec qui je travaille directement ont toujours été informés de mes problèmes », confie-t-elle. « Je ne m’en suis jamais cachée, mais ma première et ma plus grande surprise a été de constater à quel point les gens étaient touchés lorsque j’en parlais publiquement. J’ai complètement sous-estimé à quel point ça peut être important. »

« Un de mes objectifs est de voir changer les attitudes face à la santé mentale de mon vivant. Je veux contribuer à déplacer ce balancier autant que je peux et aider à changer ce système. »