Allison Russell a placé sa ville natale, Montréal, au cœur de son premier album solo en carrière. L’autrice-compositrice-interprète, aujourd’hui établie en banlieue de Nashville, a surmonté son syndrome de la page blanche pour offrir le sublime, souvent douloureux, mais rédempteur Outside Child, par lequel la musicienne se réapproprie son histoire d’enfant victime d’abus ayant trouvé dans la métropole québécoise sa « planche de salut ».

Allison Russell« C’est avec bonheur que je reviens à Montréal », nous rassure Allison Russell, née ici de parents d’origines écossaise et grenadienne. « Aujourd’hui, mon père adoptif – qui fut l’origine de la violence que j’ai subie plus jeune – et ma mère ont déménagé en Ontario. Mes fantômes ont quitté la ville, alors lorsque j’y retourne, c’est en compagnie de ma famille, mes amis musiciens, et ça me fait toujours plaisir d’y retourner, vraiment », dit la musicienne, qui insiste pour mener cette entrevue en français. « J’essaie de pratiquer le plus possible – avec ma fille, qui adore parler dans une langue que son père ne comprend pas! »

Et qu’elle chante avec la même aisance qu’elle répond à nos questions. Sur Outside Child, plusieurs chansons comportent des strophes, voire des couplets complets, en français, comme sur The Hunter : « Le cœur de l’enfant est le cœur de l’univers, l’amour doré / Comme bien [des] printemps, généreux, chaleureux/ Mais jamais innocent / Ni complètement sans douleur », chanson composée en se rappelant sa jeunesse vécue au Québec.

« C’est la raison pour laquelle l’album débute avec la chanson Montréal : ce disque, c’est vraiment un hommage à ma ville. Montréal était ma mère lorsque ma mère n’en pouvait plus. D’une certaine manière, l’identité et l’activité culturelle de Montréal m’ont sauvée. Les concerts extérieurs du Festival de jazz m’ont sauvée, ainsi que mes visites au Musée des Beaux-Arts », dit la musicienne, qui fuyait le domicile pour éviter d’y retrouver son agresseur.

Sur la puissante 4th Day Prayer, elle chante : « I was the Queen of Westmount Park / It was all mine after dark / Old willow tree it was my throne / Till I, till I went home… ». Elle dit que Montréal l’a protégée, « avec ses coffee houses ouverts toute la nuit, j’allais y jouer aux échecs jusqu’aux petites heures du matin. Je repense à tous ces endroits où je pouvais aller, où j’ai reçu aussi une forme d’éducation, une formation artistique, où j’ai rencontré un tas de gens sympathiques. Je considère que dans ma malchance, j’ai vraiment été chanceuse ».

Russell a quitté notre ville pour Vancouver à la majorité, où elle a connu ses premières expériences de musicienne professionnelle en cofondant le groupe Po’Girl. Avec le père de sa fille, JT Nero, Allison Russell a fondé le duo folk/gospel/americana Birds of Chicago, en 2012. À 42 ans, elle lance enfin un premier album solo, après avoir surmonté le syndrome de la plage blanche apparu après la naissance de sa fille.

« Pendant quatre ans, je n’ai pratiquement rien composé. J’en ai déduit que je n’étais pas une autrice-compositrice-interprète, seulement une musicienne. Je pense que c’était à cause du poids de la responsabilité d’être devenue mère : ce que j’écris, ce que je chante, je me disais qu’un jour, ma fille l’écouterait et l’interpréterait à sa manière. »

C’est grâce à une autre aventure musicale que Russell a retrouvé sa voix : son amie Rhiannon Giddens, une des plus brillantes représentantes de la scène folk/americana, l’a recrutée pour le projet Our Native Daughters. « Nous avions dix jours pour composer et enregistrer un album, c’était très intense et ça m’a forcé à recommencer à composer. Une fois les vannes de l’inspiration rouvertes, je n’ai pas pu m’arrêter. J’avais plein de chansons qui demandaient à sortir », dit la musicienne, qui compose principalement au banjo et à la guitare.

« Je fais beaucoup de course à pied, des marathons, des trucs comme ça, c’est thérapeutique pour moi. Souvent, les chansons me viennent en courant, et ensuite je décide si elle convient mieux au banjo ou à la guitare. Parfois, ce sont les mélodies qui me viennent en premier, parfois c’est juste un bout de phrase. Un fragment de chanson, à partir duquel il faut chercher autour pour trouver le reste. Parfois, une idée de chanson me vient simplement en lisant; lorsqu’une phrase me frappe, j’essaie de comprendre pourquoi. »

Toutes les chansons de Outside Child ont été composées durant la tournée de Our Native Daugthers, dès juillet 2019. En septembre 2019, Allison Russell a investi sa bourse du Conseil des arts du Canada pour se payer quatre jours de studio avec ses fabuleux amis musiciens de Nashville, qui donnent vie à ces puissantes chansons. « J’ai ressenti l’urgence d’écrire. C’était devenu important pour moi d’exprimer vocalement ce que j’ai vécu, pour en finir avec les cycles de violence – le racisme, le sexisme, les violences sexuelles. C’est aussi très important pour moi d’écrire ma propre histoire et de pouvoir dire aux gens qu’on peut survivre à tout ça. »