On le reconnaît à ses envolées fédératrices, ses hymnes lumineux, son goût de la poésie, ses références à Duras ou Falardeau. Toujours aussi éclectique de sa personne, Alex Nevsky se risque à d’autres jeux sur Chemin sauvage.

Rejoint depuis son nid douillet d’où les pommiers poussent en quantité, la petite ville de Rougemont en Montérégie, l’ex-Montréalais né à Granby s’apprête ces jours-ci à lever le voile sur un nouveau bouquet de chansons. Comme si ce changement de décor avait imprégné sa plume, Alex Nevsky y aborde l’écriture d’un angle plus fleuri encore qu’à ses débuts, enjolivant son lexique d’images champêtres et parfumant ses mots de lilas, d’hydrangée qui rosit. « J’ai composé On dérobera à l’atelier d’écriture de Gilles Vigneault en janvier 2018. […] En fait, le plus gros de ces textes témoigne vraiment d’un appel à la nature. J’habitais pas encore ici, j’étais pas encore là, mais c’est ce que je voulais. Je m’y projetais. »

Sans marquer un point de rupture avec ce que l’auteur-compositeur-interprète a pu pondre auparavant, ce disque à paraître chez Musicor (il était auparavant signé sous Audiogram) s’impose comme le début d’un cycle distinct. N’empêche, ce virage n’était pas motivé par sa vie de famille toute récente, sa progéniture encore aux couches. De ça, il s’en était fait la promesse.

« En fait, j’avais vraiment peur de tomber dans une redite qui est commune à un quatrième album ou à un jeune papa, tu sais. C’était vraiment ma crainte de devenir le papa qui allait écrire des trucs sur son enfant. […] J’ai vu trop de personnes que j’aime beaucoup tomber dans ces patterns créatifs là durant la fin trentaine… On dirait que c’est de quoi que j’appréhendais beaucoup donc je me suis armé de plein de gens qui m’inspirent. »

Gabriel Gagnon (Milk & Bone) et Clément Leduc (Geoffroy, Hologramme) sont de ces gens, coréalisant Chemin sauvage auprès d’Alex Nevsky. Ce type follement doué qui, mine de rien, aura su migrer des palmarès de CISM au plateau de La Voix en un temps quasi record. Loto, un titre enregistré aux côtés des prodigieux rappeurs d’Alaclair Ensemble, évoque justement la chance qu’il a pu avoir, la bonne étoile qui flotte toujours au-dessus de son crâne.

Acoquiné aux Bas-Canadiens comme jamais, « un match un peu moins naturel » mais dont il rêvait depuis longtemps, l’alchimiste pop renoue avec Eman qui signe le flow et les paroles du premier couplet de la plage numéro 10. En plus, Courir à deux s’ouvre sur un échantillonnage tiré du répertoire de Boule Noire et révèle le vocaliste sous des airs plus soul. « Ça, s’est vraiment apparu à la fin, fin, fin. Au début, elle était comme deux fois plus nerveuse de par le piano, le beat qui allait plus vite. On l’avait fait avec Étienne Dupuis-Cloutier et Gab, mais finalement on l’avait jetée. Quand on en est venus à manquer de tounes à la fin de l’été, j’ai voulu y donner une autre chance. »

Sortir de sa zone de confort, donc. Tel aura été son leitmotiv. Pour une première fois depuis I’m Sticking on You, pièce issue de son offrande de 2010, Alex Nevsky adopte une posture franglaise dans ses refrains. Ses duos avec Claudia Bouvette et Sophia Bel en sont, à cet égard, l’illustration la plus probante. « Après De Lune à l’Aube, je me disais que c’était trop facile… […] En même temps, je trouve que c’est un peu un avis de défaite sur le défi que je m’étais lancé avant, soit de travailler plus fort pour honorer le français. Maintenant, je sais pas, c’est peut-être plus un truc d’époque aussi. J’ai pas envie de faire un disque en anglais, mais une chose est certaine ; quand il y a des phrases qui me viennent naturellement en anglais, j’essaie désormais de les laisser vivre avec un peu moins de restrictions. »

Décomplexé quant aux questions linguistiques et prêt à faire fi des mauvaises langues, le musicien clôt l’album avec Tout, « presque une parodie d’Alex Nevsky » avance-t-il sans filtre, un extrait qui risque fort bien de se faufiler jusqu’aux palmarès des radios commerciales de par son refrain modelé sous le poids des ouh, ouh, ouh. « Je me disais “ok, je sais que je pourrais mettre des mots, parce que les gens vont encore dire que je fais juste des fucking tounes avec des onomatopées et que c’est juste ça que je sais faire, bla bla bla…” Mais il fallait prendre une décision et ça a été un choix très conscient. J’ai décidé d’y aller. […] Ça, ça venait de plein de commentaires que j’ai reçus depuis que je suis très populaire, de plein de blagues qu’on fait sur moi. C’est sûr qu’en fin de compte, la création est inévitablement teintée de notre parcours. »