Le mouvement Black Lives Matters a eu un impact jusque dans notre industrie musicale. Il y a moins de deux ans naissait ADVANCE Music, « Canada’s Black music Business collective », avec pour objectifs de fédérer les Noirs travaillant dans l’industrie musicale canadienne, favoriser l’intégration de ceux-ci à des postes-clés du milieu et promouvoir la diversité culturelle sur la scène musicale.

Depuis peu, l’association, basée à Toronto, a créé un bureau satellite au Québec pour mieux tenir compte des réalités de notre marché et représenter plus fidèlement les communautés noires francophones du pays. Présentation d’ADVANCE Québec avec le président de son conseil d’administration et directeur A&R pour Universal Music Canada à Montréal, Widney Bonfils.

Depuis sa fondation, « Advance a toujours été perçue comme une organisation premièrement anglophone et ensuite basée à Toronto, donc torontoise, reconnaît Widney Bonfils. L’organisation a d’abord eu la volonté de vouloir élargir son mandat du côté anglophone pour mieux être à l’écoute [des réalités vécues dans] d’autres provinces, puis s’assurer d’avoir une présence au Québec. »

Ce qui est maintenant fait, avec Bonfils à la tête de l’initiative : « J’ai été approché par Keziah [Myers] puisque nous avions travaillé ensemble à la SOCAN », tous deux affectés au services et développement auprès des artistes. « Elle m’a demandé si j’étais intéressé à monter un conseil d’administration québécois pour ensuite s’inspirer des actions accomplies par ADVANCE en les adaptant, à la réalité francophone – car, bien que je préside un conseil québécois, notre mandat ne se limite pas au Québec. On vise à promouvoir la diversité francophone partout au Canada ».

Les musiciens Corneille et Marième ainsi que les acteurs du milieu Carla Beauvais et Maître Stéphane Moraille ont été invités à siéger au conseil. « Ça n’a pas été très compliqué de les convaincre de se joindre à nous, même si au début, on savait pas tellement où on s’en allait avec tout ça! », avoue Bonfils.

« Pour commencer, il fallait définir nos valeurs – francophones -, les raisons pour lesquelles on met sur pied ce comité, et fixer nos axes de priorités pour les trois prochaines années » avec en tête des objectifs « réalistes, mais ambitieux », assure Widney Bonfils. « Notre but premier est de comprendre quelles sont les problématiques de la francophonie noire, puis de dresser un plan d’action » pour en favoriser le rayonnement.

« Il est important aussi de créer ce qu’on appelle en anglais le « generational wealth », créer une richesse comme un pont vers l’avenir pour permettre aux prochaines générations de prendre leur place dans l’industrie et d’en profiter aussi, sans garder d’amertume par rapport au passé. […] Il serait ridicule de taper le poing sur la table en disant : Donnez-nous ci ou ça ! Notre message est plutôt de demander : qu’est-ce qu’on peut faire pour les résoudre les problèmes, les obstacles en place, dans le but d’introduire plus de diversité et d’opportunités pour les personnes de couleur ? »

Dans quelle mesure la réalité des artisans noirs de l’industrie musicale québécoise diffère-t-elle de celle des artisans du Canada anglais ? La langue est un facteur distinct, avance d’abord le président du c.a., « mais on ne possède pas les mêmes institutions non plus » qu’au Canada anglais, dit-il en énumérant Musicaction ou la SODEC. « Aussi, on a notre propre gala », celui de l’ADISQ. Ainsi, le premier défi d’ADVANCE au Québec « sera d’augmenter notre notoriété, arriver à faire comprendre, autant à ces institutions qu’aux artisans issus de la communauté noire, qu’il y a maintenant une organisation qui peut les aider » à atteindre une meilleure diversité au sein de l’industrie musicale québécoise.

ADVANCE Québec a déjà défini plusieurs angles au problème de manque de diversité culturelle dans notre industrie et s’efforcera de mettre en œuvre des actions visant à y remédier. Par exemple, le conseil d’administration milite auprès de l’ADISQ pour l’inclusion d’une catégorie de prix relative à la scène R&B, proprement ignorée. « Il y a une catégorie du Meilleur album rap, mais ce n’est pas suffisant, abonde Bonfils. Il y a un bassin de créateurs qui évoluent dans ce genre musical et qui ne sont pas représentés [dans l’industrie]. Il faut démontrer auprès de l’ADISQ qu’il y a, auprès de gens qu’ils connaissent déjà, des gens de notre communauté qui œuvre dans ce style », dit-il en prenant pour exemple Les Louanges, qui se réclame du R&B.

L’autre aspect important de la démarche d’ADVANCE concerne le financement des projets musicaux développés par des artistes Noirs. « Il nous faut mettre le focus sur les leviers de développement, comprendre pourquoi [le milieu Noir] ne fait pas assez de demandes [auprès des institutions qui appuient l’industrie] et pourquoi trop de celles qui sont faites ont été rejetées. […] Aussi, nous visons à créer des programmes qui permettront de former, informer et faire avancer la communauté, par exemple en se rapprochant des universités. »

Enfin, ADVANCE Québec s’engage à mieux informer les membres de la communauté Noire des outils mis à leur disposition pour créer leurs entreprises et développer des projets musicaux. « Lorsque j’ai été embauché à la SOCAN, je me suis rendu compte que dans notre membership même existait un fossé, sur le plan musical », les artistes issus des scènes hip-hop, R&B, blues, jazz et gospel étant sous-représentées. « Pourquoi? Parce que la SOCAN est raciste? Absolument pas ! Le problème en était une de représentation [de notre mission auprès des communautés] et d’information. Les kids qui font du hip-hop et qui mettent leurs chansons sur YouTube n’avaient aucune conscience qu’ils pouvaient gagner de l’argent avec leurs redevances de droits d’auteur. Pourquoi? Parce qu’ils n’ont jamais connu quelqu’un comme eux qui pouvait leur expliquer ça, dans leurs mots à eux. »

« À mes yeux, le vrai combat est dans l’éducation, le financement et le mentorat, résume Widney Bonfils. Ce sera notre plan d’attaque pour la première année. »