La musique nous rassemble; elle aide à la guérison dans des périodes difficiles comme celle que nous vivons en ce moment.  Les artistes et leurs chansons meublent nos vies quand nous sommes en proie au vide et à l’incertitude. Aaron Allen, un artiste de London, en Ontario, est un des nombreux musiciens qui ont répondu à la soif de nouvelle musique exprimée par les auditeurs pendant la pandémie actuelle. Cloué à la maison après la fermeture de son entreprise de tatouage – The Taste of Ink (voir l’encadré) – il passe du bon temps avec sa femme et leurs deux enfants et compose de la musique pour tuer le temps.

« Je n’ai jamais été aussi occupé », confie Allen, qui vient de faire l’objet de deux nominations pour le gala de la Country Music Association of Ontario (CMAO) dans les catégories Meilleur artiste masculin et Étoile montante de l’année. « Nous, les auteurs-compositeurs, Skipe ne nous intéresse normalement pas, mais maintenant, ça nous rassemble tous dans la même pièce, et je démarre sur les chapeaux de roue chaque matin, tous les jours, je co-écris des tas de choses pour moi-même et pour d’autres artistes. »

La 3 avril, Allen lançait Highway Mile, un EP de 6 chansons coproduit avec Jeff Dalziel, lauréat du prix CMAO du producteur de l’année. Il avait un peu peur de lancer ses nouvelles œuvres en pleine crise de COVID-19, mais il s’est dit que le risque en valait la peine.

« Je serais probablement en prison si je ne pouvais pas écrire des chansons »

The Taste of Ink: Tattoo Artist on the Side

Il y a une dizaine d’années, Allen et sa femme ouvraient un salon de coiffure et un salon de tatouage et puis, comme ce dernier était plus rentable, ils en ont fait The Taste of Ink. Allen affirme que la musique est une carrière où on ne cesse jamais d’apprendre et de s’améliorer. L’auteur-compositeur arbore fièrement sur sa personne des images qui témoignent de sa passion pour le tatouage. Lorsqu’on lui demande ce qu’elles signifient, il répond en riant : « Quand on a ouvert le salon, nos apprentis avaient besoin de se pratiquer sur quelqu’un, et je me suis porté volontaire… Je n’aurais pas autant de tatouages si j’avais été obligé de les payer! » Il y a des moments où les deux vocations d’Allen se rencontrent : les gens viennent le voir au salon, ils lui racontent une histoire, et celle-ci se retrouver un jour dans une de ses chansons. Une des chansons les plus remarquables du nouvel EP, « Good Tattoo », est une ode à sa femme et à leur amour éternel : « Notre amour est comme un bon tatouage / Il pourra pâlir un peu avec le temps, mais crois-moi, chérie, il ne disparaîtra jamais. »

« Les gens n’ont jamais autant eu besoin de musique », affirme-t-il. La stratégie a fonctionné : les exécutions en ligne du nouvel enregistrement dépassent déjà le million de diffusions, et le chiffre continue de croître. La chanson à laquelle le public s’identifie le plus et qui tourne actuellement à la radio, « Can We Go Back », enregistrée en à peine deux semaines juste avant l’éclosion de la pandémie, est une chanson d’amour adressée à sa femme. Il y jette un regard en arrière sur les années de jeunesse où elle et lui baignaient dans le bonheur et l’insouciance. Allen chante : « Existe-t-il encore l’arbre / Sur lequel nous gravions nos initiales / Quand nous étions enfants/ On ne pensait jamais à rien / quand on se tenait par la main. »

Comme si le nouvel EP ne suffisait pas, au mois de mai, Allen a ajouté à son CV la signature d’un contrat d’édition avec Arts & Crafts Music. Il est impatient d’enrichir son répertoire, d’explorer davantage les synthétiseurs, de composer d’autres genres de musique et de prendre ses distances par rapport aux formules et à la rigidité qu’on retrouve parfois dans les chansons à la Nashville. « Avec les synthés, tu peux désobéir à certaines règles et dire certaines choses que tu ne peux pas exprimer en musique country », explique-t-il. « J’adore composer des chansons… C’est agréable d’essayer quelque chose de différent et d’apprendre quelque chose de nouveau. »

Durant ses jeunes années à London, Allen a commencé à écrire des chansons pour exprimer ses sentiments. C’est rapidement devenu une bouée de sauvetage. Quand il a eu 13 ans, sa mère est tombée malade, et Allen a été durement ébranlé. « Elle a souffert pendant plusieurs années d’un cancer non opérable, et je l’ai très mal pris », admet-il. « J’étais vraiment en colère. Je haïssais l’école. Je m’enfermais dans ma chambre avec ma guitare et j’oubliais tout en écrivant mes chansons. »

Vingt-cinq ans plus tard, Allen passe encore de longues heures seul dans son studio à domicile à composer des chansons pour tuer le temps. « Ça fait partie de moi », insiste-t-il. « Ça m’a sauvé la vie quand j’étais jeune, puis ça fait du bien. Je serais probablement en prison si je ne pouvais pas faire des chansons. »

 



Francophones de leur état, Matt Lang et Laurie LeBlanc lorgnent le Klondike du country en se risquant à des albums dans la langue de Shania. Une offensive de charme destinée au reste du Canada et au vaste monde.

Ils n’abordent pas la musique et l’amour de la même manière, mais ces deux membres SOCAN sont animés par les mêmes choses. Les mêmes visées, surtout. Le Québécois Matt Lang n’en est pas à son premier fait d’armes en anglais. Son opus précédent, un EP homonyme, s’est même faufilé jusqu’à la pôle position du top country national sur Apple Music.

L’Acadien Laurie LeBlanc, lui, n’avait jamais tenté sa chance dans sa seconde langue avant la sortie du simple The Bigger The Better. Un morceau offert par l’Irlandais Don Mescall, son nouveau pote croisé au détour d’un congrès de danse et de musique country en France. Comme si tous les chemins menaient à l’anglais. Comme si, pour Laurie, il en allait d’une fatalité.

« Je viens de Cap Pelé, on a déménagé à Bouctouche quand j’avais dix ans. Ici, le monde aime tellement le country ! Dans ma jeunesse, mes parents et mes grands-parents écoutaient du Charley Pride, du Kenny Rogers, des chanteurs de leur génération. Moi c’est plutôt ceux des années 90 qui m’ont influencé. C’est les débuts de Alan Jackson, puis de Zac Brown et tous les autres. C’est sûr que j’ai commencé en écoutant des chansons en anglais. »

Matt Lang, ou Mathieu Langevin pour ceux qui sont allés à l’école avec lui à Maniwaki, a aussi grandi en écoutant l’offre musicale de nos voisins du Sud. Son truc à lui, c’est le new country, le son actuel du Tennessee. Pourtant, à son arrivée à Nashville en 2018, le gaillard de la Vallée-de-la-Gatineau ne parlait pas un traître mot d’anglais.

« Au début, c’était quand même difficile. Je n’étais pas bon en anglais, genre vraiment pas. J’avais une base, j’ai quand même été élevé proche d’une réserve indienne et j’avais des chums qui parlaient anglais. Mais je ne sais pas, c’était peut-être de la gêne… En tout cas, j’ai vraiment appris mon anglais en allant rester à Nashville. C’est sûr qu’aujourd’hui, quand je parle, j’ai un accent. Quand je chante, par contre, je sais qu’il n’est pas vraiment là. C’était beaucoup de travail, j’ai quand même eu trois coachs pour le vocal et la prononciation. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain ! »

Une autre version de soi-même

Laurie LeBlanc

Laurie LeBlanc

Préalablement à l’enregistrement des chansons pour When It’s Right It’s Right, Laurie LeBlanc s’est fait connaître avec Moi itou Mojito et une poignée d’autres ritournelles savoureusement pince-sans-rire. Or, en anglais, les mots que le Néo-Brunswickois se met en bouche sont plus sérieux. Ses paroles se font graves, posées et même romantiques. Sur Another Night Like This, il implore sa nouvelle flamme de le revoir, de donner suite à leur première date. Sur The Bigger The Better, le personnage auquel il prête sa voix vit une rupture et part noyer sa peine au bar. On ne lui connaissait pas ce goût du drame.

« Sans dire que Don Mescall écrit d’une manière plus sombre, sa plume est moins festive que la mienne, mais j’aime ce que ça donne. […] Honnêtement, je dois aussi dire que ce premier album en anglais mélange plein d’influences du country pop et peut-être du country rock. On a discuté moi et mon réalisateur Jason Barry… Peut-être que je recherche aussi mon son anglophone. En français, j’ai mon son depuis un album ou deux. »

Modeste comme peu d’autres, Laurie LeBlanc ne se coupe pas de ses rêves pour autant. Ambition et prétention ne cohabitent pas toujours au cœur d’un homme. Et la plage 1 traite, justement, des opportunités que le musicien s’efforce de saisir.

À l’instar de son collègue des Maritimes, Matt Lang met cartes sur tables et dès le premier titre, dès les premières mesures de More, la chanson titre. Avide de succès, ses quêtes le consument et il n’hésite pas à défoncer des portes. « Je le dis très humblement, je ne suis pas un gars qui se pète les bretelles dans la vie, mais honnêtement, je pense que je suis quelqu’un qui a beaucoup de drive. On dirait que je ne suis pas capable de rester chez nous et de ne rien faire. Je ne suis pas capable d’attendre les coups de téléphone. Je crée mes propres opportunités, mais tout en respectant le monde, par exemple. Je suis un gars d’équipe, je l’ai toujours été. »

Ne pas oublier d’où on vient

Matt Lang

Matt Lang

Ce n’est pas parce qu’ils osent un rapprochement avec le ROC que Laurie LeBlanc et Matt Lang renient leur vraie nature. L’authenticité est une valeur chère au country, une des composantes principales de ce genre musical et les deux gars ne s’y refusent pas. Bien au contraire. Avec Belle of the Ball et All In, LeBlanc saupoudre les arrangements de violon frétillant, des reels emblématiques du Pays de la Sagouine.

Le Maniwakien, de son côté, évoque l’éloignement géographique de son patelin dans les textes de Getcha (un genre fantasme de mécanicien en bordure d’une route isolée) et Better When I Drink. La ville, plutôt qu’un idéal de vie au quotidien, est synonyme d’occasions spéciales, de fêtes bien arrosées. Dans la carrière et la prose de Lang, cette dualité entre milieux citadins et ruraux s’impose comme une préoccupation constante.

« Tous les réseaux de télé au Québec sont à Montréal. Quand on vient de loin, de la Gaspésie, de l’Abitibi ou peu importe, on dirait que le rêve est comme plus ou moins atteignable. Quand tu viens d’une région, tu sens que tu n’es pas capable de te rendre là [où tu veux]. Moi, j’ai toujours voulu prouver que ce n’était pas vrai ! »

Comme lui, Laurie LeBlanc souhaite se propulser au-delà des frontières auxquelles il s’était préalablement conscrit. Déjà très populaire chez les Franco-canadiens, il sait qu’il devra gravir les échelons une seconde fois en passant à l’Ouest. N’eût été son prix remporté aux Josie Music Awards l’an dernier, il lui faudrait (presque) tout recommencer. Une rumeur favorable le précède, il en va d’un fait assez indéniable, mais n’entre pas dans la ligue canado-américaine qui veut. Les chanteurs y sont tellement plus nombreux.

« Je dois avouer que l’anglophone, c’est un méchant gros marché ! Quand tu écoutes les radios, il y a des artistes que je ne connais même pas qui sortent des choses et c’est de la très bonne production. En Acadie, notre monde nous aime et nous supporte. On est contents et on est chanceux. Disons que, chez nous, les opportunités se présentent à nous plus rapidement. […] Dans les radios, maintenant, je vais être en compétition avec Brett Kissel et tous les autres, contre des gros labels. On va voir comment ça va aller, mais on est contents du produit. »

Laurie LeBlanc n’a pas été « élevé aux five courses meals », il en va même d’un refrain de son répertoire, mais le musicien autoproduit se voit déjà épaulé par des ténors du country américain. Dallas Davidson (auteur pour Blake Shelton), Don Shlitz et Mike Reid s’ajoutent à sa prestigieuse liste de collaborateurs – deux gars qui ont gagné des Grammys. De grandes pointures soutiennent aussi Matt Lang, Tebey et Danick Dupelle parmi tant d’autres, de précieux collaborateurs qui devinent en lui une éventuelle grande vedette.

Comme si, finalement, le futur du country au Canada se lisait avec un petit accent frenchie.



Le maître de la production hip-hop québécoise Ruffsound rencontre l’étoile montante du beatmaking QuietMike sur Génies en herbe, un album qu’ils ont en grande partie créé dans un chalet avec leurs fidèles acolytes Koriass et FouKi.

À gauche, visionnez l’entrevue que FouKi et Koriass ont accordée au rédacteur en chef de Paroles & Musique, Eric Parazelli, en complément à cet article à propos de l’album Génies en herbe : YT URL to come

« Mike, c’est un naturel. Il a toujours de très bonnes idées. Il est vraiment fascinant à voir aller », lance au bout du fil Ruffsound à propos de QuietMike, 13 ans plus jeune que lui. L’indéfectible allié de FouKi a lui aussi des beaux mots pour celui qu’il considère comme l’un de ses mentors : « C’est un vrai guerrier. Il est toujours en train d’évoluer. C’est très motivant. »

Marc Vincent a effectivement un parcours de guerrier. Arrivé sur la scène rap au début des années 2000, à une époque où les exemples de succès étaient peu nombreux pour un beatmaker québécois, le jeune Lavallois a produit son « premier beat potable » en 2005 : J’représente d’Yvon Krevé. La force de frappe de ses compositions a interpellé d’autres grands du rap d’ici, notamment Connaisseur Ticaso, Imposs et Sans Pression, qui ont fait appel à ses services, à l’instar de plusieurs chefs de file de la nouvelle vague du rap québ’ (Yes Mccan, Souldia, Rymz) quelques années plus tard. Depuis, le nom Ruffsound est non seulement synonyme de qualité, mais aussi de popularité, comme en témoignent Toutes les femmes savent danser (de Loud), Cinq à sept (de Koriass) et iPhone (de FouKi), trois chansons qu’il a coproduites et quelques-unes des rares pièces à avoir obtenu un grand succès à la radio commerciale.

Cette dernière, il l’a coproduite avec QuietMike. À seulement 23 ans, le producteur a déjà plusieurs faits d’armes sur sa feuille de route, en grande partie attribuables à son travail avec FouKi, avec qui il développe une chimie exceptionnelle depuis l’école secondaire. Initié au beatmaking au tout début de la décennie, alors qu’il explorait les possibilités du « finger drumming » sur sa machine MPC, le Michel Silencieux a frappé un grand coup en 2017 avec Gayé, pièce aux teintes folk/reggae basée sur un échantillon d’une chanson de l’artiste marocaine Hindi Zahra.

Cette chanson a été le premier contact de Ruffsound avec le répertoire de Mike. « J’étais down en esti. Quel gros jam ! » reconnaît le vétéran producteur. Son collègue n’a également que des éloges pour son œuvre : « Moi, mon premier contact (avec la musique de Ruff), c’était Montréal-Nord et Devenir fou de Koriass. C’est FouKi qui m’avait fait entendre ça, et j’en revenais pas à quel point c’était bien fait. »

C’est donc dans l’enthousiasme le plus total que les deux artistes ont collaboré pour une toute première fois, en 2019 sur iPhone et No Offense (toutes deux de FouKi). « Ça a été cool et super organique. On a commandé du griot et on a fait des beats. Si tu connais un tant soit peu Mike et son entourage, tu sais que c’est jamais compliqué avec eux. »

« J’avoue que, moi, j’ai été un peu flabergasté lors de notre première session, admet Mike. J’avais rarement fait des beats avec des gens hors de mon entourage, donc ça m’a épaté de voir une autre technique, une autre approche. Ruff est moins dans le sampling que moi. Il construit la track de A à Z. »

« Ce que j’aime le plus, c’est collaborer, poursuit Vincent. C’est vraiment inspirant de tous se regrouper dans un studio. Y’a quelque chose qu’on perd lorsqu’on travaille chacun chez nous, dans notre coin. J’ai accompagné des amis dans des studios aux States, et c’est vraiment la collaboration qui règne. Y’a trois producers un à côté de l’autre sur des laptops, et le workflow est toujours très rapide. Les gars s’envoient des loops, que chacun retravaille. »

C’est dans cette optique de collaboration que les deux producteurs se sont joints au chalet de création de Koriass et FouKi l’hiver dernier, à Morin-Heights. « Ça s’est fait super rapidement. Nous, on faisait des beats pendant que les gars lançaient des idées, écrivaient des verses ou buvaient une petite bière sur le divan. Mocy (l’ingénieur de son du projet) enregistrait les voix des gars dès qu’ils étaient dans le vibe, se souvient Ruffsound. Le plus important, c’est la chimie. Faut être capable de faire des blagues et de chiller en studio. Si c’est trop silencieux, ça sera pas bon. »

« C’était pas un rythme auquel j’étais vraiment habitué, admet son comparse. J’étais un peu étourdi au début, mais j’ai fini par apprendre beaucoup de choses. »

Une bonne partie des beats de Génies en herbe a été composée en une journée, lors de l’apparition éclair de Ruffsound. D’autres ont plutôt été retravaillés, car leurs esquisses avaient déjà été entamées avec d’autres collègues beatmakers du vétéran (Jay Century, June Nawakii, Alex Castillo, Realmind). « Quand on voyait que les gars avaient un peu moins d’inspiration, on leur mettait des beats qu’on avait déjà dans nos ordis. Ça repartait la session instantanément », indique Ruffsound.

Après coup, les deux producteurs se sont renvoyé des maquettes pour finaliser l’album. Le producteur Rousseau (un proche de QuietMike) et le guitariste Pops (de Clay and Friends) ont également mis la main à la pâte. En raison de la crise sanitaire mondiale, Koriass et FouKi ont dû eux aussi terminer l’album chacun de leur côté. « On a été de bons citoyens responsables, on n’a pas triché… En fait, y’a FouKi qui voulait tricher, mais on l’a pas laissé faire », blague Ruffsound.

Et depuis, le vétéran a pris goût à travailler avec le jeune prodige. « C’est certain qu’on va retravailler ensemble », assure-t-il. « Ouais, mais peut-être dans longtemps… » déplore QuietMike, en faisant référence aux mesures de distanciation établies en rapport avec la COVID-19.

« Je suis justement en train de pimper mon gazebo pour recevoir du monde, lui répond son acolyte, visiblement plus optimiste. Le studio dans ma cour, ça va être incroyable ! »