Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, une collaboration naturelle, spontanée, arrivée presque par hasard, celle unissant l’auteure-compositrice-interprète Marie-Ève Roy– la guitare et la voix féminine du groupe Vulgaires Machins – et le musicien multitâches et réalisateur Julien Mineau, leader de Malajube.

« Mon seul but avec ce projet, explique Marie-Ève Roy, était de me rendre jusqu’au bout, c’est-à-dire écrire dix chansons pour faire un album qui se tient. J’ai écrit ces chansons tout simplement, en me fiant à des idées qui m’allaient, qui me parlaient ».

Lancer un premier album solo devrait être un événement qui comporte sa part d’inquiétudes, de doutes, de pression, de remises en question – c’est, en tout cas, l’idée que pourraient se faire ceux dont ce n’est pas le métier, écrire des chansons, se commettre avec un album, puis aller le défendre sur scène. Allez savoir si c’est l’expérience de presque deux décennies dans le métier, mais l’auteure, compositrice et interprète Marie-Ève Roy semble étonnamment calme, à quelques jours de lancer ce premier disque.

Julien Mineau, Marie-Ève RoyCette zénitude est peut-être due à la présence rassurante de Julien Mineau, assis à ses côtés dans ce café de Villeray où nous nous sommes donné rendez-vous et qui ne l’a pas lâché d’une semelle lorsqu’est venu le temps d’enregistrer le Bleu Nelson de Marie-Ève. Un titre qui réfère à quoi, au fait? « T’as raison, ce n’est pas le titre d’une chanson, ni même un bout de couplet, répond la musicienne. C’est une ville de la Nouvelle-Zélande qui m’avait inspiré lorsque je l’ai visitée, il y a quelques années. » Et le bleu, évidemment, celui de la mer qui entoure ce petit pays d’Océanie.

Marie-Ève Roy voyage, de la Nouvelle-Zélande… à la place Versailles, référence au texte de la chanson Le monde est triste à Radisson : « À la place Versailles / Les néons éclairent / La solitude et le béton ». On visite ainsi un vaste monde intérieur exposé sur des musiques aux antipodes du punk vindicatif des Vulgaires Machins.

Pour les fans du fameux groupe rock québécois, la surprise sera de taille : la dizaine de chansons originales valsent entre la ballade et une pop à peine plus rythmée. De la musique qui caresse et console : ça sent les années 70 sans sonner rétro, comme si la Françoise Hardy sophistiquée s’était débarrassée de ses jupes yé-yé. Influence avouée : la pop mélancolique de The XX, dit Marie-Ève.

« Au départ, j’avais envie d’une chanson pop plus minimaliste. Puis, Julien s’est mis à jouer de plein d’instruments, et j’ai suivi, j’aimais la direction que ça prenait, c’était parfait. » Marie-Ève Roy

Julien : « Je trouvais ça intéressant de l’amener là – avec son consentement, bien sûr. De faire table rase, de repartir sur d’autres bases, d’enregistrer en toute liberté, de casser [l’association avec le son punk]. J’imagine que quelqu’un qui écoute les Vulgaires depuis toujours va être étonné… »

« Cette envie de faire mon projet, je l’ai depuis longtemps, dit-elle. Lorsque je me suis retrouvée, toute seule avec ma guitare, en Nouvelle-Zélande en 2010, j’ai commencé à écrire. C’est comme si j’avais vraiment décidé que c’était ma nouvelle aventure musicale, et la pause des Vulgaires m’a donné l’occasion de m’y consacrer. »

Marie-Ève et Julien ne se connaissaient pas vraiment lorsque Marie-Ève s’est consacrée à temps plein sur son premier album, dès 2013. Elle est entrée en contact avec lui… pour lui acheter un Wurlitzer. « Ça a commencé de même, en m’achetant un piano! », rigole Mineau. « Plus tard, je lui ai offert de venir enregistrer son album chez nous », dans son home studio, à Ste-Ursule.

Julien Mineau, Marie-Ève RoyToutes les paroles et musiques de l’album sont signées Marie-Ève, sauf Larmes de joie, dont Julien signe la musique. « Ma job a surtout été sur le plan des arrangements », concède Julien, réalisateur de l’album. Bleu Nelson a été enregistré à quatre mains : tous les instruments de cet album de chanson pop richement orchestrée ont été joués par ces deux collaborateurs.

« Tout chez nous, en quinze jours », résume Julien. Marie-Ève lui avait déjà envoyé des maquettes, certaines n’ayant même pas besoin d’être retravaillées. « On s’est installé, on a joué, et moi j’ai pesé sur le piton Record. On n’avait aucun plan ». Marie-Ève : « On s’est quand même parlé de l’allure du projet avant de commencer. Je pensais depuis longtemps à ce genre de sonorités, le vibrato, le côté feutré de la réalisation. Je me donne toujours quelques pistes d’inspirations, The XX et Julian Casablancas. On est parti de là. »

« Au départ, poursuit-elle, j’avais envie d’une chanson pop plus minimaliste. Puis, Julien s’est mis à jouer de plein d’instruments, et j’ai suivi, j’aimais la direction que ça prenait, c’était parfait. J’avais envie d’une ambiance précise, mais j’étais ouverte aux idées de Julien ». Sous cet angle, Bleu Nelson est aussi la chronique d’un arrimage musical réussi. Tout s’est mis en place dans cette quinzaine de jours, fruit du dialogue entre deux musiciens visiblement sur la même longueur d’onde.

Pour Julien aussi, c’était une première « La réalisation pour quelqu’un d’autre, je n’avais jamais fait ça avant. Travailler pour d’autres, ça me donne moins de questionnements et, surtout, ça me permet d’essayer des idées. J’en ai une après une autre, des idées. J’ai aussi appris beaucoup de cette collaboration, notamment à couper – j’ai tendance à enregistrer trop de pistes. Ça me donne envie de faire d’autres réalisations », lorsque le temps le lui permettra.

D’ici là, un prochain Malajube devrait enfin voir le jour, ainsi qu’un autre album solo, sans doute différent de son projet Fontarabie, « plus des chansons que des compositions instrumentales. Vraiment un autre monde. »