L’Association des professionnels de l’industrie musicale (APEM) profitera des Rendez-vous pros des Francos pour décerner, le 15 juin prochain, son prix Christopher-J.-Reed à France Lafleur, qui a consacré 33 ans de sa vie professionnelle au monde de l’édition musicale et à la défense des droits des auteurs et compositeurs. L’avocate de formation a occupé plusieurs rôles clés au sein de la SOCAN, dont celui de directrice générale de la division du Québec et de l’Atlantique jusqu’à sa retraite en septembre 2013.

« J’avoue avoir été très surprise d’apprendre que je recevrais cet honneur », reconnaît France Lafleur, rejointe dans ses terres des Hautes-Laurentides. « Ça fait dix ans que j’ai quitté le monde de l’édition, je leur ai demandé : Êtes-vous sûrs ? Moi ? Ils me sortent des boules à mites ! Je n’en revenais pas, c’est vraiment un grand honneur – et c’est comique, on dirait que c’est mon année : il y a un mois, j’ai reçu la médaille du lieutenant-gouverneur pour mon action bénévole dans la région », la récipiendaire ayant passé ces dernières années à s’impliquer au sein de sa communauté dans les dossiers environnementaux et du développement économique.

Le monde de l’édition musicale québécoise reconnaît ainsi « l’exceptionnelle » contribution de France Lafleur « pour l’exercice et la reconnaissance de la profession d’éditeur musical » durant sa riche carrière au cours de laquelle elle a été témoin de la transformation du métier. L’avocate a fait ses armes au sein de l’Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada (CAPAC) avant la fusion de celle-ci avec la Performing Rights Organization of Canada (PROCAN), qui a mené à la création de la SOCAN telle qu’on la connaît.

« Quand j’ai commencé dans le métier, je sortais du Barreau pour aller faire mon stage dans un cabinet qui menait des dossiers pour la CAPAC, se remémore-t-elle. C’est comme ça que j’ai pu décrocher un poste là ; en finissant mon Barreau, je ne connaissais strictement rien au droit d’auteur et à ses sociétés. À l’époque, à l’Université de Sherbrooke, il n’y avait pas de cours en droit d’auteur ou propriété intellectuelle. Je n’ai pas eu de formation : en arrivant à la CAPAC, on m’a mis sur la loi du droit d’auteur, les règlements et les tarifs, here you go! Les choses ont bien changé depuis, mais à l’époque, c’était comme ça. Évidemment, je m’intéressais à la musique, en particulier la musique québécoise, alors j’ai embarqué là-dedans. Et j’ai adoré ça. »

« J’ai eu de la chance puisqu’à l’époque, le directeur général de la CAPAC était anglophone, mais francophile, poursuit France Lafleur. C’était important pour lui d’avoir des représentants forts au Québec », surtout après le référendum de 1980. « Il voulait qu’on soit proche des gens de l’industrie, alors il me donnait les coudées franches : lui s’occupait du Canada anglais, et moi du Canada français » à titre de directrice du bureau québécois de la CAPAC.

C’est ainsi qu’elle a vécu de l’intérieur la création, en 1990 de la SOCAN, née de la fusion des deux grandes sociétés canadiennes concurrentes. « Un gros morceau à avaler », se rappelle-t-elle. « On avait deux cultures d’entreprise différentes qui fusionnaient, ce n’était pas évident, même que ça a pris quelques années avant qu’on se sente faire partie d’un tout, la SOCAN. Ce fut un gros pas en avant à faire, mais au bénéfice de tous : avant, on se battait devant la Commission du droit d’auteur pour les tarifs alors qu’évidemment, il valait mieux s’allier et se battre pour obtenir ensemble les tarifs les plus élevés plutôt que de s’entredéchirer. »

Le milieu de l’édition reconnaît également les efforts déployés par France Lafleur pour tisser des liens avec les grandes sociétés internationales, et donc favoriser la collaboration entre éditeurs. Dans la lutte pour une meilleure reconnaissance du travail des compositeurs, « au niveau international, on faisait front commun avec les sociétés européennes et américaines. J’ai été chanceuse parce que le directeur général de l’époque, Michael Rock, m’invitait aux rencontres internationales. Il me disait : Moi, je ne parle pas français, je peux tisser des liens avec les sociétés anglophones, alors c’est toi qui seras en change des francophones. […] Ça m’a permis de savoir ce qui se passait ailleurs, d’introduire chez nous les façons de faire des sociétés internationales et de créer des liens solides avec nos partenaires. »

Avant son départ à la retraite, France Lafleur a eu le temps de mesurer l’ampleur des bouleversements qu’allaient apporter à l’industrie de la musique les nouvelles technologies, « et ça faisait peur, reconnaît-elle. Avec le recul, je pense que nous tous, toute l’industrie de la musique, a réagi un peu trop tardivement » à la dématérialisation de la musique et à sa (libre) circulation sur internet. « Parce qu’on était habitués de travailler avec nos méthodes. À trop vouloir aboutir avec le meilleur encadrement possible [de la circulation des œuvres musicales], on a laissé passer beaucoup de choses. »

France Lafleur insiste cependant pour saluer le travail de l’association qui reconnaîtra le 15 juin son dévouement : « Ce fut une très bonne chose que l’APEM se soit formée. Avant, l’édition musicale était une profession mal connue et mal aimée – je dis ça parce que souvent le métier d’éditeur était galvaudé, par exemple lorsque des producteurs s’improvisaient éditeurs. L’APEM a créé un encadrement du métier et a redonné ses lettres de noblesse à l’édition musicale, pour le mieux. Si on a de bons éditeurs, ils vont bien s’occuper des auteurs-compositeurs. »

« J’ai eu énormément de plaisir à travailler dans le monde de l’édition. J’ai rencontré tellement de gens passionnants et intéressants ! Tu sais, quand tu travailles, mais que ce n’est pas comme du travail ? J’ai pourtant travaillé beaucoup, je me suis donnée à 200 pourcent, je voyageais beaucoup, mais j’avais toujours l’impression d’être utile. C’est ce qui m’a toujours animée, de savoir que ce que je faisais était utile à quelqu’un. »