Zaho

Photo: FIFOU

Quand elle entre en coup de vent dans la salle de presse des FrancoFolies de Montréal un samedi après-midi, Zaho semble essoufflée. Minutieusement coordonné par l’équipe de son étiquette Warner Music, son horaire des derniers jours semble réglé au quart de tour, comme si on cherchait à tirer profit au maximum d’une mini-tournée à l’étranger.

Pourtant, Zaho vit à Montréal depuis près de deux décennies, mais ses spectacles et passages médiatiques y sont tellement rares qu’on peut finir par l’oublier. À preuve, son précédent concert dans la métropole remonte à 2013, également dans le cadre des FrancoFolies. « Au Québec, je n’ai pas la notoriété que j’ai en France pour pouvoir faire une tournée. Je crois que c’est juste une question de médias : une fois qu’ils se décideront à me jouer, plus de gens pourront apprécier ma musique », analyse-t-elle, l’amertume loin derrière. « Mais on a beau briller ailleurs, il n’y a rien comme la reconnaissance de ses parents. J’ai eu celle de l’Algérie, et là, il y a celle du Québec qui commence. »

Bref, c’est « le monde à l’envers », comme le stipule le titre de son troisième album paru en février dernier. Loin du parcours conventionnel de la chanteuse pop préfabriquée, la chanteuse de 37 ans a trimé dur pour se rendre où elle est maintenant.

Née à Bab Ezzouar, Zehera Darabid a fui son pays durant la décennie noire pour venir s’installer au Canada avec sa famille. Après des études universitaires en informatique, elle s’est découvert une passion pour la musique, ce qui l’a menée sur le chemin du compositeur et réalisateur Phil Greiss, avec qui elle a développé une complicité musicale qui dure encore aujourd’hui. Malgré une volonté de fer, la jeune chanteuse a essuyé plusieurs revers : « Les compagnies de disques me disaient que mon timbre était trop grave, qu’on ne savait pas si c’était une voix de fille ou de garçon. J’ai ignoré ce genre de commentaires pendant longtemps. »

Férue de la vaste scène française des musiques urbaines, elle a trouvé refuge dans l’Hexagone, où elle a rencontré des rappeurs de renom comme La Fouine, Soprano et Sefyu, qui ont collaboré à sa première mixtape parue en 2007. Attirant l’attention d’EMI, elle a connu un succès plus qu’enviable avec Dima, un premier album vendu à 150 000 exemplaires qui lui a permis de défricher le terrain de la plupart des marchés francophones à l’international.

Neuf ans après cette éclosion phénoménale, Zaho réaffirme son désir de vivre à sa façon. Sur son troisième opus, elle « brise ses chaines », poursuit ses rêves et revendique un peu de liberté dans cette société envahissante où l’on a tendance à parler pour rien (Laissez-les kouma avec la sensation rap française MHD) et à exposer à outrance ses rapports amoureux (Selfie).

« Le monde à l’envers, c’est ma façon de dire que la différence est une force, que ce n’est pas grave de ne pas rentrer dans une case. J’en suis l’exemple vivant. »

Si ses messages optimistes et son enrobage pop tropical lui confèrent un aspect plus lumineux que son prédécesseur Contagieuse (2012), ce troisième album contient aussi des passages plus intimes. C’est tout particulièrement le cas du récit chargé en émotions Comme tous les soirs. « Je l’ai écrite en m’inspirant d’un épisode de ma vie, que je n’ai pas eu le courage de mettre en mots sur le coup, confie-t-elle. Ça parle de la routine d’un couple qui se laisse mourir à petit feu. La pièce est une projection de ce qui serait arrivé si j’avais pris les choses en main en toute sobriété avant que le tout se change en drame. »

Sincère dans ses textes et polyvalente dans son approche créative, l’auteure et compositrice a récemment collaboré avec plusieurs artistes de renom comme Chimène Badi, Christophe Willem et, surtout, Céline Dion. Sur son plus récent album Encore un soir, cette dernière a retenu trois pièces de Zaho. « J’avais entendu dire que Céline préparait un nouvel album et qu’elle cherchait des chansons pour la mettre en valeur. Je me suis prêté au jeu, même si plusieurs gens essayaient de m’en dissuader en me disant que ma chanson ne se rendrait sûrement pas à ses oreilles », raconte-t-elle, en parlant précisément de Ma faille. « Je me suis d’abord demandé ce qui pourrait toucher une grande star internationale comme elle. Au lieu de parler de ce qu’elle a, j’ai choisi de parler sa faille, de ses craintes, de sa peur qu’on touche à sa famille, à ses enfants. Un mois après, j’ai reçu un appel de Las Vegas : Céline était au bout du fil et avait les larmes aux yeux. »

Très enrichissantes, ces expériences d’écriture permettent maintenant à Zaho d’avoir un peu plus de recul sur ses propres chansons. « Je suis quelqu’un qui a peur de rentrer dans le moule, de devenir une caricature d’elle-même, alors j’ai ce besoin de sortir et d’écrire pour d’autres, explique-t-elle. C’est la même chose qu’un peintre trop proche de son cadre : s’il ne prend pas assez de perspective, il ne fera pas un beau tableau. »