La collaboration entre auteurs-compositeurs peut prendre de nombreuses formes allant des rendez-vous d’écriture dans un bureau du Music Row de Nashville aux collaborations dans le monde de la pop, du dance music, du R&B et du hip-hop où parfois jusqu’à sept ou huit auteurs, producteurs et autres créateurs se partagent les droits d’une seule chanson. Dans tous ces genres musicaux et dans bien d’autres également, les collaborations sont, de plus en plus, la norme.

Parmi les artistes qui ont suivi cette vague et nous allons vous présenter ici deux projets canadiens acclamés, Namedropper par l’auteure-compositrice roots Oh Susanna et Just Passing Through: The Breithaupt Brothers Songbook, fruit du travail des frères Don et Jeff Breithaupt.

« Tout le monde dans notre communauté aime Suzie, alors il est clair que tout le monde a répondu « bien sûr que je vais t’écrire une chanson. »  – Ron Sexsmith

Comme le titre le laisse entendre avec humour, Namedropper est un album de collaborations avec plusieurs auteurs-compositeurs canadiens de premier plan, tous des amis de Oh Susanna, mieux connue de ses parents sous le nom Suzie Ungerleider. Le concept de Namedropper lui a été suggéré par son producteur, Jim Bryson, lui-même auteur-compositeur de talent. « Au départ, Suzie m’avait proposé l’idée de faire un album de reprises», se souvient Bryson. «Ma première réaction a été « il me semble que cela a été fait pas mal souvent par des artistes canadiennes. Pourquoi tu ne demanderais pas aux gens de t’écrire des chansons? » Ça me semblait être une approche moins banale. »

Ensemble, ils ont donc contacté les auteurs-compositeurs dans l’entourage d’Ungerleider, qui ont tous réagi rapidement et avec enthousiasme. Cette réaction est venue confirmer le respect de ses pairs sur le plan professionnel pour Oh Susanna, et l’affection qu’elle attire sur le plan personnel. Comme le note Ron Sexsmith, «Tout le monde dans notre communauté aime Suzie, alors il est clair que tout le monde a répondu « bien sûr que je vais t’écrire une chanson ». Le concept est amusant et il a été mis sur pied de manière inspirante.»

La liste des artistes qui ont contribué une chanson au projet on compte Joel Plaskett, Royal Wood, Keri Latimer (Nathan), Jim Bryson, Melissa McClelland (Whitehorse), Old Man Luedecke, Luke Doucet (Whitehorse), Amelia Curran, The Good Lovelies, Jim Cuddy (Blue Rodeo), Jay Harris et Rueben deGroot, tandis que Ron Sexsmith a contribué deux chansons, Wait Until the Sun Comes Up et I Love the Way She Dresses, qu’il a coécrite avec Angaleena Presley.

Le résultat final est, d’un point de vue stylistique, l’album le plus éclectique des six albums d’Oh Susanna’s à ce jour. «C’est exactement ce que je voulais», se réjouit Ungerleider. «Nous avons pris soin de demander aux collaborateurs de ne pas tous envoyer des pièces lentes ou des valses [une marque de commerce de Oh Susanna]. Certains d’entre eux ont plutôt approché la commande comme s’ils composaient une chanson pour eux-mêmes, ce qui est très bien. L’idée était ultimement de me sortir de ma zone de confort et c’est exactement ce qui s’est produit. Je me trouve très privilégiée.»

Jim Cuddy, un ami, admirateur et partenaire de duos de longue date d’Oh Susanna lui a offert l’émouvante ballade Dying Light, inspirée par leur amour commun de la soul music. «Un jour, j’ai entendu Suzie chanter The Dark End of the Street lors d’une hommage à Gram Parsons», souvient-il. «Je me suis dit « Mon dieu, tu as une puissante voix soul qui n’est jamais mise en valeur dans tes propres chansons! » Je savais qu’elle possédait la dextérité vocale pour interpréter ma chanson.»

Ron Sexsmith a écrit Wait Until The Sun Comes Up avec l’ingénuité créatrice qu’on lui connaît. «Suzie m’a envoyé un courriel et ma première réaction a été « Oh Susanna, c’est pas une chanson de Stephen Foster, ça? » Je possède un recueil de chansons de Foster et il y en a une qui s’intitule Nellie Bly et qui m’a rappelé Wait Until the Sun Shines. L’idée du titre de la chanson m’est venue de là et j’ai écrit la chanson en 30 minutes en pensant à Buddy Holly.»

Quant à la chanson Oregon de Bryson, c’est la première sur l’album Namedropper. «J’avais déjà écrit cette chanson depuis un certain temps, et Suzie y revenait sans cesse», relate l’artiste. «Je l’ai suppliée de ne pas ouvrir l’album avec ma pièce parce que ça me ferait paraître prétentieux, mais elle trouvait que c’était le meilleur endroit pour la placer.»

La plupart des chansons ayant été soumises dans leur forme la plus simple, Bryson a travaillé l’instrumentation et les arrangements avec Ungerleider. «Cet échange d’idées permet d’essayer plein de choses différentes», explique Bryson. «Suzie a des idées et des opinions très claires, alors pour moi, superviser l’enregistrement de ce disque fut un réel plaisir.» Pour Namedropper, le groupe comptait comme musicien le multiinstrumentiste Bryson ainsi que le percussionniste et mari de Oh Susanna, Cam Giroux.

C’est désormais un fait bien connu que l’album, qui devait être lancé à l’automne 2013 a dû être retardé d’une année complète alors que Suzie a reçu un diagnostique de cancer du sein et elle a immédiatement amorcé les traitements. Aujourd’hui en rémission, Bryson et elle ont donné plusieurs spectacles au Canada et se dirigeront bientôt vers le Royaume-Uni, début 2015.



Pour son troisième album, Geneviève Toupin adopte le sobriquet Willows. Nom de scène, mais aussi de projet. Si le mot fait référence à l’arbre (le saule), il évoque également (et surtout) une ville sur la Côte Ouest de la Californie de même qu’un village fantôme dans les plaines de l’Ouest canadien. « J’aimais beaucoup le parallèle entre ces deux endroits qui sont présents dans les textes de l’album, » avance la longiligne brunette aux yeux bleus perçants. « Et j’aimais le mot, tout simplement. Ça me permettait d’aborder à la fois mes racines anglophones et métis, mais aussi franco-manitobaines. Il y a quelque chose d’imagé dans ce mot. Puis, j’aimais cette idée de mettre de l’avant une identité musicale et visuelle. »

Un long chemin

Coréalisé avec la chanteuse et guitariste Émilie Proulx, son « âme sœur musicale » qui l’accompagne sur scène depuis 2009, cet opus folk homonyme à la fois personnel et lumineux recèle de délicats arrangements et devait initialement voir le jour l’an dernier avec une toute autre équipe. « J’ai fait un long chemin. Il y a tellement eu de détours avant d’arriver au résultat final. J’ai quitté ma maison de disques en 2013, puis fait des tests avec quelques réalisateurs, mais je n’étais pas prête. J’ai composé une trentaine de morceaux et j’ai tout jeté à la poubelle. Lorsque j’ai découvert que ça fittait au boutte avec Émilie, je savais qu’elle était la bonne personne pour réaliser avec moi. À partir de ce moment, tout est allé très vite, » raconte Toupin, installée à Montréal depuis 2003.

En tendant l’oreille aux 11 pièces du compact, on découvre que les lieux semblent définitivement avoir eu un impact considérable sur la jeune femme. Elle explique : « En mode création pour ce disque, j’ai découvert à quel point j’étais habitée par les paysages, les plaines, les grands espaces, le ciel ouvert. J’ai débuté la période de création en Californie et je l’ai terminée à Montréal. Puis, le fait d’avoir grandi dans un petit village, dans la campagne du sud-ouest manitobain m’a aussi marquée. Je pense que ce lien avec la nature et les espaces m’est rentré dedans quand j’étais petite. C’est devenu un élément qui influence mon écriture et qui me touche encore aujourd’hui. C’est profondément ancré en moi. »

Héritage culturel

Si Geneviève a grandi dans une famille où l’on parlait français, adolescente, elle se gave de musique anglophone et doit se tailler une place dans un environnement majoritairement anglo. Pour ce nouveau projet, la dame a modifié sa façon de travailler afin d’assumer pleinement cette dualité culturelle. « Au début du mode création pour ce disque, je venais de faire un album en anglais (The Ocean Pictures Project) et je n’étais plus capable d’écrire en français. Pour débloquer, il a fallu que j’accepte cette dualité et que je me permette d’écrire comme je parle. C’est-à-dire mélanger les deux langues. Les premières chansons que j’ai écrites furent “Valley of Fire”, “Bill Murray” et “Stardust Motel. ” Les trois qui renferment le plus de mots en anglais. Je me suis permis d’écrire comme ça se passait dans ma tête. »

Malgré ses racines métis et cette dualité qui a toujours marqué son parcours, Geneviève n’a pas l’impression de faire bande à part. La jeune femme se considère membre à part entière d’une nouvelle communauté de jeunes auteurs-compositeurs-interprètes. Elle précise : « À Montréal, mais aussi dans la francophonie canadienne. Je me sens chanceuse de faire partie de ces deux scènes là et d’avoir beaucoup d’amis artistes qui m’inspirent au quotidien. Ça c’est vraiment précieux. »

Faire confiance à la magie

C’est suite à l’expérience concluante du projet de websérie La Tournée des cafés (nominée à l’ADISQ en 2012) que la trentenaire a développé un goût pour les collaborations. Résultat : une dizaine de musiciens et de compositeurs se sont greffés au projet Willows dont André Papanicolaou (Monsieur Mono) et Marianne Houle (Monogrenade). Tout de même, une question s’impose : comment sélectionner les gens avec qui on veut travailler lorsque notre univers musical est si intime, feutré et délicat? « Je choisis toujours des collaborateurs qui ont une sensibilité semblable à la mienne. Comme l’univers de Sébastien Lacombe qui me rejoint totalement. Je veux m’entourer de gens qui comprennent naturellement ce type d’écriture. Il faut faire confiance à la magie du moment. J’ai vu qu’il pouvait y avoir une chimie qui s’installe entre les artistes et qu’il fallait faire confiance à ça aussi. »

Après trois semaines en France, et la tournée Coup de cœur francophone en 2014, elle souhaite maintenant poursuivre sa série de spectacles au Québec ainsi qu’à travers le Canada (Vancouver, l’Ontario et la Saskatchewan sont notamment à l’agenda en 2015), en plus d’accompagner Chloé Lacasse dans son projet musical. Bref, peu de moments de répit pour l’artiste franco-manitobaine. Elle conclut : « Tu sais, j’ai la chance de voyager. Juste ça c’est immense. Je ne changerais pas de place avec personne! »

Tourner la page
« Quand j’avais 19 ans, j’ai fait un voyage en France. J’étudiais en sciences à l’université et je pensais me diriger en médecine, mais j’ai pris une année off. J’avais d’excellents résultats, mais je m’ennuyais de la musique, alors je suis allée travailler à Paris. J’ai décidé qu’à mon retour chez moi, au Manitoba, j’allais tout faire pour faire carrière avec mes chansons. Abandonner tous mes autres projets. Et c’est ce que j’ai fait. »



Depuis ses premiers balbutiements en 2004, le duo Alfa Rococo n’a jamais cessé d’évoluer sur le plan musical. Après un premier opus prometteur (Lever l’ancre en 2007) chargé à bloc de brûlots électro-pop vitaminés et calibrés pour les radios FM, David Bussières et Justine Laberge proposaient Chasser le malheur en 2010, une œuvre plus mature et aboutie certes, mais aussi passablement plus sombre. C’est en septembre dernier que le chic tandem larguait Nos cœurs ensemble, une troisième parution au son davantage organique, se permettant de flirter autant avec la new-wave des années 1980 que la pop ensoleillée et moderne du Bostonnais Passion Pit. Bref, du beau boulot et une galette efficace offrant 11 bombes pop aussi rassembleuses que dansantes.

Pour David, une bonne chanson pop doit d’abord et avant tout être accrocheuse sur le plan mélodique, mais doit également posséder des paroles que l’auditeur sera en mesure de retenir. Il précise sa pensée : « La simplicité est de mise. C’est comme un bon riff de guitare. Ça doit être court, punché pour qu’on s’en souvienne. Une chanson pop efficace, c’est surtout une belle adéquation entre la musique et le texte. Les deux doivent aller de pair et transmettre la même énergie. Il faut que ça coule et que ça groove tout en restant accessible. »

« C’est tout un défi de parler d’amour de façon sincère. »

L’amour en chanson

Exit les sombres mélopées, les tiraillements et les textes individualistes de Chasser le malheur.  Sur cette nouvelle livraison, le tandem Laberge/Bussières opte pour une approche plus positive. Après l’orage, l’arc-en-ciel. « À peu près 98% des chansons d’amour parlent de ruptures amoureuses. Pour la création de cet album, on était dans un état d’esprit très positif. On voulait parler de la force de l’amour. On est ensemble depuis 15 ans, alors c’est notre réalité. Tout de même, c’est tout un défi de parler d’amour de façon sincère. Pas évident de trouver le bon angle, le bon ton. Difficile de ne pas sombrer dans le quétaine. Avec le recul, je pense qu’on a assez bien réussi, » assure Bussières.

Nouvellement mariés, David et Justine souhaitaient célébrer l’amour avec Nos cœurs ensemble. Et on les comprendra. Pour le guitariste et chanteur, être un couple dans une situation de création favorise, voire simplifie grandement, le partage d’idées. Il explique : « Plus ça va et plus c’est une force pour nous. On est notre premier public et Justine est ma première oreille. Ton meilleur chum te dira pas toujours la vérité. En couple, c’est plus facile de se dire les vraies affaires. On est tout le temps en train d’échanger des idées et de mijoter des chansons. C’est un boulot à plein temps. J’imagine que pour certains, c’est peut-être aliénant de travailler avec sa douce moitié, mais pas pour nous. »

Nouveaux départs

Maintenant signé sur Coyote Records, Alfa Rococo poursuit sa route et entame un nouveau chapitre de son histoire. Un changement de décor nécessaire pour la paire. Bussières : « Ça a été très positif. Ajouter du sang neuf dans le projet, ça fait du bien et ça relance la motivation. On s’appelle souvent. On se tient au courant. Notre relation avec les gens de la compagnie est très proactive. De plus, c’est un défi pour nous parce qu’il faut aussi livrer la marchandise. Ça nous pousse à nous surpasser. »
Le couple est aussi propriétaire de son propre studio-maison depuis novembre 2013. Une précieuse acquisition qui facilite le travail de création pour les tourtereaux. « C’est un petit laboratoire qui nous aide aussi à limiter les accidents de parcours entre le moment où on a une idée et celui où on enregistre la chanson. Disons que ça limite les déplacements. Très souvent, on a des idées le matin, alors c’est à portée de la main. Bref, on peut travailler en tout temps. Par contre, on ne voit pas beaucoup de monde lorsqu’on est en mode création. On peut même développer une certaine misanthropie, » avance David.

Alors que Justine donnait naissance à un premier enfant en janvier, Alfa Rococo reprend le collier en avril prochain côté spectacles. Pour le duo, pas question de prendre une année sabbatique à longer les murs. La scène : voilà ce qui compte véritablement. « C’est important de continuer, d’être en mouvement. La naissance de notre enfant, c’est un beau moment et on veut en profiter, mais on a besoin de jouer! Le show demeure un work in progress. On l’améliore tout le temps. Jouer sur scène, c’est comme une récréation après le travail. C’est ce qu’on aime faire dans la vie, alors être coupé de ça pendant longtemps, ce ne serait pas bon pour notre santé mentale! »

Tourner la page
« J’ai fait l’album Soley en 2004 avec Dobacaracol. C’était le fun, mais j’avais besoin de mon projet à moi. J’avais envie de plus. J’ai ensuite travaillé pour le Cirque du Soleil et je me suis dit : je vais partir en tournée, jouer le soir et le jour on va composer des chansons. On a commencé Alfa Rococo à peu près à cette période tout en ramassant de l’argent pour produire notre premier album. Début 2005, on est partis pendant un an en tournée européenne. On s’installait dans des chambres d’hôtel et on a composé la majorité des chansons du premier disque de cette façon. » David Bussières, Alfa Rococo