Ajay Bhattacharyya espère vraiment ne pas avoir un son qui lui est propre. Né en Colombie-Britannique est désormais établi à L.A., cet auteur-compositeur et « producer » nommé aux Grammy sous le nom de scène est Stint crée de la musique depuis près d’une décennie, et pas pour n’importe qui : Demi LovatoCarly Rae JepsenLana Del Rey, Gallant, et NAO. Selon lui, il a connu le succès en raison de sa capacité à évoluer, s’adapter et ne jamais arrêter d’expérimenter.

« Dès que je me rends compte que je refais le même truc trop souvent, j’arrête de le faire, car je ne veux pas devenir prévisible ou ennuyeux », dit-il. « Je fais toujours un effort conscient pour laisser mon égo à la porte du studio, car je veux être là pour l’artiste avec qui je travaille afin de l’aider à pleinement réaliser son son et son style. Si je fais entrer une trop grande partie de moi dans la pièce, la session de création n’est plus axée sur l’artiste, et je n’aime pas ça. »

La flexibilité de Bhattacharyya remonte à l’époque où il étudiait au Vancouver Film School. Son objectif initial était de « trouver un boulot dans le secteur audio d’une entreprise de jeux vidéo pour y créer des effets sonores », mais la musique a fait son irruption dans son plan de carrière lorsqu’un ami lui a demandé de créer la trame sonore de son film. « Et depuis ce temps, les commandes de musique n’ont pas cessé », explique-t-il.

Stint reçoit des commandes en tant qu’auteur-compositeur, « producer », mixeur, remixeur et ingénieur, bref un service de bout en bout. C’est néanmoins la création musicale qui le passionne vraiment, car « c’est mon point faible, pour l’instant ».

Il affirme que la plus grande leçon qu’il a apprise jusqu’à maintenant en collaborant avec d’autres artistes est que moins, c’est plus. « Il faut créer une attente puis surprendre l’auditeur », affirme-t-il. « Et il faut créer une connexion entre la voix et l’auditeur, il faut leur donner l’impression que l’artiste chante directement pour vous. La majorité de mes chansons pop préférées ont cette qualité. »



Foreign Diplomats« Moi, j’aime vraiment ça lire des crédits sur la pochette d’un disque quand y’a plein de musiciens invités et de collaborations qui s’ajoutent aux membres d’un band », confie Élie Raymond, principal auteur-compositeur de Foreign Diplomats. Tout juste de retour d’une tournée européenne, le groupe pop-rock indé des Laurentides repart sur les routes du Québec pour présenter les chansons de Monami, l’album paru au courant de la belle saison et farci de ces rencontres musicales en studio qu’apprécie tant le chanteur et guitariste.

Y’en a beaucoup à lire sur la pochette de Monami, second disque du groupe fondé en 2010 avec Élie Raymond à sa tête. Les amis sont partout, à commencer par Elliot Maginot, officiellement choriste sur quatre titres, « mais il est presque partout sur l’album », confirme Raymond. Marc-Antoine Barbier et Philippe Gauthier Boudreau de Choses Sauvages ailleurs, « de très bons amis, on a même été colocs de studio ensemble ». Jace Lasek (The Besnard Lakes) au synthétiseur Therevox, c’est d’ailleurs la toute première note qu’on entend de l’album, sur Road Wage en ouverture.

« Ça donne une ambiance de collectivité » que d’inviter autant d’amis en studio, abonde Élie Raymond. « Un de mes groupes préférés, c’est Broken Social Scene ; y’a tellement de membres dans ce groupe-là, et en plus, eux aussi font venir plein d’amis lorsqu’ils enregistrent, j’aime vraiment ça. En plus, ça permet d’avoir d’autres timbres de voix, d’autres couleurs d’instruments. »

Ça donne aussi un esprit festif à l’entreprise, quelque chose auquel Raymond et ses collègues Diplomats – Thomas Bruneau Faubert, Tony L. Roy, Charles Primeau et Lazer Vallières – tenaient, histoire d’ouvrir le son du groupe sur de nouveaux horizons.

Car pour Raymond, ce Monami est « plus lumineux que le premier disque [Princess Flash, 2015, Indica Records], qui lui était un disque de « break-up » amoureux complet. Tout cet album était sombre et amer ; le nouveau est pas mal plus léger. »

Monami a été composé sur la route, explique Raymond, dans l’esprit « d’être amoureux ou de vouloir le devenir, et aussi d’avoir peur d’être en amour. On voulait aussi une sonorité plus dynamique, puisque Princess Flash était très claustrophobe. En s’ouvrant à des refrains plus pop, en ouvrant les portes du studio aux amis pour qu’ils viennent jouer avec nous, on voulait que ça paraisse sur disque qu’on a du plaisir à faire ça. »

Monami est effectivement le jour et la nuit (ou vice-versa) en comparaison avec le premier disque. Pop sans vergogne aux refrains infectieux, la voix de Raymond qui laisse entendre la banane qu’il a imprimée sur le visage. Des cuivres et des cordes et des synthés partout, un rock qui groove rondement, des chansons faites pour plaire sans pour autant tomber dans la facilité, même si c’est précisément ce que recherchait l’auteur-compositeur-interprète.

« Des fois, faut pas chercher trop long quand on écrit, a fini par comprendre Élie Raymond. J’essaie de plus en plus d’écrire plus simplement qu’avant et d’arrêter de chercher des métaphores profondes », donnant pour exemple Fearful Flower qui arrive à la toute fin de l’album et qui se termine par un paragraphe tout en français : « Ma fleur/ Oh oh/ Je t’aime à la folie/ Mais tu as peur de ton ombre… »

« Celle-là, c’est une des premières chansons que j’ai écrites en faisant attention d’y aller pour le plus simple », s’inspirant ici d’un recueil de contes québécois d’antan, la légende de Chasse-galerie étant éludée dans le texte en anglais (« Flying boat, where will you land? »). « J’adore le travail d’artistes comme Bill Callahan, ses textes si simples, mais si bien écrits. J’aime aussi beaucoup Silver Jews », alias David Berman, mentionne Raymond, touché par le décès subit, au début du mois d’août, de l’auteur-compositeur-interprète indie rock new-yorkais. Il est aussi fan de l’œuvre des Beatles, ça saute aux oreilles, jusque dans le timbre de voix rappelant celui de McCartney.

« J’ai enregistré beaucoup de démos des chansons de l’album, que j’envoie ensuite au band, puis à toute l’équipe, explique Raymond. Ensuite, on repassait dessus pour faire mousser, en essayant de trouver ce qui, dans la chanson, resterait le mieux en tête. Tout ce disque fut une recherche pour arriver à des mélodies frappantes – même les textes ont été retravaillés pour trouver le bon mot à chanter au bon endroit. »

« Ces temps-ci, on compose ensemble, mais surtout dans l’esprit de faire des expériences sonores plutôt que des chansons bien construites, poursuit-il. On essaie simplement des affaires nouvelles avec nos instruments, pour ensuite mieux nous diriger lorsque viendra le temps de les écrire, ces nouvelles chansons. C’est du gros gossage – c’est exactement ça le mot, du gossage! »

 



Quatre ans après La vie en mauve, l’auteur-compositeur-interprète Simon Kearney fait table rase, ouvre ses horizons musicaux et embrasse le pop’n roll. Le quoi ? Il nous explique tout ça.

On l’a d’abord connu sous des airs plus rock, armé de cette guitare qu’il maniait avec adresse dans une série de solos vertigineux, de passages complexes. « C’est l’instrument que j’aime le moins maintenant. Toutes les chansons de Maison ouverte ont été écrites avec des lignes de basses en début. Je commençais avec un loop de drum et après ça je faisais mon riff de basse. J’essayais de prendre la guitare en dernier parce que j’avais pas le choix d’être dans un moule avec ça, parce que j’avais toujours composé de même. Veut, veut pas, j’avais mes petits patterns. C’était vraiment pour me casser. […] J’avais aussi envie de faire des choses plus simples. Si je te jouais le riff de Hey Man, tu trouverais que ça n’a pas de bon sens ! »

Sortir de sa zone de confort, donc, aura été le leitmotiv de Simon Kearney à l’amorce et jusqu’à la fin de ce nouveau cycle de création. Sur ce second opus qu’il considère par ailleurs comme son premier, Simon Kearney s’autorise des ponts rappés (Bad Girl Mama et Mes pants) en plus de s’aventurer en terrain funk. Les guitares, en guise d’exemple, sont plus près de ce que Prince a pu faire que du répertoire de Fred Fortin. Sa posture, comme créateur, n’est plus du tout la même.

« Je trouve qu’on est plus vers une tangente glam de la musique quand tu regardes le rap aux États-Unis. C’est genre des grillz, des purple drinks, tout le monde essaie de se shower off. Au Québec, il me semble qu’on l’applique pas beaucoup. On aime ça quand on est plus solennels et minimalistes dans notre approche avec la musique, avec le folk et tout. Tranquillement, par contre, je sens qu’on penche vers ce glam-là et c’est ce que je voulais exploiter avec Maison ouverte. Justement, ça a été plus difficile d’écrire des textes parce que j’écoutais juste de la musique en anglais. »

Presque paradoxalement, les paroles qu’il signe s’avèrent québécoises au possible, tant dans le lexique que les thèmes abordés. Pensons à Câline, d’où il étrenne une voix de tête prenante qu’on ne lui connaissait pas, mais surtout à l’entêtante Mes pants qui, mine de rien et sous des dehors cabotins, cache un vibrant message rédigé à l’intention de ses semblables.

« Quand j’écris une toune, je me rends compte que j’essaie d’aller chercher le premier degré et le deuxième. Après, les gens peuvent choisir comment ils veulent l’écouter, un peu comme lorsque t’écoutes du Richard Desjardins. Si t’écoutes ça vite, tu peux penser que c’est un texte de Kaïn, mais si t’écoutes ça profondément tu peux te rendre compte que c’est tellement big ce qu’il dit. […] Le refrain de Mes pants est niaiseux et simple, mais ça parle de prendre possession de ses moyens, de s’assumer, et ça fait vraiment référence au peuple québécois. T’sais, quand je dis “quand je parle dans ma langue c’est pas tout le temps beau”, c’est pour parler de notre espèce de complexe d’infériorité… »

Pour que pousse le blé

Précocement amorcée, la carrière de Simon Kearney se déploie aujourd’hui en deux actes distincts, mais terriblement complémentaires. D’une part, il y a ses concerts à lui, en son nom et à l’avant-scène. De l’autre ? Les contrats qu’il honore en ses qualités d’accompagnateur. Avec Jérôme 50 et Pascal Picard sur la route, notamment, et à titre de guitariste sur certaines pistes de Darlène d’Hubert Lenoir. Il carbure au travail d’équipe, au partage, insuffle ses idées aux autres et sans la moindre avarice. Bien au contraire. « [Cette dualité-là] me dérange pas parce que c’est des projets dans lesquels je m’implique beaucoup personnellement. Avec Jérôme, mettons, inconsciemment, c’était convenu que si je faisais de la guitare pour lui, j’allais pas être restreint à faire ce qu’il me demande et au pied de la lettre.  […] Au fond, c’est moi qui compose les riffs de guit avec lui. C’est mon style de guitare et, d’après moi, s’il prenait quelqu’un d’autre, son projet ne sonnerait pas pareil. »

Cette double vie lui permet, par conséquent, de pallier aux défis monétaires, de diversifier ses revenus. Justement, le parolier s’avère brutalement transparent à cet égard sur Pop’n roll et Mon chien est mort, abordant sans détour les défis intrinsèques à son métier. Il y parle des concours qu’il ne gagne pas, de ses rêves qui, au final, ne paient pas son loyer.

« C’est sûr que les droits d’auteurs ça aide beaucoup… Moi, j’ai pas voulu faire de compromis avec ma musique. Ça s’appelle du pop’n roll et j’assume clairement qu’il y a un côté pop […], ça me dérange pas. Veut veut pas, en amenant un côté pop, c’est sûr que ça séduit plus les radios. J’arrive à avoir un peu d’argent avec ça. »